lundi 31 août 2009

Colocataires ( 2 )

Quand je suis rentré ce soir-là il y avait un garçon avec elle dans sa chambre. Qui s’est discrètement éclipsé au moment de passer à table. Qu’elle a raccompagné jusqu’en haut de l’escalier…

- Il peut rester si tu veux…

- Oh non, non !… C’est pas la peine…

- C’est ton petit copain ?

- Lui ?… Il y a pas de risque…

- T’en as pas de petit copain ?

- En ce moment ?… Si !…

- Pourquoi tu le ramènes jamais ?

- Que je le ramène ?… Ici ?… Pour dormir ?… Oui, ben alors là vous prenez des risques… C’est vous qui dormiriez pas… Et les voisins non plus… Parce que qu’est-ce que je peux brailler quand je le fais… Moi, je me rends pas compte… Je m’entends pas… Mais c’est hallucinant il paraît… Tout le monde le dit…




- Et vous ?

- Quoi, moi ?

- Vous avez quelqu’un ?

- Pourquoi tu me demandes ça ?

- Parce que… Où c’est que vous disparaissez comme ça tous les dimanches ?… Vous vous mettez sur votre tente-et-un et souvent quand je reviens de chez mes parents vous êtes pas encore rentré… Vous allez loin en plus… Quatre-vingts kilomètres… J’ai vérifié au compteur…

Alors comme ça tu m’espionnes ?…

- Non, mais faut bien que je sache… Parce que si vous en avez rencontré une elle va faire des pieds et des mains pour venir s’installer ici… Forcément !… Avec la maison que vous avez… Et elle voudra me virer… Parce que la façon dont on s’entend tous les deux c’est obligé que ça va pas lui plaire… En plus moi avec les bonnes femmes ça passe pas… C’est jamais passé…

- En somme, si je te comprends bien, il faudrait que je renonce à toute vie sexuelle pour tes beaux yeux…

- J’ai jamais dit ça…

- Mais ça revient à ça…

- De toute façon à votre âge on n’a plus beaucoup d’envies… C’est presque fini…

- Ben voyons !…

- On peut s’en passer en tout cas…

- D’autres peut-être… Moi, pas !… Et comme je suppose que, quelle que soit l’envie que j’en aie, je peux pas compter sur toi pour ça…

- Ah non, non !… Quelqu’un de votre âge je pourrais jamais alors là !… Ca me dégoûterait trop…

- Donc je n’ai pas d’autre solution que de mettre mes dimanches à profit pour…

- Jusqu’au jour où il y en a une qui vous mettra le grappin dessus… C’est couru d’avance… Et où je serai bonne pour dégager…

- A moins que…

- A moins que quoi ?

- Pour autant que je puisse en juger – je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de tout voir – mais pour autant que je puisse en juger tu es une très belle jeune femme, Victorine, et le plaisir des yeux peut quelquefois remplacer très avantageusement l’autre… Ou, à tout le moins, lui servir de support…

- C’est quoi la traduction de ce charabia ?

- Que si tu consentais à déambuler quelquefois dans la maison sans voiles…

- Ah !… Vous voulez que je me promène à poil, c’est ça ?… Ben fallait le dire !… Parce que si vous saviez ce que je m’en fous !… Chez moi c’est tout le temps que j’y suis… Bon, mais alors si je le fais vous irez plus courir je sais pas trop où le dimanche… c’est juré ?…

- Je resterai ici…

- Bon… Bon… Marché conclu…




Ce ne devait pas être, pour elle, aussi naturel qu’elle le prétendait parce qu’elle ne s’y est pas résolue tout de suite…

- Oh, mais vous êtes bien pressé… On a tout notre temps…

Parce qu’elle a même semblé vouloir renoncer…

- Quand !… Quand !… Vous verrez bien quand !… Si je le fais… Parce que jusqu’à preuve du contraire c’est encore moi qui décide !…




Ca a été un soir. Un soir que je venais d’évoquer, en dînant, à mots couverts, la possibilité de reprendre mes escapades du dimanche après-midi. Quand je l’ai rejointe au salon, après avoir remis la cuisine en ordre, je l’y ai trouvée allongée sur le canapé, entièrement nue. Elle n’a pas relevé la tête. Elle a juste un peu replié les jambes, sans quitter l’écran des yeux, pour me laisser m’asseoir… Et elle a regardé – on a regardé – le film jusqu’au bout… Jusqu’à ce qu’elle se penche pour attraper la télécommande… Jusqu’à ce qu’elle se relève…

- D’habitude jamais vous seriez resté aussi longtemps devant un navet pareil…




Elle n’a pas recommencé. Pas tout de suite. Il s’est passé près d’une semaine avant qu’elle s’offre à nouveau, un soir, à mes regards. Dans les mêmes conditions. Après le repas devant la télé. Mais seulement, à mon grand désappointement, quelques brèves et précieuses minutes…

- Je suis complètement vannée ce soir… Je tiens plus debout… Je vais me coucher…




Encore une longue – très longue, trop longue, interminable – attente. Et puis un dimanche. Tout entier. Du matin au soir. Elle a déjeuné nue. Elle a passé l’aspirateur. Nue. Etendu le linge dehors. Nue. Elle m’a fait la causette pendant que je cuisinais. Nue. Elle a bronzé dans le jardin. Nue. Elle a dîné nue… Nue. Nue. Toute nue…

- Vous voyez que je peux être très gentille quand je veux…

Et elle est allée s’installer sur le canapé, une jambe repliée, à angle droit, vers l’extérieur…




- Vous savez quoi ?… Eh bien demain c’est mon anniversaire… 23 ans ça va me faire…

- Ca se fête… Je t’emmène au restaurant…

- Chouette !… J’adore... Où on ira ?

- Ca, c’est une surprise…

- Faut que je m’habille comment ?

- Faut que tu te fasses belle… Aussi belle que quand tu sors en boîte… Et tu sais ce qui me ferait plaisir ?… Mais alors là vraiment plaisir…

- Non… Dites…

- C’est que t’oublies de mettre une culotte dessous…

- A quoi ça servirait ?… Personne le verrait…

- Oui, mais moi je le saurais…

jeudi 27 août 2009

Colocataires ( 1 )

- Salut !… C’est ici que vous cherchez une colocataire ?

- Pas du tout, non...

