jeudi 29 décembre 2011

Escobarines: Vitrine


– Tu dors ?
– Non…
– C’est fou, les rêves, hein ? Parce que tu sais pas ce que je viens de rêver ? Mais tu vas pas te moquer de moi au moins ?
– Mais non ! Vas-y ! Dis !
– J’étais au boulot… Je venais de finir la vitrine… Et elle m’engueulait la mère Bernier, mais elle m’engueulait ! « Parce que vous appelez ça du travail, Laetitia ! N’importe quelle stagiaire de quinze ans aurait fait mieux que vous… Non, mais pourquoi je vous paye, hein ? Vous pouvez me dire pourquoi je vous paye ? » Elle était furieuse… Et puis d’abord puisque c’était comme ça, puisque j’y mettais autant de mauvaise volonté, elle allait me flanquer une fessée, dans la vitrine, devant tout le monde… Et moi, bizarrement, ça me paraissait pas si incongru que ça… Presque naturel… Comme s’il allait de soi que les patronnes fessent leurs vendeuses en public quand elles en étaient mécontentes… Comme si ça arrivait tous les jours… « Déculottez-vous ! » Et j’obéissais… C’était normal… Complètement normal… Et elle me corrigeait avec une espèce de grande règle en bois dont elle m’appliquait de grands coups réguliers sur les fesses, m’arrachant, chaque fois un long gémissement de douleur… Je ne protestais pas… Je ne suppliais pas… Je me laissais faire… J’avais mal… J’avais honte, mais en même temps…
– En même temps ?
– Je sais pas… C’était étrange comme impression… Presque agréable… Oui… Carrément agréable, même, par moments… Surtout après, quand elle a eu fini et qu’elle a voulu que je reste dans la vitrine… Il y avait des gens qui s’arrêtaient, sur le trottoir, pour regarder. De plus en plus nombreux. Je ne les voyais pas – je leur tournais le dos – mais je les entendais. Ça commentait. Ça s’esclaffait. Ça se moquait de moi. Mais d’être là, exposée toute nue aux regards, avec les fesses toutes rouges, ça ne me gênait pas. Pas du tout. Ça aurait dû, je le savais bien, mais non. Non. Au contraire… On aurait dit que ça me faisait plaisir d’une certaine façon finalement d’avoir honte… C’est dur à expliquer ça… Tu comprends ?
– Oh, que oui ! Et que ça te fasse plaisir d’avoir honte t’avais encore plus honte… Et donc encore plus de plaisir… Non ?
– Comment tu le sais ? Il y avait un peu de ça, oui…
– Beaucoup, plutôt, non ?
– Mais où je suis allée chercher tout ça, moi ? Parce qu’après, dans mon rêve, elles entraient dans le magasin les femmes… Elles s’approchaient tout près… Elles faisaient leurs réflexions tout fort… Que je l’avais pas volé… Que j’étais une petite prétentieuse… Qu’elle aurait dû m’en donner beaucoup plus souvent madame Bernier… Que si seulement ça pouvait me remettre les idées en place… Ça a duré toute la matinée comme ça… Mais tu sais pas le pire ? C’est que quand ça s’est arrêté, quand ça a été l’heure de fermer et que je me suis réveillée, eh ben je le regrettais presque… C’est fou, ça, quand même ! Comment tu l’expliques ? Parce que je suis pas du tout comme ça… Je suis même exactement le contraire…
– Peut-être pas tant que ça finalement…
– Tu crois ? Mais ce serait affreux !
– Peut-être que tu t’es fait vivre en rêve ce que tu ne te donnes pas le droit de vivre dans la réalité ?
– C’est idiot ce que tu dis… Complètement… Je m’en serais rendu compte, quand même, depuis le temps…

– En attendant il t’avait mis en appétit ton rêve ! Il y a longtemps que t’avais pas fait trembler les murs comme ça !
– Tu crois que c’est à cause de ça ?
– Il y a que toi qui peux savoir…
– Peut-être un peu quand même… Parce que j’y pensais, par moments, pendant qu’on le faisait… Je suis cinglée, hein ? Je suis complètement cinglée…
– Tout de suite les grands mots…
– Ben si, attends ! Tu trouves ça normal, toi, d’avoir envie, à mon âge, de se faire flanquer des fessées devant tout le monde ?
– Ni normal ni anormal… C’est comme ça, c’est tout… Et t’es loin d’être la seule…

