jeudi 13 juin 2019

Fessées punitives (7)


À peine le pas d’Océane s’était-il estompé dans l’escalier que Bérengère s’est, elle aussi, éclipsée. Comme une voleuse. Sans dire au revoir à personne.
Valentin a hoché la tête.
– Ça l’a secouée, on dirait…
Ça avait l’air, oui.
– Vous voulez boire quelque chose ?
Non, non, merci. Une autre fois. On allait y aller. Il y aurait d’autres occasions.

Sur le trottoir, Émilie m’a proposé de me ramener.
– C’est sur ma route.
On a roulé quelques instants en silence. Et puis elle m’a coulé un regard de côté.
– Ça a pas fait semblant, hein !
– Oh, pour ça, non !
– Mais quand même… Je suis pas convaincue. Que, dans son cas, ce sera réellement efficace, je suis pas vraiment convaincue.
– Elle y croit pourtant.
– Et c’est tant mieux. N’y aurait-il qu’une toute petite chance… Mais il y a longtemps que je la connais, Océane. On a été cinq ans voisines. Elle est vraiment très très accro.
– On est toutes accro. On en serait pas réduites à ça sinon…
– Toi, c’est le jeu, elle m’a dit…
– C’est le jeu, oui. Et je ne souhaite à personne de tomber là-dedans. On vit l’enfer. Heureusement, j’ai Julien. Qui, dans ce domaine, ne me laisse rien passer.
– Et ça marche ?
– Il y a encore des rechutes. De moins en moins souvent. J’ai bon espoir d’être un jour définitivement guérie.
– C’est tout le mal que je te souhaite.

Et elle ? Si elle me parlait un peu d’elle ?
– Oh, moi, c’est une longue histoire. Une très longue histoire.
– Dis quand même…
– J’ai eu une scolarité chaotique, c’est le moins qu’on puisse dire. En fait, j’en avais strictement rien à foutre des études. Je sortais, je m’amusais, je baisais. Rien d’autre n’avait d’importance. Et, en plus, j’avais un poil dans la main long comme ça. Tant et si bien qu’à l’arrivée je me suis retrouvée sans le moindre diplôme. Même pas le brevet. Sauf qu’il a bien fallu que, bon gré mal gré, je me mette à bosser. J’ai enchaîné les boulots. Deux mois ici. Trois mois là. Quinze jours ailleurs. Je démissionnais à tour de bras. Rien ne me convenait. Tout m’ennuyait à mourir. J’ai sombré dans la déprime. Ça allait être ça, ma vie ? Cinquante ans durant ? Mieux valait en finir au plus vite. J’allais mal. De plus en plus mal. J’ai consulté. On m’a bourrée de cachets. Ce qui ne m’a pas empêchée d’avoir des angoisses. En pagaille. Des angoisses terrifiantes. Si terrifiantes qu’une nuit, à deux heures du matin, je suis sortie de chez moi. Il fallait que je voie quelqu’un. Que je parle à quelqu’un. Absolument. N’importe qui. Il y avait de la lumière sous une porte. J’ai sonné. Il m’a ouvert. Un type d’une cinquantaine d’années. Qui vivait au milieu des bouquins et des instruments de musique. Il était rassurant. Très. Il m’a parlé. Il m’a apaisée. Je ne l’ai quitté qu’au petit matin. Et je suis revenue le voir. Souvent. Je me suis confiée. J’ai vidé mon sac. Et, à force de discuter avec lui, j’ai fini par arriver à la conclusion que, si je voulais exercer un métier qui réponde à mes aspirations, il me fallait absolument reprendre mes études. Seulement… Seulement je me connaissais : j’étais d’une incorrigible paresse.
– Et pour te guérir de ta paresse…
– Oh, ça a pas été tout de suite. C’est tout doucement, petit à petit, qu’il m’a amenée à reconnaître et à accepter que, dans mon cas…
– Une bonne fessée, c’était encore la meilleure solution.
– Pas la meilleure, non. La seule. J’ai passé mon bac. En candidate libre. Je l’ai eu. Avec mention. Et maintenant, en parallèle avec un boulot de serveuse, je poursuis mes études. Ça se passe pas trop mal. Bien, même. En grande partie grâce à lui qui n’hésite pas, chaque fois que nécessaire, à me remettre dans les clous.
– Ce qui arrive souvent ?
– De moins en moins. Mais quand même. La paresse, ça a toujours été–  et ça reste – mon plus grand défaut.

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