- Ah bon !… Pourtant on m’avait dit … Sûrement que je me suis trompée de numéro… Ou même peut-être de rue… Tête en l’air comme je suis… N’empêche que c’est dommage !… Parce que qu’est-ce que ça a l’air grand chez vous… Et lumineux… Je peux jeter un œil ?… Ah oui, dites donc !… Et il y a encore une pièce là ?… Mais c’est un palace !… Vous vivez tout seul ?… Oui ?… C’est du gâchis un grand truc comme ça pour quelqu’un de tout seul… Comment ça m’aurait plu, moi, d’habiter là… Surtout que vous êtes vieux… Quel âge vous avez ?… Au moins cinquante ans je suis sûre… Et qu’avec un vieux on est tranquille… Il vous embête pas… Parce qu’un jeune une fille elle est à peu près sûre qu’il va vouloir coucher… Forcément… Il aura que ça en tête… Vous y avez jamais pensé, vous, à prendre une colacataire ?… Vous devriez… Parce que c’est pas bon de rester comme ça dans son coin… On devient con à force… Bon, mais c’est vous qui voyez… Moi, ce que j’en dis… En tout cas si vous changez d’avis vous pensez à moi, hein !… A condition que vous soyez pas trop gourmand… Parce que j’ai pas beaucoup de thunes… Je suis qu’étudiante…

Et elle a griffonné son numéro de téléphone sur un petit bout de carton qu’elle a jeté sur la table du salon…

- On sait jamais… Bon, ben salut !…




- Alors comme ça vous vous êtes décidé ?…Un peu que ça m’intéresse !… Un peu !… J’arrive !… Enfin non !… Pas tout de suite… Je peux pas… J’ai pas de bagnole… Et ils sont déjà tous en vacances mes copains… Oh, c’est pas de pot !… Comment je vais faire ?… S’il faut que j’en loue une… Ca coûte la peau des fesses… Et puis déménager toute seule !…

- C’est loin ?

- De chez vous ?… Oh non !… Dix minutes… A peine…

- Et il y a beaucoup d’affaires ?

- Trois quatre cartons…




Il y en avait une douzaine…

- Je vous laisse faire… Ils sont lourds que le diable… Vous les mettez où ?… Là ?… Ca va être là ma chambre ?… Je pourrais pas avoir l’autre en face plutôt ?… Avec la vue sur le parc… Qui ça ?… Votre sœur ?… Et elle vient souvent votre sœur ?… Oui, oh ben pour trois jours par ci par là… Je déménagerai… On verra ça à ce moment-là…




Elle s’est laissé tomber dans le grand fauteuil près de la porte-fenêtre…

- Bon, ben voilà !… J’y croyais pas… J’avoue que j’y croyais pas… Quand je suis repartie de chez vous l’autre jour j’étais sûre que ça le ferait pas… Que vous voudriez jamais… Et que même ça valait mieux… « Parce que ça doit être le genre de vieux chnoque qui supporte rien… Pas de bruit… Pas de musique… Pas de copains… »… Comme quoi on peut se tromper… Tout le monde peut se tromper…




- Et pour le loyer ?… Faudrait que vous me disiez… Que je sache où je vais…

Je n’avais pas la moindre idée de ce qui se pratiquait…

- Je me renseignerai… On verra ça… Il y a rien qui presse…

Il y avait rien qui pressait, non… Elle trouvait, elle aussi, qu’il y avait vraiment rien qui pressait…




- Bon… Mais comment on va faire pour la bouffe ?… Parce qu’il y en a qu’une de cuisine… Et si chacun prépare de son côté le soir – le soir, parce que le midi je serai pas là et sûrement vous non plus – on va forcément se marcher sur les pieds… Et c’est un peu con en plus… Le mieux, ce serait qu’on prépare à tour de rôle… Pour les deux… On mangerait ensemble comme ça… Ce serait quand même moins chiant que tout seul… Non, vous trouvez pas ?




Je trouvais, si !… Ca a duré une semaine… A peine…

- J’ai pas le temps ce soir… J’ai un truc pressé à finir… Ca vous ennuierait si je sautais mon tour pour une fois…

Elle l’a aussi sauté le surlendemain…

- Je sais pas quoi faire… J’ai pas d’idée… Et j’ai pas fait de courses en plus !…

Et le jeudi suivant…

- Vaut mieux que ce soit vous qui vous en occupiez de toute façon… Vous êtes nettement plus doué que moi…

Et elle m’a définitivement abandonné les fourneaux…




Son dessert sitôt avalé, elle courait systématiquement s’affaler de tout son long devant la télé…

- Ca va commencer… Je vous laisse ranger… Je veux pas manquer le début…

Je la rejoignais quelques instants plus tard…

- J’ai mis la une… Il y avait rien sur les autres chaînes… Vous vous en fichez, vous, n’importe comment…




Le vendredi soir elle sortait. Que le vendredi soir. Mais tous les vendredis soirs. En fin d’après-midi elle allait s’enfermer dans la salle de bains et n’en ressortait, resplendissante, que sur le coup de neuf heures…

- Ils vont pas tarder…

Des coups de klaxon impérieux résonnaient sous les fenêtres…

- Qu’est-ce que je vous disais !… Les v’là !… J’arrive !… Bon, ben à demain…

Elle dévalait l’escalier…




Le lendemain, elle émergeait à midi… Au plus tôt… Naviguait, au radar, jusqu’à la table de la cuisine…

- Hou la la !… J’ai la tête dans le cul… Vous voudriez pas me préparer un café ?… Bien serré… Vous seriez un amour…

- C’était bien ?… Tu t’es bien amusée ?

- C’était nul… Comme d’habitude…

- Pourquoi t’y vas alors ?

- Parce que… Vous m’en redonnez un autre de café ?… Parce que c’est le seul endroit où on peut trouver des mecs qui vous prennent pas trop la tête… Vous faites quelque chose de spécial cet après-midi ?

- Non… Pourquoi ?

- Vous pourriez peut-être m’emmener au Centre Commercial alors ?!… Parce qu’en car c’est pas le pied… Et avec tous les sacs que je ramène…




- Finalement ça se passe plutôt bien, hein, tous les deux ?!

- Il y a pas de raison !

- Oh ben si, attends, si !… C’était pas gagné… Tout le monde me le disait : « Avec un vieux comment tu vas te faire chier !… » Et c’est vrai qu’il y en a ils sont lourds !… Vous verriez tout ce qu’elle nous raconte Clotide !… Elle, c’est chez un couple qu’elle est… Il y a un réglement… Des horaires à respecter… Et tout et tout !… Comment elle en bave !… Et Mathilde c’est encore pire… La bonne femme elle va vérifier dans sa chambre si elle a bien fait le ménage et comment c’est rangé… Ce serait de moi je peux vous dire que je plierais bagage vite fait… Non… Faut reconnaître que j’ai eu le nez fin en venant ici… D’autant plus que, tiens !… Vous voulez que je vous dise ?… J’y suis allée au flan le jour où je suis venue vous trouver… Parce que comment elle me plaisait trop la maison… Je le savais parfaitement que vous cherchiez personne pour faire la colocataire… J’ai tenté le coup… J’ai drôlement bien manœuvré au final, non, vous trouvez pas ?

lundi 24 août 2009

Abandons ( 5ème jour )

Lentement, mains dans le dos, entre les allées. Dans un sens. Dans l’autre. Encore. Et encore...