– Faut que je te dis un truc… Je t’ai menti… Pour mon rêve… Je t’ai menti… Je l’ai pas fait… Enfin, si ! Mais pas comme je t’ai dit… Je dormais pas… J’étais réveillée… Et j’ai tout inventé dans ma tête…
– C’est pas bien du tout ! Et tu sais ce que ça mériterait ?
– Oui…
– Quoi donc ?
– Une fessée…
– Une fessée… Parfaitement ! Une fessée que je vais te donner… Mais pas tout de suite… Pas maintenant… Faut d’abord que je nous trouve des spectateurs… Qui sauront se moquer de toi bien comme il faut…
– Tu comprends tout… Tu comprends vraiment tout…

lundi 26 décembre 2011

Souvenirs d'avant ( 26 )

26-

- Alors ?! Comment va notre affaire ?
Dissimulé dans l’ombre du paravent, je vois Margot hocher la tête…
- Elle n’avance guère. J’ai eu beau suivre vos prescriptions à la lettre il ne me prête guère d’attention. À peine s’il semble me voir…
- Ne soyez pas si impatiente…
- Comment ne le serais-je pas ? Je brûle pour lui d’une passion dévorante…
- Une passion qui vous mènera à votre perte si vous ne la bridez pas…
- Je ne puis…
- Laissez-moi vous guider… Vous ai-je jamais mal conseillée ?
- Il est vrai…
- Quelque chose – ou quelqu’un – vient se mettre en travers de vos intérêts. Il nous faut d’abord découvrir qui ou quoi. Et agir ensuite en conséquence. Je m’en occupe… En attendant continuez de répandre sous les pas de son cheval de cette poudre que je vous ai donnée...

- Que vous en semble ?
- Ah, la traîtresse !
- N’est-ce pas ?
- Le châtiment qui l’attend…
- Laissez-moi m’en occuper…
- Quant à ce maraud, ce faquin je trouverai bien quelque homme de main pour le faire passer de vie à trépas…
- Rien ne presse… Son tour viendra… En temps voulu…

Il s’est incliné devant elle. Il a retiré son chapeau et il s’est incliné. Depuis elles chuchotent toutes les deux, dans l’arrière-boutique, avec animation…
- Eh bien ! Est-ce ainsi que l’ouvrage se fait ?

- Je vous l’avais dit… Ne vous l’avais-je point dit ?
- Si fait ! Mais maintenant ? Maintenant ?
La Séguier croise les mains devant elle…
- Maintenant ? Il va disparaître…
- Oh, non ! Non ! Je ne veux pas, non ! Pour toujours ?
- Peut-être. Et peut-être pas… Cela dépendra…
- De quoi ?
- De vous… Si vous voulez qu’il revienne il vous faudra en passer par où je vous dirai, le moment venu, d’en passer…
- Tout… Tout ce que vous voudrez… Tout…

- Il va vraiment disparaître ?
- Bien sûr ! Il fait ce que je veux… Ce que je lui dis de faire…

Il ne passe plus devant notre boutique. Plus jamais. Elle l’attend. Elle le guette. En vain. Elle pleure. Tous les jours. Toute la journée. Elle se languit. Elle dépérit…

- Que faut-il que je fasse ? Je n’en puis plus. Je veux le voir. Au moins le voir. Comme avant. Ne fût-ce qu’un instant…
- Déshabillez-vous !
- Que je me… ?!
- Oui… Je vais vous fouetter… C’est à ce prix seulement qu’il réapparaîtra… Et que vous pourrez espérer voir vos vœux un jour comblés.

Elle ne dit mot. Elle se dévêt.
- Agenouillez-vous !
Elle obéit. Se dissimule la tête entre les mains…
Ça claque. Elle geint. Elle crie.
Ça dure. Elle sanglote…

Elle se relève. Elle se rhabille…
- Il va revenir ? Vous êtes sûre ?
- Oui…
- Et ?
- Et… Oui…
- Merci…

