samedi 1 juin 2019

Les fantasmes de Lucie (54)


Tableau de Anton Heinsl

J’ai dormi. Une heure. Peut-être deux. Les fesses brûlantes. Repue du plaisir que je venais de me donner. Qu’il m’avait regardée me donner.
Au réveil, il était là. Tout près. Il me souriait.
Il s’est approché. Il m’a caressé la joue, du bout des doigts. Il m’a prise dans ses yeux.
– Et maintenant ?
– Maintenant ?
Tout ce qu’il voulait maintenant. Tout. Absolument tout. Qu’il me fouette ! Qu’il recommence ! S’il voulait… S’il avait envie… Ou qu’il me prenne ! Que je sois dans ses bras ! Que j’aie sa queue ! Que je sente son plaisir se répandre en moi !
Il s’est penché. Il m’a effleuré les lèvres. J’ai frissonné.
– Lève-toi !
Je l’ai fait.
– Habille-toi !
Là. Voilà.
– Viens !
– Où ça ?
– Te promener, les fesses ardentes, au milieu des gens. Te dire qu’ils ne savent pas. Qu’ils sont à cent mille lieues de se douter… Ça ne te tente pas ?
Si ! Bien sûr que si ! Souvent j’y avais pensé. Mais comment il savait ?
Il a souri. Il s’est contenté de sourire.
Et on est sortis.

Il y avait du monde. Beaucoup de monde. Des couples. Des jeunes en bandes. Des femmes seules. Des hommes seuls.
Il se penchait à mon oreille.
– Regarde-le, celui-là ! Regarde-le !
Un petit vieux à la mine austère, revêche.
– T’imagines si on lui disait ? Il s’en remettrait pas, le pauvre ! On pourrait, hein !
J’ai gardé le silence.
– Tu aurais honte ?
– Je serais morte de honte.
– Il faut qu’on le fasse alors ! Il faut absolument qu’on le fasse. On va le faire.
Mais comment il savait ? Comment il pouvait savoir ?

– Celui-là, là-bas ? Oui, celui-là !
Mon cœur s’accélérait. Mon souffle se faisait court. Mes paumes devenaient moites.
Il venait à notre rencontre. Il approchait. Il arrivait. Il était à notre hauteur.
– Non, finalement…
On le laissait passer.
Et il recommençait un peu plus loin.
Deux fois. Cinq fois. Dix fois. Jusqu’à ce que…
– Monsieur ! Eh, monsieur !
C’était un petit bonhomme rougeaud, court sur pattes, qui marchait à grands pas, tête baissée. Il a levé sur nous un regard éberlué.
– On voudrait votre avis. Ma copine, là, elle est très mal élevée. C’est souvent que je suis obligé de lui donner la fessée. J’ai raison, vous croyez ?
Il s’est enfui à toutes jambes.
On a ri. De bon cœur.
– Allez, à ton tour !
– Je pourrai jamais.
– Bien sûr que si !
Il proposait.
– Lui, allez, lui ! Non ? Elle, alors ! Non plus ?
Mais impossible de me décider. Je n’y arrivais pas. Je différais toujours.
– Bon, je vais t’aider.
Il a arrêté deux jeunes, d’une vingtaine d’années, qui venaient à notre rencontre.
– Elle a quelque chose à vous dire, ma copine.
Leurs regards sur moi. Leur attente.
J’ai balbutié. Bredouillé.
– Je… Il… C’est-à-dire que je…
J’ai pris ma respiration, un grand coup, et je me suis bravement lancée.
– Il m’a donné une fessée.
Ils se sont esclaffés.
– Il a bien fait.
– S’il a besoin d’un coup de main, la prochaine fois, qu’il nous fasse signe. Ce sera avec plaisir.
Et ils se sont éloignés.
– Ben, tu vois, c’était pas si difficile. Tu as aimé ?
– Un peu.
– Seulement un peu ?
Il s’est arrêté. Je me suis arrêtée. Il m’a prise contre lui.
Nos lèvres se sont jointes.
On est rentrés.
On n’a pas eu le temps d’arriver au lit. Ça a été là, dans l’entrée, sur le tapis.

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