- Bien... C’est bien... Ca avance... Je suis content de toi... Mais n’en oublie pas pour autant de respecter notre contrat... A la lettre... Tu y mets de la bonne volonté, oui, c’est vrai, mais tu peux faire encore mieux... Beaucoup mieux... Une belle femme comme toi !... Elle ne doit pas hésiter à montrer tout ce qu’elle a à montrer... En long, en large et en travers... Sinon... Sinon on va pas être d’accord tous les deux et tu risques de t’attirer bien des désagréments... Ce serait dommage, non, tu crois pas ?




- Evidemment qu’il te regarde !... Il fait même que ça !... A longueur de journée... Et il a mis une paire de jumelles en batterie... Mais tu sais ce que je t’ai dit... Je tiens absolument à ce que tu restes décente... N’essaie pas de profiter de la situation pour te livrer, comme à l’accoutumée, à ces petits jeux dont tu es si friande... Tu aurais affaire à moi...




- Non, non, non, tu restes ici... Retourner désherber à côté, par cette chaleur, ce serait de la folie furieuse... Profites-en pour te distraire un peu... Fais un puzzle... Ou amuse-toi avec tes cubes... C’est bien la peine que je t’aie acheté tout un tas de joujoux l’autre jour si c’est pour qu’ils restent dormir dans un placard... Où ?... Mais où tu veux !... Là, par exemple, sur le tapis... Tu gêneras personne...

Et elle s’est installée dans un fauteuil, juste en face, avec un livre...




- Ah, enfin !...

Elle s’est précipitée dans l’entrée...

- Ben alors qu’est-ce vous faisiez ?...

- On voulait venir plus tôt, mais figure-toi que Marie-Agnès...

- Chut !... Chut !... Moins fort !...

- Elle est là ?...

- Evidemment qu’elle est là... Où veux-tu qu’elle soit ?

Ca a pouffé. Ca a chuchoté. Ca s’est approché de la porte. C’est entré. Deux femmes. Jeunes. Autour de la trentaine. Qui m’ont examinée avec curiosité...

- Alors c’est elle ?... C’est celle-là ?... Je la voyais pas comme ça, mais alors là pas du tout... En tout cas elle en a pris une bonne...

- Qu’elle avait pas volée... Viens dire bonjour, Raphaëlle... Viens faire la bise... Là !... A Aurélie aussi... C’est bien... C’est très bien... Et maintenant explique-leur pourquoi tu as été punie...

- A cause de quelque chose qui s’est passé quand ça faisait école là-bas...

- Oui, mais quoi ?

- Je sais pas...

- Ah non !... Tu vas pas recommencer...

- Je crois que c’est à cause de Noëlle...

- Ah ben voilà !... Tu vois quand tu veux... Et pourquoi à cause de Noëlle ?...

- Parce que... sûrement parce qu’on a couché ensemble toutes les deux...

- Ne sois pas ridicule !... Donne-moi des raisons valables...

- Je vois pas…

- Eh bien cherche !… Et tâche de trouver si tu veux pas en attraper une autre… En attendant retourne faire mumuse… On a à parler toutes les trois…




- Vous voyez !… Qu’est-ce que je vous disais !… Vous n’aurez aucun problème avec elle… Absolument aucun… Ca rentre comme dans du beurre… Elle est d’une nature, disons très… accommodante pourvu qu’on fasse preuve de caractère… Suffit de s’imposer d’entrée de jeu et on en fait ce qu’on veut… Tout ce qu’on veut… Et elle vous en sait gré… Elle vous en est reconnaissante… Parce que si elle n’a pas, au-dessus d’elle, quelqu’un pour la guider et la diriger elle est complètement perdue… Elle part à la dérive… De toute façon si jamais vous rencontriez la moindre difficulté avec elle vous n’hésitez pas et je peux vous assurer que je la ramènerais très vite à de meilleures dispositions…




- Comment tu les trouves ?… Sympathiques, non ?

- Oui… Oui…

- Vous vous entendrez très bien, tu verras…

- C’est qui ?

- Des employées de mon père avec lesquelles j’ai sympathisé et avec qui tu seras amenée à travailler à compter du 1er Septembre…

- Je devrai faire quoi ?

- Tu verras bien… Le moment venu… Et tu feras ce qu’on te dira… Un point c’est tout… J’ai demandé à Aurélie – à Marie-Agnès aussi, mais dans une moindre mesure – d’avoir tout particulièrement l’œil sur toi… J’ai une totale confiance en elles… Elles me feront régulièrement leur rapport et à la moindre incartade…




- On est bien… Enfin on respire …

Toutes les deux longtemps sur la balancelle, dans l’ombre du tilleul…

- Tu es heureuse, Raphaëlle ?

- Oui, je suis heureuse, oui…

Et j’ai laissé glisser ma tête sur son épaule…

- Dis-moi, elle est devenue quoi, Noëlle ?

- Je ne sais pas…

- Tu ne l’as pas revue ?

- Non…

- Tu ne lui as pas écrit ?

- Non… Non plus…

- Après ce qui s’est passé entre vous là-bas !… Et ça ne te gêne pas ?… Tu trouves ça normal ?… Est-ce que tu te rends seulement compte de ce qu’elle a dû endurer ?

- Elle aurait pu me contacter, elle aussi, si elle avait voulu…

- Tu savais très bien qu’elle attendrait forcément que ce soit toi qui te manifestes…

- Oui, mais…

- Oui, mais quoi ?… T’en avais rien à fiche d’elle, c’est ça ?… Tu as profité de l’occasion sur le moment et puis c’est tout… Et pour avoir la paix, pour éviter les scènes, tu lui as fait miroiter un après dont tu savais pertinemment qu’il n’existerait pas…

- Non, non, j’avais vraiment envie qu’on se revoie…

- Ben pourquoi tu t’es pas débrouillée pour alors ?