- Je vous avais promis que je la châtierais… Ne vous l’avais-je point promis ?
- Il va revenir ? Il va vraiment revenir ?
- Tout dépendra de votre générosité… Uniquement de votre générosité… Que je sais sans limites…

jeudi 22 décembre 2011

Escobarines: Peintures


- On est un peu folles, les filles, non ? Faire tous ces kilomètres pour que, si ça tombe, il nous jette quand on arrive…
- Escobar ?! Alors là ça m’étonnerait ! Il est gentil comme tout…
- Qu’est-ce t’en sais ? Tu le connais pas… C’est peut-être un air qu’il se donne comme ça pour mieux appâter les filles… Et une fois qu’il les a entre les griffes…
- Oh, toi, tout de suite ! Mais non ! Tout le monde le sait qu’il est adorable…
- N’empêche que de voir arriver comme ça cinq petites nanas d’un coup…
- Ben, c’est lui qu’a demandé, hein, pour ses peintures… Fallait pas qu’il demande s’il voulait pas…
- Oui, mais le dimanche il a dit… Et on est mardi…
- Ça ira plus vite comme ça… Il sera content…
- C’est idiot… D’aller vite… C’est idiot… Faut traîner tant qu’on peut au contraire… Et faire les mauvaises têtes… Qu’il ait plein de raisons de nous la donner la fessée…
- Les filles, ça me fait peur…
- Parce que t’en as jamais eu… T’en aurais eu, comme nous, tu pourrais plus t’en passer…
- Vous me laisserez pas être la première, hein ?!
- Oh, non… Non… T’inquiète pas… Je me dévouerai…
- Et pourquoi toi ?
- Parce que c’est moi qu’ai eu l’idée…
- C’est pas une raison, ça !
- Ah, ben si, si ! Et en plus c’est moi qui conduis…
- Tu m’agaces, tiens, à vouloir toujours te pousser devant les autres comme ça ! Pour tout…
- Bon, les filles, les filles… On va quand même pas se disputer…
- De toute façon n’importe comment c’est lui qui choisira, alors !
- Il voudra peut-être pas nous la mettre à toutes ?
- Oui, ben alors là je suis bien tranquille… Tu crois quand même pas qu’il va laisser passer une occasion pareille ?
- Non, mais vous vous rendez compte ? On va se faire fesser par Escobar… Non, mais je rêve, là… Je rêve… Quand je vais raconter ça à mes copines…
- J’ai pas de conseil à te donner, mais moi, à ta place, j’éviterais…
- Oui, moi aussi…
- Ben pourquoi ?
- Parce que tout le monde voit pas les choses comme nous… Et que si tu tiens pas à en prendre plein la gueule…

- On y est… C’est là…
- T’es sûre ?
- Certaine…
- Mais… Mais c’est quoi toutes ces bagnoles ?
- Et toutes ces nanas ?
- J’ai bien peur que…
- Que quoi ?
- Qu’on soit pas les seules à avoir eu l’idée…
- Hein ? Mais c’est dégueulasse… Il nous a pas fait ça quand même ?

- Bonjour… Il est pas là Jean-Philippe ?
- Il est pas là, non… Vous venez pour les peintures ?
- Ben oui… Oui… On s’était dit… On avait pensé…
- Et vous avez bien fait… Il y a du travail pour tout le monde…
- S’il est pas là…
- Il sera là ce soir…
- Ben oui, mais…
- Il nous a donné pleins pouvoirs…
- Ce qu’on aurait voulu, c’est…
- Qu’il vous en colle une en personne… Ça, on a bien compris… Seulement vous êtes déjà quarante-deux… Et il va forcément en arriver d’autres… Alors vous vous doutez bien qu’il lui sera matériellement impossible, même avec la meilleure volonté du monde, de s’occuper de chacune en particulier… Il a bien fallu qu’il délègue… Et si vous voulez lui faire plaisir… Vous voulez lui faire plaisir ?
- Oh, ben oui ! Pour ça, oui !
- Alors vous prenez un rouleau et vous vous mettez au travail… Avec autant de sérieux et de conviction que possible… Comptez sur nous pour y veiller… Et pour vous redonner du cœur à l’ouvrage si vous en manquez… Comme nous nous y employons, depuis ce matin, avec toutes celles qui vous ont précédées ici… Imaginez la satisfaction de Jean-Philippe, ce soir, quand il rentrera, devant le spectacle de cette multitude de derrières généreusement rougis… À coup sûr cela nous vaudra un dessin, sinon plusieurs… Et peut-être… peut-être que pour l’une ou l’autre d’entre vous… On ne sait jamais… Bon, mais vous décidez quoi ?... Oui… Oui… Vous ne le regretterez pas, vous verrez… Alors vous deux dans la petite pièce en haut à droite… Et les trois autres dans la grande salle du bas… Au boulot !

lundi 19 décembre 2011

Souvenirs d'avant ( 25 )

25-

Un bellâtre à cheval qui passe et repasse dans la rue. Dans la rue où je tiens boutique.
- Quel est donc ce bougre ? Que fait-il par ici ?
Perrine l’ignore. Ou feint de l’ignorer.
- N’aurait-il pas des visées sur Margot par hasard ?
- Oh, non, mon maître, non… Assurément non…

Peut-être pas. Mais qu’il plaise à Margot, ma femme, cela ne fait, semble-t-il, aucun doute. Elle qui se précipite sur le trottoir, sous les prétextes les plus divers, dès qu’elle croit reconnaître le pas de son cheval. Elle qui en revient, chaque fois que c’est effectivement lui, toute guillerette, le rose aux joues, et chantonne le reste de la matinée en sourdine…

- Tu sors ?
- Oui… J’ai à faire…
Et où va-t-elle, elle qui ne quitte d’ordinaire jamais la boutique ?
- Et que te chaut ? Prétendrais-tu me retenir prisonnière ? Et qu’as-tu à craindre ? Perrine m’accompagne. Elle ne me quittera pas…

Justement ! Raison de plus… Elles s’entendent comme larronnes en foire toutes les deux…

Léandre cligne des yeux d’un air entendu…
- Mais reste discret ! N’éveille pas leur attention…
- Que mon maître se rassure ! J’ai de nombreux amis. Auxquels j’ai rendu service. Qui se substitueront à moi pour savoir où elles vont…
- Tu seras largement récompensé…
- Je n’en attendais pas moins de votre bonté…

Elles sont rentrées. Elles conversent, avec animation, à voix basse toutes les deux. …
- Eh ! Est-ce ainsi que le travail se fait ?
Elles pouffent de rire…

- Alors, Léandre ?
- Alors… Eh bien elles se sont rendues chez la Séguier… La Séguier, c’est une vieille femme dont la tanière, sise rue Quincampoix, regorge de philtres, d’onguents et de poudres de sa fabrication au moyen desquels elle prétend guérir la plupart des maux existants…
- Mais elle n’est pas malade !
- La Séguier prétend disposer de bien d’autres pouvoirs… Elle fait et défait, paraît-il, les couples à sa guise…
- Mais quel diable de femme est-ce donc là ?
- Mon maître devrait lui rendre visite. Il en jugerait par lui-même…

Elles montent et descendent la rue en y répandant, à la volée, une poudre grisâtre qu’elles puisent, à tour de rôle, dans une petite besace. Et en jetant constamment des coups d’œil à la dérobée autour d’elles…

- Ma femme est venue te voir…
- Je ne me souviens pas…
- Cela devrait te rafraîchir la mémoire…
Trois pièces d’or poussées sur la table devant elle…
- La mémoire me revient… Doucement… Très doucement…
Deux autres… Encore une…
- Elle est venue en effet… Et elle reviendra…
- Que voulait-elle ?
- C’est un secret qu’il ne m’appartient pas de dévoiler sauf si…
- Si ?...
- Si vous vouliez vous montrer très généreux… Mais vraiment très très généreux… Auquel cas vous pourriez même, dissimulé derrière ces paravents qui ne paient pas de mine, entendre et voir tout votre saoul… Gageons que vous ne serez pas déçu… Je ferai d’ailleurs en sorte que vous ne le soyez pas…

jeudi 15 décembre 2011

Escobarines: La tricheuse


- Ah, mais j’entends parler… T’es pas toute seule ?
- Je suis pas toute seule, non…
- Je reviendrai alors… Je passais juste comme ça… Je veux pas déranger…
- Mais tu déranges pas… On est entre nous… Entre filles de là-bas… Allez, entre !