- Je sais pas…

- Comme d’habitude… Mais il est encore temps… Il est toujours temps… Il y a du papier à lettres dans le premier tiroir de la commode… Allez, va vite…

jeudi 20 août 2009

Abandons ( 4ème jour )

C’était un autre facteur avec, lui aussi, un recommandé…

- Il y en aura un tous les jours… J’ai fait ce qu’il fallait pour… Du coup on va tous les voir défiler… Tu penses bien qu’ils vont pas laisser passer l’occasion… Et qu’ils vont se les échanger les tournées… Jusqu’à ce qu’ils soient tous venus constater par eux-mêmes… Ah, tu vas faire causer, ça c’est sûr !… Tu fais déjà causer… J’ai eu des échos… Faut reconnaître aussi que t’es trop, toi, dans ton genre… Je te regardais tout à l’heure… Comment t’étais gênée !… S’il y avait eu un trou de souris quelque part t’aurais pas mis deux heures à aller te faufiler dedans… Alors faudra quand même que tu m’expliques quelque chose : comment tu peux te montrer, dans toutes sortes de circonstances – comme avec Pierre par exemple – provocante à outrance…

- Mais je suis pas provocante !…

- Et, dans d’autres, d’une pudeur maladive ? Hein ? Comment t’expliques ça ?… Tu vas encore me dire que tu sais pas… Tu m’agaces à force… Tu m’agaces vraiment… Eh bien je vais te dire, moi !… C’est la même chose au fond… Dans un cas comme dans l’autre c’est l’effet que tu produis qui te préoccupe… L’effet que ta petite personne produit… Tu es beaucoup trop centrée sur toi-même… Beaucoup trop à l’affût de ce que les autres pensent de toi… A la recherche de leur approbation… Ou de leur admiration… Mais fais-moi confiance : tu vas me perdre très vite ces très mauvaises habitudes… Je vais m’en occuper personnellement…




- Tiens, enfile ça !… On va aller faire quelques courses… Et soigner ton ego…

- Ca ?… Mais tout le monde va se retourner sur moi !

- Justement !… Raison de plus…




D’abord un magasin de jouets… Elle s’est lentement promenée entre les rayons… A tranquillement fait son choix… Des cubes… Un jeu de construction… Une poupée… Des puzzles avec de gros morceaux… A la caisse elle a cru bon de préciser…

- C’est pour cette grande fille… Elle fait preuve de beaucoup de bonne volonté… Il faut bien la récompenser un peu…

La caissière m’a lancé un regard stupéfait, puis amusé, finalement ironique… Je suis devenue écarlate…



Ensuite une grande halle aux vêtements…

- Va essayer ça !…

Une robe grise à longues manches avec de grosses fleurs roses brodées sur la poitrine… Elle a brusquement écarté le rideau…

- Non… Ca plutôt!…

Une autre, bleue, avec des volants… Elle n’a pas complètement refermé le rideau… Un type est passé… A regardé, avec insistance, par dessus son épaule… Est repassé…

- Non plus !… Enlève !… Elle m’a laissée nue… S’est éloignée… J’ai fixé le porte-manteau… J’entendais des gens parler, marcher… Quelqu’un a ri tout près… Elle est revenue… Une rouge cette fois dans laquelle je suis précipitamment entrée…

- Oui… Ca ira… A peu près…



Enfin un magasin d’accessoires pour chiens… Elle a filé tout droit jusqu’aux martinets… En a fait claquer quatre ou cinq en l’air l’un après l’autre, a longuement examiné les manches, les lanières… Elle en a choisi un que le vendeur a enfoui dans un sac en plastique…

- Le chien n’aura qu’à bien se tenir…

- Oui, oh, le chien… Il a pas grand chose à voir là-dedans le chien…

Il a brusquement réalisé, levé sur moi un regard entendu, s’y est longuement attardé…

- Oui, vous avez raison… Dans certains cas il n’y a effectivement pas d’autre solution… Quand il y a que ça qu’on comprend…




- J’ai vraiment passé une excellente journée… Pas toi ?

- Si… Oui… Si…

Du bout des lèvres…

- Ah oui ?… C’est pas l’impression que ça donnait… Qu’est-ce t’as préféré ?… Non, non, ne dis rien !… Laisse-moi deviner… Le magasin de vêtements, je parie !… A cause du petit jeune qui s’était posté juste en face et qui n’a pas arrêté de te dévorer des yeux tout le temps que t’as été dans la cabine… C’est ça, hein ?!…

- Il y avait un petit jeune ?… Je l’ai pas vu !…

- Fais bien l’innocente en plus !…

- Non, mais si, c’est vrai, hein !

- Par contre là où il faudra qu’on retourne impérativement c’est où je t’ai acheté le martinet… J’ai ma petite idée… Je suis sûre qu’il adorerait me voir m’en servir le type… On peut bien lui offrir ce petit plaisir… Ca ne nous coûterait pas grand chose… Et ça t’aiderait à te libérer de cette obsession permanente du qu’en-dira-t-on… Hein, qu’est-ce que tu en penses ?… Rien… Elle en pense rien… Bon, mais ça aussi…




J’ai refermé le cahier…

- C’est fini ?

- Ben oui… Oui…

- Donne !… Je le relirai… A tête reposée… En attendant tu ne m’as toujours pas dit ce que tu pensais de ce qui s’est passé à l’infirmerie… Mais il y a plus grave… Beaucoup plus grave… Je suppose que ça, par contre, tu en as parfaitement conscience… Oui, ben vu la tête que tu fais ça n’a vraiment pas l’air… Bon, mais on va te mettre sur la voie… Va me chercher notre beau martinet tout neuf… On va l’étrenner… Il ne te restera plus ensuite qu’à méditer… A te relire si besoin est et à méditer… Tu vas me le chercher ?… Donne !… Merci… Mets-toi à genoux… Les mains sur la tête…

lundi 17 août 2009

Abandons ( 3ème jour )

- Il s’est plaint de toi…

- Qui ça ?…

- Et elle demande qui !… Ca fait trois jours que tu te balades à poil sous ses fenêtres et tu voudrais qu’il trouve ça normal !…

- Mais c’est toi qui m’as dit !…

- Que je te voulais toujours toute nue dans la maison, oui !… Je n’ai jamais parlé du jardin…

- Mais tu m’as pris tous mes vêtements !…

- Et alors !… T’as pas une langue ?… Tu peux pas demander ?… C’est grave ce que tu as fait… Très très grave… Tu sais qu’il serait parfaitement en droit d’aller porter plainte… Et qu’il voulait d’ailleurs le faire… Heureusement que je suis en excellents termes avec lui et que j’ai pu intercéder avec succès en ta faveur… Sinon… Alors tu vas me faire le plaisir d’aller immédiatement le remercier et t’excuser de ton indécent comportement…

- Comme ça ?… Sans rien ?

- Evidemment comme ça !… Au point où tu en es !… Il est un peu tard pour te mettre à jouer les vierges effarouchées, non, tu crois pas ?




- Ah, c’est vous ?!… Qu’est-ce que vous voulez ?