- Tiens, mais c’est Mélissa ! On parlait justement de toi …
- De moi ?
- Ben oui ! On t’a pas revue depuis le concours… On se demandait ce que t’étais devenue…
- Oh, ben rien, rien… Je me repose… J’en avais sacrément besoin…
- Faut reconnaître que t’as fait fort… Sortir première de la promo…
- J’en suis aussi surprise que vous…
- Tu peux ! Parce qu’au vu de tes résultats tout au long de l’année…
- Mais il y en a, comme toi, qui le jour des épreuves sont capables de se surpasser…
- Surtout avec les moyens qu’offre aujourd’hui la technologie…
- Et des surveillants un peu âgés qui en ignorent à peu près tout…
- Qu’est-ce que vous insinuez ?
- On n’insinue rien du tout… On affirme…
- Que tu as triché…
- Hein ? Mais jamais de la vie !
- Pas à nous, s’il te plaît ! Pas à nous ! Quatre témoins on a… Qui ont parfaitement perçu ton petit manège…
- J’ai fait de tort à personne…
- Ben si, justement, si ! C’était pas un examen… C’était un concours… T’as volé la place de quelqu’un…
- Qu’est-ce que vous allez faire ? Pas me dénoncer quand même ?
- C’est justement la question qu’on se posait quand t’es arrivée…
- Vous pouvez pas faire ça !
- Bien sûr que si on peut… Ils vont reprendre tes copies les examinateurs… Et les considérer d’un tout autre œil…
- Et tu n’auras plus le droit de te présenter à aucun concours… Pendant au moins dix ans…
- Mais c’est horrible ! Qu’est-ce que je vais devenir ?
- Ça, c’est ton problème… Fallait y réfléchir avant…
- Oh, non, non ! Je vous en supplie…
- Il y aurait bien une solution…
- Oh, oui, dites ! Dites !
- C’est qu’on règle ça entre nous…
- Oh, oui ! Oui ! Tout ce que vous voudrez…
- Tout ce qu’on veut ?… Tu prends des risques… Bon, mais va à côté… Et ferme la porte… Qu’on statue sur ton sort…

- Déshabille-toi !
- Que je me… ?! Mais pour quoi faire ?
- Tu verras bien ! Déshabille-toi, on t’dit ! Allez ! Tout ! La culotte aussi ! Voilà… Et viens ici ! Là ! En travers de mes genoux…
- Oh, non, non ! Tu vas pas ?...
- Te mettre une fessée ? Si !
- Pas à mon âge quand même !
- Fallait pas la mériter… Maintenant, si tu préfères, tu te rhabilles et nous, on va…
- Non ! non !
- Alors tu sais ce qui te reste à faire… Eh ben voilà ! Vous la tenez, vous autres ? Qu’elle aille pas gigoter dans tous les sens…

- Ouche ! La vache ! T’as pas fait semblant, dis donc !
- Ce n’était pas le moins du monde mon intention…
- Comment ça brûle !
- C’était le but… Mais qu’est-ce t’es en train de faire là ?
- Ben… Je me rhabille…
- Personne te l’a demandé…
- Je croyais… Je pensais…
- Que c’était fini ? Bien sûr que non… On est six…
- Mais vous allez pas… !
- T’en donner une chacune ? Bien sûr que si !
- Hou la la !
- Comme tu dis, oui ! Mais on est pas pressées… On a tout notre temps… Alors en attendant va donc faire un petit tour au coin ! Mais non ! Pas celui-là ! Celui d’en face ! Qu’on te voie bien !

lundi 12 décembre 2011

Souvenirs d'avant ( 24 )



24-

Un valet fait brusquement irruption dans ma chambre.
- Le maître… Le maître…
- Eh bien quoi ?! Parle !
- Le maître… Le seigneur Amauri… Il est revenu… Il n’est pas…
- Que dis-tu ?
Je me précipite.

- C’est toi ! C’est bien toi !
Je le touche. Je le tâte.
- Tu es vivant !
- Par Dieu, oui ! Et en pleine santé. Ce dont Berthe – que je vais aller retrouver de ce pas – pourra témoigner.
- Non. Attends !
- Attendre ?! Alors que ce moment-là j’y aspire depuis des mois ?! Certes non…
- C’est que…

Mais il n’écoute pas. Il gravit l’escalier à la course.
Un hurlement. Un autre.
- Il l’a tué !