- Je venais m’excuser…

- Non, mais alors là c’est la meilleure !… Elle se fiche carrément de moi celle-là, oui !… Carrément !… Alors ça lui a pas suffi !… Il faut qu’elle vienne en rajouter une couche et tout me flanquer sous le nez jusque chez moi… C’est de la provocation… Purement et simplement de la provocation… Oh, mais ça va pas se passer comme ça !… On va y aller au tribunal… Et on verra si devant le juge tu feras autant ta maligne… Il va te soigner, ma petite, fais-moi confiance qu’il va te soigner… Je ferai ce qu’il faut pour… Et je peux t’assurer qu’on aura beau essayer de venir m’apitoyer cette fois-ci je ne reviendrai pas en arrière… Tu vas manger, je peux t’assurer que tu vas manger…

Sans que rien ait pu le laisser prévoir il s’est brusquement radouci. …

- A moins que… Assieds-toi !… A moins que… Tu veux boire quelque chose ?… Non ?… Assieds-toi au moins !… Là…

Il est venu s’installer à mes côtés, a effleuré ma cuisse de la sienne…

- On pourrait sûrement s’entendre tous les deux… Il suffirait que tu y mettes un peu de bonne volonté… Que tu te montres un peu conciliante… Gentille… Très gentille… Je suis sûr que tu saurais très bien faire… Que tu sais très bien faire quand tu veux… Non ?…

- Alors là si vous avez l’intention de me…

- De te quoi ?…

- Ben…

- Mais qui te parle de ça ?… Est-ce qu’à aucun moment j’ai fait quelque allusion que ce soit à ça ?… Réponds !… Et sois honnête !… Ah, tu vois !… S’il y a quelqu’un qui y pense ici c’est toi !… Personne d’autre… Et au risque de te décevoir je peux t’assurer qu’il ne sera jamais question de ça entre nous… Jamais !… Non… Ce que j’attends de toi… Viens voir !…

Il m’a entraînée jusqu’à la fenêtre…

- Regarde !… Moi aussi j’ai un jardin…

Qui était dans un état !…

- Tu viens t’en occuper tous les après-midi, maintenant que tu as fait tes preuves, et j’oublie tout… J’abandonne les poursuites… A condition bien sûr que tu te montres compréhensive et que tu continues à adopter, comme tu l’as si savamment fait à côté, ces délicieuses postures qui ne laissent rien ignorer de tes secrets les plus intimes… A toi de voir… A toi de décider…

- Faut que je demande à Pernelle…

Demande !… Demande !… Et compte sur moi pour plaider ta cause auprès d’elle… Avec conviction… De ce côté-là il y a aucun problème…




- Qu’est-ce que tu es encore allé manigancer ?

- Mais rien !… Rien du tout !… C’est lui qui m’a dit ça !… Qu’il voulait que je vienne désherber son jardin…

- Je le vois venir l’animal… Mais c’est de ta faute aussi !… Si tu n’en avais pas profité pour l’allumer tant et plus quand tu t’occupais du mien il aurait jamais eu une idée pareille...

- Mais je l’ai pas allumé !…

- Ben voyons !… Je t’ai vue… De mes propres yeux vue… A quatre pattes le cul en l’air dans les plates-bandes en train de le lui agiter tant et plus sous le nez ton popotin…

- Mais non !… J’ai jamais…

- Quand est-ce que tu me perdras enfin cette sale habitude de nier comme ça sans arrêt l’évidence ?…

- J’irai pas alors ?…

- Tu feras ce qu’on te dira… Et… Si, tu vas y aller, si !… et me faire le plaisir de te comporter de façon décente… Et je te rappelle, à toutes fins utiles, que je t’ai formellement interdit, jusqu’à nouvel ordre, toute forme d’activité sexuelle…

- Oui, mais lui aussi il a dit que non… Qu’il y en aurait pas…

- Ah, parce que vous en avez parlé ?… De mieux en mieux !… Et il a dit que… Tu parles !… Laisse-moi rire… Je le connais… Mais surtout je te connais, toi !…

jeudi 13 août 2009

Abandons ( 2ème jour )

On a sonné…

- Va ouvrir !…

J’ai marqué un temps d’hésitation…

- Eh bien !… Qu’est-ce que t’attends ?… Va ouvrir !…

C’était le facteur…

- Un recommandé pour Mademois…

Il m’a regardée, stupéfait. De haut en bas. De bas en haut. Les yeux écarquillés. Sa glotte s’est mise à tressauter comme un cabri. Par réflexe, je me suis dissimulée, comme j’ai pu, de mes bras et de mes mains ramenés contre moi. Ridicule. Complètement ridicule. J’ai renoncé. Derrière Pernelle s’était approchée, tout sourire…

- Ca va ce matin, Monsieur Farnier ?…

- Hein ?… Oh oui, oui… Tenez, faut signer là… Pas là, non, là…

Il ne me quittait pas des yeux…

- Vous prendrez bien un petit café ?

- C’est pas de refus… Avec le temps qu’il fait…

- Tiens, Raphaëlle, tu veux t’en occuper ?… Mais où elle est passée ?… Raphaëlle !… Ben alors ?!… Où t’étais ?… Qu’est-ce que tu fabriquais ?… Tu pourrais rester avec nous quand même !… C’est la moindre des politesses…




- Comment tu l’as trouvé ?… Sympathique, hein ?… Et puis de bon service, tu t’en rendras compte par toi-même… Surtout qu’on n’a pas fini de le voir maintenant… Parce que je le connais il t’a trouvée à son goût… Très à son goût… Mais ne va pas te bercer d’illusions : il n’est pas question que je te laisse en user à ta guise avec ce pauvre homme…

- Hein ?… Mais j’ai jamais eu l’intention de…

- Oui… Oh, alors ça !… Tu crois que j’ai pas vu clair dans ton jeu ?… Tu m’as fait honte… Honte comme c’est pas permis… Non, mais comment tu l’as aguiché ! Tu te serais allongée jambes ouvertes sur la table de la cuisine que ça n’aurait pas été plus provocant… Mais je peux te dire, ma petite, que je vais définitivement te guérir de cette manie de sauter comme une meurt-de-faim sur tout ce qui bouge… Et ne viens pas prétendre que c’est pas vrai… Là-bas déjà, à l’école, tu t’étais fait une de ces réputations !… Bon, mais en attendant tu vas aller me désherber le jardin !… C’est dans un état !…




- Mais tu n’as rien fichu !…

- Ah si, si !… Tout le coin là-bas et puis de l’autre côté, derrière, les haricots…

- Autant dire rien !… Mais désherber la tête en l’air faut bien reconnaître que ce n’est pas très facile… Ca fait un moment que je t’observe… Tu peux me dire ce qu’il y a de si intéressant en face ?…

- En face ?… Non, mais c’est parce que…

- C’est parce que tu te demandes s’il y a quelqu’un derrière les volets… Quelqu’un qui serait en train de se rincer l’œil… Il n’y a pas, non… Pas pour le moment… Mais il y aura… C’est un très bon ami à moi… Il rentre du boulot à cinq heures… Mais d’ici là tu as très largement le temps de terminer toute la partie qui va jusqu’au lilas là-bas… Sinon… ben sinon il sera aux premières loges pour assister à la fessée que je ne manquerai pas de te flanquer… Parce que s’il y a un défaut que j’ai particulièrement en horreur c’est bien la paresse…