Aimé gît dans son sang.
- Qu’on l’emporte ! Qu’on aille pendre sa dépouille à un arbre vis-à-vis des remparts…

- Regardez-le votre bel amant, Madame ! Le trouvez-vous donc toujours aussi séduisant ?
Elle garde la tête obstinément baissée. Il la tire par les cheveux pour l’obliger à la relever. Elle ferme les yeux.
- Rouvrez-les, Madame, c’est un ordre !
Auquel elle n’obéit pas.
- Rouvrez-les ou je vous fais fouetter…

On la dénude.
Le fouet s’abat. Sur son dos. Sur ses fesses. Sur ses cuisses.
- Ouvrez les yeux, Madame !
Elle s’y refuse.
Les coups redoublent.
- Obéissez !
Non. De la tête. Non.
- Fort bien. Ils ne vous servent à rien ? On va vous les crever.
Elle les rouvre.

- Regardez, Madame ! Regardez comme il se balance mollement au gré du vent. N’est-il pas beau ainsi ? Beaucoup plus encore que de son vivant. Ne trouvez-vous pas ?

Venez ! Venez maintenant ! Venez faire la connaissance de votre nouvelle demeure…
Un cachot. Un cachot minuscule où elle aura à peine la place de se tenir couchée…
- Mais n’ayez crainte ! Je viendrai vous en tirer. Deux fois par jour. Que vous puissiez assister au festin que vont faire les corbeaux de votre bel amant…

La porte se referme sur elle. Les gardiens tirent les verrous.
Il s’éloigne dans un grand éclat de rire…

jeudi 8 décembre 2011

Escobarines: Au Secours Charitable



Mardi 12 Octobre 1920

J’ai intégré, au début du mois, la communauté du Secours Charitable. Que pouvais-je faire d’autre, désormais privée, à 23 ans seulement, du soutien de mes chers parents ? Les autres pensionnaires ont, elles aussi, traversé de bien terribles épreuves. On les évoque ensemble, la nuit, quand la surveillante s’est endormie. Et on pleure…

Je ne suis pourtant pas malheureuse. Certes la discipline est rigoureuse et les fautes graves sont sévèrement punies. Pour notre bien. Pour que nous ne devenions pas – on nous le répète assez – des filles perdues. Mais on mange à notre faim et le travail – on fabrique des chapeaux – n’est pas trop pénible. Les autres jeunes filles se plaignent de la multiplicité des offices religieux. Moi non. Parce qu’on y chante. Et que j’ai toujours éprouvé un ineffable bonheur à chanter…


Jeudi 28 Octobre 1920

Alice a été corrigée, fesses nues, au réfectoire, devant tout le monde. Elle avait gravement manqué de respect à notre directrice. Les mots qu’elle lui a lancés, avec insolence, je me refuse à les écrire ici… Une chose est sûre en tout cas, c’est qu’elle a amplement mérité ce qui lui est arrivé. On ne trouve personne – aucune d’entre nous – pour prendre sa défense.


Mercredi 3 Novembre 1920

Quelque chose de léger dans la nuit. Sur ma joue. Sur mon front. Quelque chose que je repousse. Une fois. Deux fois. Quelque chose qui insiste. Qui me sort du sommeil. Des lèvres…
- Mais qu’est-ce que ?
- Chut ! Tais-toi ! Tu vas réveiller la surveillante…
Des lèvres. Des lèvres qui se posent sur les miennes. Qui me font taire. Des lèvres. Celles de Dorothée…
- J’ai envie ! J’ai trop envie…
Des lèvres qui entrouvrent les miennes. Qui s’y insinuent. S’y engouffrent. Ses mains me cherchent sous les draps. Son souffle se fait court.
Dans un lit plus loin quelqu’un bouge. Parle. Se redresse. Elle s’enfuit…


Vendredi 5 Novembre 1920

- Il viendra personne ici…
Dans la serre…
- Et pour peu qu’on soit revenues à temps…
Elle m’attire contre elle. Ses yeux brillent. Encore ses lèvres. Au goût de miel et de framboise mêlés. Ses mains sous la veste d’uniforme. Sous la jupe d’uniforme. Ses mains qui me dessinent. Qui me creusent. Je m’abandonne...
Elle me dévêt…
- Laisse-toi faire ! Je veux ! Je te veux !
Je suis dévêtue. Je suis nue. Complètement. Pour elle…
- Tu es belle ! Comme tu es belle !
Sa bouche. Ses mains. J’enfouis les miennes dans ses cheveux. Je la presse contre moi. Ça monte doucement. Ça fait des cercles. Ça me traverse…Ça explose. Je me blottis contre elle…