- Bon, ben tu vois quand tu veux !… Il suffit d’y mettre un peu de bonne volonté… Ah oui, à propos, ça m’était complètement sorti de la tête, mais il est en vacances depuis avant-hier Pierre, le voisin… Alors si ça tombe il a passé l’après-midi derrière ses volets, va savoir !… Mais bon… C’est sûrement pas à toi que ça va poser problème… Ce serait à mourir de rire…




Elle souriait, me caressait de temps à autre la tête, m’interrompait parfois pour réclamer une précision…

- Ca s’est vraiment passé comme ça ce jour-là ?… Tu es sûre ?… Je ne m’en souvenais pas. Pas comme ça en tout cas… Bon, mais continue !… Continue !…

Ou bien protestait avec agacement…

- Ah non, non… Il a jamais dit ça Tixier…

- Mais si !… Rappelle-toi !… Même que…

- N’insiste pas !… Je te dis que non… Si je te dis que non, c’est que c’est non…




Le récit de la nuit à l’infirmerie elle me l’a fait relire trois fois…

- Autant que de types !… Même si ou peut pas dire que tu aies fait preuve, en l’occurrence, de beaucoup de goût… Parce qu’autant que je me souvienne… Bon, mais passons… C’est pas la question… Avec le recul tu en penses quoi, toi, maintenant de cet épisode ?…

- Ce que j’en pense ?… Ben…

- Mais encore ?…

- Je sais pas…

- Tu sais pas ou tu attends de savoir ce que j’en pense, moi, pour décider ce que tu vas en penser, toi ?… C’est ça, hein ?… Evidemment que c’est ça… Eh ben il y a du boulot !…




Elle m’a pris le cahier des mains…

- « La classe des filles »… Evidemment ça s’imposait comme titre…

Elle l’a rapidement feuilleté…

- Tu as une très belle écriture… J’aime beaucoup… Le seul reproche : c’est d’un laid cette encre bleue… Alors tu vas me recopier tout ça… A l’encre violette et à la plume sergent-major… Comme au bon vieux temps… Tu trouveras tout ce qu’il faut dans le tiroir de ton bureau… Ca t’occupera le soir tout en te laissant l’esprit libre… Alors profites-en pour réfléchir à ce qui s’est passé à l’infirmerie… Tu me diras…

lundi 10 août 2009

Abandons ( 1er jour )



- Viens !… Je vais te montrer ta chambre…

Une grande pièce aux murs clairs dont la fenêtre donnait sur un jardin laissé complètement à l’abandon…

- Tu devras toujours laisser la porte ouverte… De jour comme de nuit… Où que tu sois dans la maison tu devras toujours laisser toutes les portes ouvertes… A tout moment je veux pouvoir voir – et savoir – à quoi tu es occupée…

D’autorité elle s’est emparée de mon sac à main qu’elle a ouvert et retourné sur le lit…

- Quel fatras !…

Elle en a vidé le contenu dans un grand sac poubelle à l’exception de mes papiers d’identité, du carnet de chèques et du téléphone portable dont elle a aussitôt effacé le répertoire. Mes bagages aussi. Tout. Mes vêtements. Mes livres. Mes souvenirs. Dans le grand sac…

- Poubelle !… Poubelle !… Poubelle !… Quand on commence une vie résolument nouvelle on n’a pas besoin de s’encombrer de celle d’avant… Qu’est-ce que c’est que ça ?…

- Ca, c’est mon journal… De l’année dernière à l’école… Et puis du restaurant cette année…

- Confisqué…

Elle m’a fait déshabiller…

- Tout !… T’enlèves tout… Absolument tout… Tu jettes tout… Là… Ferme-le le sac… Et descends-le… A droite, en sortant de la maison, au fond de la cour, il y a un petit appentis… C’est là que je les entrepose les poubelles…




Sans courir, mais le plus vite possible. Et sans lever la tête ni vers la façade de la maison ni vers le petit immeuble de l’autre côté de la rue. Vite. Beaucoup trop vite à son goût…

- Tu vas aller le rechercher le sac…

Aux fenêtres de l’immeuble, en face, il n’y avait apparemment personne…

- C’est mieux… Mais c’est pas encore ça… Remporte-le là-bas !… En prenant tout ton temps…

Une porte a claqué. Quelqu’un – une femme – a parlé. Une voix d’homme lui a répondu. Je n’ai pas accéléré le pas…

- Oui… Ca ira… Tu peux aller prendre une douche…



Ca a été d’instinct… Par habitude… J’ai fermé la porte… Qui s’est presque aussitôt rouverte…

- Qu’est-ce que j’avais dit ?…

Et elle a cinglé. A coups de martinet. Une dizaine. Qui m’ont jetée en avant contre la paroi de la douche. J’ai serré les dents. Je n’ai pas crié…

- Ne recommence plus jamais ça !… Jamais !…





- Qu’est-ce que tu fabriques ?… T’as pas fini ?…

- Si !…

- Eh bien alors !…

Je suis redescendue, nue…

- Tu seras toujours nue dans la maison… Quelles que soient les circonstances…

Elle m’a fait signe de la suivre dans son bureau…

- Non… Reste debout…

Elle a croisé les mains devant elle…

- Je ne sais pas si tu as bien conscience de la chance que tu as… Parce que tu es quelqu’un dont on peut faire ce qu’on veut… Absolument tout ce qu’on veut… Sans que tu sois en mesure d’opposer quelque résistance que ce soit… Tu aurais parfaitement pu tomber entre les pattes de quelqu’un qui ne se serait pas fait faute de profiter tant et plus de la situation… Qui en aurait tiré tout le parti possible… A son seul avantage… Pour assouvir ses plus bas instincts… Moi, au contraire, c’est dans ton intérêt à toi que j’ai décidé de m’emparer de toi… Pour ton bien… Pour te corriger de défauts qui te causent préjudice… Pour t’obliger à être celle que tu veux si éperdument être, mais que tu ne parviens pas à être de toi-même… Celle que tu voudrais tant enfin devenir… Approche !…

Elle m’a fait asseoir au pied de sa chaise, attiré la tête contre sa cuisse où elle m’a doucement caressé le front, la nuque, les lèvres…

- On y arrivera, tu verras… On y arrivera… A condition que tu abandonnes toute résistance… Que tu t’en remettes totalement à moi… Pour tout… Sans la moindre réserve… Tu veux bien ?…

- Oui…




Elle s’est levée d’un bond…

- Faut que j’y aille… On m’attend… Tu as tout ce qu’il faut dans le frigo… Mange et couche-toi !… Tu as eu une journée fatigante…

Elle est revenue sur ses pas…

- Ah oui… Une dernière chose… Pour le moment tu n’as droit à aucune activité sexuelle… Aucune… De quelque nature qu’elle soit…




La porte a claqué. Ses pas ont crissé sur le gravier. Se sont éloignés.

Il y avait encore la chaleur de sa cuisse contre ma joue. Je l’ai posée sur sa chaise. Que j’ai enserrée de mes deux bras. Par la fenêtre les branches d’un grand sapin se balançaient mollement. Sous mon ventre la moquette était veloutée et chaude. J’ai doucement rampé dessus, voluptueusement chevauché un coussin dérobé au canapé… Ca a été un plaisir lourd et capiteux. Qui s’est indéfiniment prolongé en échos interminablement renouvelés…




« Pardon, Pernelle, pardon… Je t’ai désobéi. C’était plus fort que moi. Je n’ai pas pu m’empêcher. Pardon… Raphaëlle »…

J’ai déposé la feuille bien en vue sur son bureau.




Le faisceau des phares à travers les volets. Je me suis relevée d’un bond. Je l’ai reprise, enfouie sous mon matelas. Juste à temps. Elle s’est penchée sur moi, m’a déposé un baiser sur le front…

- Tout va bien ?… Tu as été sage ?

- Ah, c’est toi ?… Je dormais…

samedi 8 août 2009

Interlude

Bonjour à tous,

Figurez-vous que j’ai retrouvé le journal de Sophie… Oui, oui, vous avez bien lu… La Sophie des Malheurs. La Sophie de la comtesse de Ségur… Elle en personne… Dans une vieille malle vermoulue que les héritiers d’une voisine décédée s’apprêtaient à brûler avec son contenu et dont ils ont été ravis que je les débarrasse…




Qu’il s’agisse effectivement de son journal – qu’elle a tenu pendant de longues années, adolescente, puis adulte – cela ne fait pas l’ombre d’un doute… J’en ai la preuve incontestable… Non… Le véritable problème auquel je me trouve confronté c’est qu’il est constitué de centaines – peut-être même de milliers – de feuilles volantes qui, pour des raisons que j’ignore, ont été allègrement mélangées et qu’il me faut d’abord remettre en ordre… C’est un labeur colossal auquel je m’astreins maintenant depuis plusieurs semaines…

En outre certaines de ces feuilles – celles qui se trouvaient au-dessous – portent des traces de moisissure importantes, ce qui en rend parfois la lecture difficile… D’autres, dont l’encre est délavée, semblent – bizarrement – avoir été exposées au soleil. Tout cela implique un long et patient travail de reconstitution dont j’ignore combien de temps il me faudra pour le mener à bien…

Dès que ce sera fait je ne manquerai évidemment pas de mettre ce journal en ligne et vous serez – soyez-en certains – les premiers à le découvrir dans sa version intégrale…




En attendant… En attendant ceux qui le souhaitent vont pouvoir continuer, dès lundi, à suivre Raphaëlle dans ses pérégrinations maintenant que Pernelle a décidé de la prendre en mains et d’exercer sur elle une autorité sans faille…



P.S. Un petit mot pour ceux qui voient chacun de mes paragraphes enclavé entre des signes hiéroglypho-informatico-cabalistiques… Il semble bien que ce soit l’apanage du seul Internet Explorer… Ceux qui internètent avec d’autres navigateurs ne paraissent pas rencontrer ce problème…

jeudi 6 août 2009

Aux délices d'Adeline ( 28ème et dernier jour )

- Je te l’avais formellement interdit… Je te l’avais pas interdit ?

- Hein ?… Mais j’y suis pas allée… Demandez-lui à Adeline si vous me croyez pas…

- Ce n’est pas ce qu’elle prétend…

- Mais c’est dégueulasse… C’est pas vrai…

- En somme tu traites Madame la Directrice de menteuse…

- Mais non, mais…

- Mais si !… Tu y es allée ou tu y es pas allée ?

- Non, j’y suis pas allée, non !…

- Donc, c’est bien ce que je dis, tu la traites de menteuse…

- Mais venez, venez !… On va monter la trouver tous les deux et vous verrez si…

- C’est parfaitement inutile… Je n’ai pas de temps à perdre… Tu étais prévenue… Que tu essaies de la voir et c’était la porte… C’est la porte… Viens avec moi !…




Jusqu’à la porte de la chambre de Catherine à l’intérieur de laquelle il m’a poussée avant de s’éclipser… Catherine a levé les yeux au ciel. Soupiré…

- Toi, t’as encore fait des tiennes…

- Mais non !… Jamais de la vie…

- Oh, à moi tu peux bien le dire…

- Dire quoi ?… Que je suis allée voir Adeline ?… Mais non !… Non !… Non !

- Que t’y sois allée ou pas de toute façon ça n’a pas beaucoup d’importance… Et ça ne change pas grand chose… Depuis votre escapade à toutes les deux ton sort est scellé… Et c’est pas plus mal finalement… Parce que Pernelle va te faire vivre des choses beaucoup plus exaltantes… En conformité en tout cas avec ta véritable nature… C’est ce qui pouvait t’arriver de mieux… Ici tu te serais très vite engourdie dans une routine dont tu aurais eu toutes les peines du monde à te désengluer…

- Ce sera quand Pernelle ?

- Bientôt… D’ici quelques semaines… Elle te fera signe…

- Je vais rester ici en attendant ?

- Ah non, non !… Ca il n’en est pas question… Les ordres sont formels… Tu dois avoir quitté l’établissement avant ce soir… Je suis chargée d’y veiller personnellement…

- Hein ?… Avant ce soir ?… Mais pour aller où ?…

- Tu as bien un point de chute quelque part, non ?

- Ben oui, oui, mais…




- Tu comptes filer où comme ça ?

- Rassembler mes affaires…

- Non, non… Tu restes ici… On te les fera passer tes affaires…

- Faut quand même bien que je leur dise au revoir aux autres… Que je leur explique ce qui s’est passé…

- C’est précisément ce qu’on veut éviter… Qu’il se crée toute une agitation autour de toi… Qu’il se colporte toutes sortes de rumeurs et de fausses nouvelles…

- Ben justement !… Si c’est moi qui explique…

- J’ai ordre de t’interdire tout contact, de quelque nature qu’il soit, avec qui que ce soit, jusqu’à ton départ…

- Hein ?… Mais pourquoi ?…

- Parce que c’est comme ça…




- Je peux pas avoir du papier ?

- Du papier ?… Pour quoi faire ?

- Pour écrire… Ecrire une lettre…

- A quelqu’un d’ici ?… C’est inutile… Il ne l’aura pas…

- Je la posterai…

- Il ne l’aura pas non plus… Ton courrier sera filtré… Il ne parviendra jamais à ses destinataires…




Elle a regardé sa montre…

- Allez !… En route…

Les escaliers étaient déserts. Elle a voulu qu’on passe par le parc. Il n’y avait personne. Par la petite porte en contrebas. Comme la fois avec Adeline. La voiture était garée le long du trottoir exactement au même endroit…

- Ne t’inquiète pas !… Toutes tes affaires sont dans le coffre…




- C’est où ?