Lundi 8 Novembre 1920

Et encore… Elle sourit…
- Ce que tu aimes le plaisir !
- Avec toi ! Parce que c’est avec toi… Que tu sais en donner…
- Je t’adore…
- T’en as pas, toi, avec moi !
- Mais si !
- Non… Pas vraiment… Je le vois bien… Je voudrais tant, tu sais… Dis-moi… Quelque chose que tu voudrais… Que tu aimerais par-dessus tout… Que je te le fasse… Que je te le donne…
- Tu veux vraiment ?
- Oh, oui, oui ! Dis !
- Tu sais, Mademoiselle Valiergue, la prof de chant, eh bien quand il y en a une qui chante faux pendant les répétitions elle lui met la fessée… Et pas qu’un peu !
- Mais je chante pas faux !
- Non, mais tu pourrais…
- Ah, oui, je comprends, oui… C’est ça que tu veux… Je le ferai… Pour toi…


Mercredi 10 Novembre 1920

Je l’ai fait. Non sans mal. Mademoiselle Valiergue m’a d’abord considérée d’un air surpris…
- Mais enfin qu’est-ce qui vous arrive ?
Puis scandalisé…
- Vous ! Vous !
Et enfin furieux…
Cette fois vous n’allez pas y couper…
Je n’y ai pas coupé.
Elle a tapé fort. Très fort. À la mesure de la déception que je lui causais…
Et elle m’a laissée nue…
- Que ça vous serve de leçon ! Et d’exemple aux autres…
Dorothée m’a discrètement et amoureusement caressé les fesses…
- Merci… Oh, merci ! Je te revaudrai ça…

lundi 5 décembre 2011

Un grand merci à Emma qui, après avoir si gentiment illustré chacun des chapitres de "Belle-soeur, beau-frère" ( voir ci-contre )a bien voulu mettre en dessin les chapitres 23 et 24 des "Souvenirs d'avant"


Vous pouvez la retrouver ici:


http://emmapage.canalblog.com/

Souvenirs d'avant ( 23 )




23-

Le seigneur Amauri de Joux se prépare pour la croisade.
Pour la vingtième fois au moins il me fait ses recommandations…
- En mon absence prends soin de tout, mon fidèle compagnon. Je compte sur toi. Mais surtout veille sur ma femme. Veille sur Berthe. S’il lui arrivait quelque malheur que ce soit je ne m’en remettrais pas…

Il y a eu des pleurs. Des embrassades. Encore des pleurs. Encore des embrassades. Et il est parti.
Il s’est retourné une dernière fois, avec un signe de la main, avant de disparaître, au sud, derrière le petit bois.
Elle, elle est restée, en larmes, à la fenêtre. Quand la nuit est tombée elle y était encore.

Ses journées, elle les passe dans sa chambre à attendre en se lamentant son retour.
- Sortez, Madame, allez prendre l’air, nourrissez-vous, je vous en conjure ! Vous vous affaiblissez de jour en jour. Que dira votre mari, à son retour, s’il vous découvre ainsi exsangue ?

Alors elle sort. Un peu. Elle fait, à petits pas, le tour des remparts. S’y attarde à fixer, au loin, pendant des heures, quelque chose qu’elle est la seule à voir.

Un nuage de poussière. Qu’elle a aperçu la première. Elle m’agrippe le bras. L’enserre à le briser… Ca approche… Elle relâche son étreinte…
- Non… Ce n’est pas son cheval…

Ce n’est pas lui. Mais c’est…
- Aimé !
Aimé de Montfaucon. Son compagnon de jeux. Celui avec qui elle a passé son enfance.
Elle se précipite à sa rencontre.

- Mais… tu es blessé !
On l’aide à descendre de cheval. Il grimace de douleur.
Il est blessé, oui. Et…
- Je ne suis pas porteur de bonnes nouvelles.
Elle s’accroche à mon bras.
- Amauri ?
- Amauri… Oui…
Elle s’appuie de tout son poids contre moi.
- Il n’est pas ? Réponds-moi, Aimé, je t’en supplie, réponds-moi ! Il n’est pas ?
- Il va te falloir être très courageuse.
Elle s’écroule à mes pieds sans connaissance.