- La troisième maison là-bas juste à hauteur du panneau…

Elle était sur le pas de la porte. Elle s’est précipitée à la grille…

- Qu’est-ce qui se passe ?… Qu’est-ce que tu fais là ?… Tu n’es pas malade au moins ?…

- Non, non, rassurez-vous, Madame, elle va bien… Elle va très bien…




- Qu’est-ce que je vous sers ?… Tu n’as pas perdu ta place au moins ?… Me dis pas que t’as perdu ta place… Elle a perdu sa place… Elle en fera jamais d’autres… Jamais… Qu’est-ce que t’as encore inventé, tu peux me dire ?

- Rien, Madame, rien… Elle n’y est strictement pour rien… Seulement les affaires ne sont pas bonnes… Ils sont contraints de réduire le personnel… Il a fallu faire des choix… Un vrai crève-cœur… Et malheureusement… malheureusement Raphaëlle fait partie du lot…

- Eh ben il nous manquait plus que ça !…

- Dans son malheur elle a quand même beaucoup de chance… Parce que l’une de mes amies, a obtenu, non sans mal, de son père qu’il la fasse entrer dans l’entreprise familiale… Elle devrait très prochainement commencer…

- Merci, oh, merci… Vous voulez vraiment rien boire ?

- Non… Il faut absolument que je sois rentrée là-bas ce soir…




Je l’ai raccompagnée jusqu’à la voiture…

- C’est quoi cette histoire d’entreprise ?

- Tu n’imagines tout de même pas que Pernelle va te nourrir à rien faire !…

lundi 3 août 2009

Aux délices d'Adeline ( 27ème jour )

- T’étais où cette nuit ?

- Qu’est-ce ça peut te foutre ?

Elles se sont défiées du regard. Face à face. Immobiles. Nues. Laurianne dégoulinante d’eau, Sarah la tête pleine de shampooing…

- T’étais avec lui, hein ?

- Je te le dirai pas…

Elles se sont jetées l’une sur l’autre comme deux furies. Se sont agrippées aux cheveux. Ont roulé par terre en ahanant. Milàn a voulu s’interposer. Je l’ai retenue par le bras…

- Pas toi, Milàn… T’en mêle pas… T’en mêle surtout pas… Pas toi…

Fournier a surenchéri…

- Ah non, non, t’en mêle pas !… Qu’on puisse se rincer l’œil… Parce que quand ça se frite comme ça tout ce que ça montre !… Allez-y, mes chéries, allez-y !… Vous gênez surtout pas pour nous… Offrez-nous de gentils petits aperçus…

C’était tantôt l’une tantôt l’autre qui avait le dessus. Sarah s’asseyait alors à califourchon sur elle et la giflait à tour de bras. Laurianne, elle, lui enfonçait un genou dans le ventre, lui plaquait les deux épaules au sol et exigeait qu’elle lui demande pardon…

- Plutôt crever…

Et ça repartait de plus belle…




- Bon, allez, maintenant ça suffit !… On a vu tout ce qu’on voulait voir… Alors vous vous relevez et vous vous rhabillez…

Elles ne l’ont pas écouté. Il en a empoigné une par les cheveux, a repoussé l’autre d’une grande claque sur les fesses…

- Circulez, dégagez !… Et je veux plus rien entendre…

Il leur a emboîté le pas dans le couloir…




- Qu’est-ce qui leur a pris ?

- Devine !…

- Encore !…

- Ben oui, mon cher !… La rançon du succès…

- Ca devrait bien finir par leur passer…

- Oh, alors ça !… Mais dis-moi un truc… Si j’étais pas là… Si j’étais plus là… Si je partais… il y aurait quelque chose entre elles et toi ?

- Tu vas t’en aller ?!

- Non… Non… Bien sûr que non… Mais on sait jamais ce qui peut se passer… Tu coucherais avec laquelle ?… Sarah ou Laurianne ?… Peut-être toutes les deux… Ou bien une autre… Caroline… Des tas d’autres… T’aurais que l’embarras du choix… Tu serais stupide de pas en profiter…

- En attendant laquelle c’est qui m’a fait faire le pied de grue toute la nuit ?

- J’ai pas pu venir, Milàn… Elles dormaient pas les filles…

- Ce soir alors ?

- Je sais pas… Si je peux… Ca dépend… On verra…

Il a voulu…

- Tu n’as plus peur que quelqu’un vienne ?

- Non… Plus maintenant, non… Ca m’est égal… Tout m’est égal…




Pernelle était assise sur le lit de Catherine. Elle n’a pris ni la peine ni le temps de me dire bonjour…

- T’as encore trouvé le moyen de faire des tiennes, hein ?… Tu es décidément incorrigible… Dès qu’on te laisse livrée à toi-même… Qu’on veut te faire confiance…

- Mais non c’est pas ça, mais…

- Mais, pour commencer, tu vas me perdre cette détestable habitude de nier l’évidence et d’ergoter comme ça à propos de tout… Dorénavant tu ne seras plus autorisée à t’exprimer devant moi que lorsque j’en aurai explicitement formulé la demande… Est-ce que c’est clair ?

- Oui…

- Bien… Ensuite… Dès que tes patrons t’auront remerciée – ce qui, selon les informations dont je dispose, ne saurait tarder – tu te trouveras placée directement sous mon autorité… Tu le resteras – et cela dans ton intérêt – aussi longtemps que je le jugerai nécessaire, c’est-à-dire tant que je considérerai que tu ne peux pas être véritablement autonome et te diriger dans l’existence en toute connaissance de cause… Il va de soi qu’en contrepartie j’attends de toi une obéissance et une docilité absolues… Mais, de ce côté-là, je sais que ça ne présentera pas, pour toi, trop de difficultés… J’ai pu constater l’année dernière que tu y étais très spontanément portée… En tout cas avec moi… Ce qui m’a donné l’occasion de débroussailler déjà pas mal le terrain… Tu es d’un fonctionnement extrêmement simple finalement… C’en est même bien souvent frustrant… Mais bon, on fera avec… D’autant que ce que ça a, malgré tout, de positif c’est qu’on va pouvoir entrer très vite dans le vif du sujet… Entreprendre – ensemble – de t’améliorer et de te corriger puisque, seule, tu en es parfaitement incapable… Non ?… Tu ne crois pas ?

- Si…

- Et obtenir des résultats spectaculaires puisque tu sembles vouloir faire preuve de beaucoup de bonne volonté… Mais retourne vite travailler… On va te chercher…




Monsieur Ménisson m’a fait signe…

- Adeline t’attend… Elle veut te parler…

- Mais vous aviez dit que…

- Peu importe ce que j’ai dit ou n’ai pas dit… Ce que je te dis MAINTENANT c’est qu’Adeline t’attend…

- Si j’y vais vous allez pas me mettre dehors ?…

- Bien sûr que si !…