Elle l’a installé au château.
- Le temps qu’il guérisse… Qu’il reprenne des forces.
Elle passe le plus clair de son temps avec lui. Elle le panse. Elle le soigne. Elle lui tient la tête pour qu’il boive.
Et ils parlent. Ils parlent des heures durant.

Elle recommence à rire. Un peu. De plus en plus.
Il va mieux. Il fait le tour des remparts, appuyé à son bras.

Il est guéri.
À table il occupe maintenant la place du maître.
À la chasse il monte ses chevaux.

Il dort dans son lit. Avec elle.

jeudi 1 décembre 2011

Escobarines: Honte


C’est moi !
- Eh bien entre ! Oh, tu as pleuré, toi !
- Un peu…
- Un peu ? Beaucoup tu veux dire, oui ! Qu’est-ce qui se passe ? Encore un amoureux qui n’a pas été gentil avec toi ?
- Non… Pas cette fois, non…
- C’est quoi alors ? Raconte ! Tu sais bien que tu peux tout me dire… Que je peux tout entendre…
- C’est que… c’est pas facile…
- Essaie toujours… Viens là ! Près de moi… Viens là et essaie…
- Elle me l’a encore fait…
- Qui donc ? Quoi donc ?
- Ben elle ! Elle m’a fouettée… À mon âge ! À vingt ans passés… Tu te rends compte ?
- Probable que tu avais encore dû faire ta vilaine…
- Un peu… Un peu quand même, oui…
- Un peu ou beaucoup ?
- Ben…
- Parce que quand tu t’y mets, toi !
- Je peux pas m’empêcher…
- Si tu le voulais vraiment…
- Je sais, oui…
- Tu pourrais essayer… Au moins essayer… Non ? Tu ne crois pas ?
- Si !
- Bon… Mais elle a tapé fort ?
- Ah, oui alors ! Tu verrais ça !
- Eh bien fais voir !
- Je…
- Allons, ne fais pas l’enfant ! Fais voir, j’te dis !

- Ah, oui ! Oui… Oh la la, oui ! Elle t’a pas loupée, dis donc !
- La dernière fois t’avais une crème qui m’avait drôlement calmée…
- Je l’ai toujours… Laisse-moi juste l’attraper… Là… Penche-toi ! Appuie-toi sur moi… Sur mes genoux… Là… Ça te fait du bien ?
- Oh, oui que ça me fait du bien, oui ! Parce que comment ça me brûlait ! Continue ! Continue ! T’arrête pas surtout…
- Je n’en ai pas du tout l’intention…

- Tu dis plus rien ?
- Non… Non… Je…
- Savoure ?
- Ca me…
- Fait des choses… Oui, ben ça je vois bien…
- Arrête !... Non, arrête sinon je vais…

- Eh ben ça y est tu as… Et t’as pas pas fait semblant…
- J’ai honte…
- Menteuse !
- Oh, si, si, c’est vrai, hein !
- Mais c’est tellement bon la honte, non ?
- Quelquefois… Ça dépend…

- Bon… Et si maintenant tu me disais la vérité ?
- La vérité ? Quelle vérité ?
- À propos de cette fessée…
- Hein ? Mais il y en a pas de vérité… C’est juste ce que je t’ai dit… Qu’elle m’a fouettée… Parce que – et ça c’est vrai, je reconnais – j’ai été odieuse avec elle…
- Je veux la vérité…
- Mais c’est ça !
- Tu sais très bien que non…
- Je… Je peux pas…
- Mais si ! Qui c’est qui t’a fait ça, Anne-Lise ?
- C’est… C’est moi…
- Ah, ben tu vois ! Tu vois que tu y arrives ! Et pourquoi ?
- Pour que… Pour que tu m’en passes de la crème… Comme la dernière fois…
- Sauf que cette fois-ci…
- Le dis pas ! Le dis pas !
- Non… C’est toi qui vas le dire…
- Oh, non !
- Bien sûr que si !
- J’ai…
- Tu as ?
- Joui… J’ai honte…
- Ce dont tu devrais surtout avoir honte, c’est d’avoir menti…
- Je sais, oui…
- Ça mérite, non ?
- Si…
- Ça mérite quoi ? Dis-le !
- Une fessée…
- Que tu vas recevoir… Et pas plus tard que tout de suite…