lundi 30 janvier 2012

Souvenirs d'avant ( 31 )

31-

– Eh bien, Mesdames, que m’a-t-on rapporté ?
Elles baissent toutes deux la tête…
La reine Catherine exige qu’elles la relèvent…
– Il paraîtrait que vous vous multipliez partout en répétant à qui veut l’entendre que je n’en userais pas comme il sied avec les personnes de qualité ? Est-ce exact ?
– Il se raconte beaucoup de choses, Votre Majesté, souvent bien éloignées de la vérité…
– De nombreux témoins attestent pourtant que vous avez tenu ces propos…
– Ils auront mal compris…
– Comment pouvez-vous juger de façons de faire dont vous n’avez pas eu personnellement à connaître ? Ou plutôt dont vous n’avez pas encore eu personnellement à connaître…
– Votre Majesté…
– Nous allons, n’en doutez pas, vous en offrir l’occasion… Et sur le champ… Estimeriez-vous déroger en servant votre reine à table ?
– Certes non…
– Alors vous l’allez faire… Et vous l’allez faire nues… Je le veux ainsi…
Un rapide coup d’œil dans notre direction à nous les gardes…
– Oh, Votre Majesté !
– Qu’y a-t-il ? Ignoreriez-vous donc, vous qui savez tant de choses, que c’est par des laquais que je fais fouetter celles dont le comportement me déplaît, fussent-elles de noble extraction…
Elles se dévêtent sans un mot…

– Mais c’est que vous faites d’excellentes servantes toutes les deux, savez-vous ? Toutes grandes dames que vous soyez… C’est un état vers lequel vous êtes à l’évidence naturellement portées… Je pourrais vous y maintenir, mais non, pour l’heure j’ai d’autres projets à votre endroit… Approchez ! Faites vous voir ! Encore ! Tournez-vous ! Vous êtes l’une comme l’autre fort délicieusement tournées… Et je gage que les hommes auxquels vous accordez vos faveurs y trouvent leur comptant…
– Votre Majesté…
– Allons ! Allons ! Ne vous faites pas plus prudes que vous ne l’êtes… J’ai mes informateurs… Et si vous tenez à ce que je vous rafraîchisse la mémoire… Non ? C’est sans doute préférable en effet… Bien… Alors voici ce que j’attends de vous… Un homme, sur l’oreiller, est toujours beaucoup plus enclin aux confidences… Or, on ne peut conduire les affaires du royaume sans avoir, sur les intentions des uns et des autres – et surtout des plus grands – le plus de lumières possible… Vous savez quelle période difficile nous traversons et je ne doute pas qu’en bonnes catholiques que vous êtes vous n’ayez à cœur, de contribuer à faire triompher la vraie foi…
– Quels sont, Votre Majesté, les… ?
– Pour vous, Henri de Navarre…
– Henri de Navarre !
– Et pour vous François d’Alençon…
– Mais c’est…
– Mon fils, oui… Mon fils qui semble avoir un peu trop tendance ces derniers temps à jouer double jeu…

– Eh bien ?! Avons-nous avancé, Mesdames ?
– Henri de Navarre s’empare, quand elle ne lui ferme pas résolument ses portes, de chaque citadelle qui se présente…
– Et je présume qu’il ne lui a guère été nécessaire de guerroyer…
– Les ordres de Votre Majesté…
– Passons… Et alors ? Lui avez-vous soutiré quelque renseignement que ce soit ?
– Point encore… Il me faut auparavant le mettre en confiance et le persuader de ma totale discrétion sur tout ce qu’il pourrait être amené à me révéler sous le sceau du secret…
– Et vous ?
– Monsieur D’Alençon semble, à l’évidence, beaucoup plus sensible aux charmes de ses congénères qu’à ceux des femmes qui l’approchent…
– À vous de le convaincre de changer d’avis…

jeudi 26 janvier 2012

Escobarines: Chez le docteur ( 3 )


29 Janvier

À six heures, tout à l’heure, le téléphone a sonné. C’était elle.
- Tu n’as pas fumé au moins ?
- Oh, non ! Non ! Je me réveille.
- Bon. Tu tiens le coup, hein ?! Je t’appellerai dans la journée. Et tu passeras au cabinet. Que je vérifie… Et si tu as fumé ! Alors là si tu as fumé…

J’en crève d’envie. Et il y a des cigarettes partout dans la maison. Vingt fois j’ai failli en allumer une. De quel droit elle prétendait régenter ma vie cette petite merdeuse ? Vingt fois j’y ai renoncé. Il y avait quelque chose en moi - de beaucoup plus fort que mon envie – qui m’en empêchait. Qui continue à m’en empêcher.



21 heures

Elle m’a laissée sur le gril toute la journée. Ce n’est qu’à six heures un quart qu’elle a enfin appelé.
– Viens ! Tout de suite. Je t’attends.
Il y avait trois personnes dans la salle d’attente : une visiteuse médicale, un jeune homme d’une vingtaine d’années et un vieux monsieur absorbé dans la lecture de son journal.
Elle m’a fait passer avant eux.
– J’en ai pour une minute.
Elle n’a pas refermé complètement la porte.
– Alors ?
– J’ai pas fumé…
– Souffle !
– Parfait ! File ! Laisse-moi travailler…

J’ai quand même attendu d’avoir tourné le coin de sa rue. Et j’en ai allumé une. Avec volupté. J’en ai aspiré goulûment la fumée. Que c’était bon ! Non, mais que c’était bon !
Je venais tout juste de l’écraser et je m’apprêtais à en allumer une deuxième quand mon portable a une nouvelle fois sonné.
– Tu peux remonter, s’il te plaît ?
– Hein, mais c’est que je…
– Tu remontes… Et tout de suite !

Il n’y avait plus le jeune homme. Il devait être dans le cabinet avec elle. Une jeune fille l’avait remplacé sur la chaise près de la fenêtre. La visiteuse médicale m’a souri.

– Souffle ! J’en étais sûre… Tu me prends vraiment pour une imbécile, hein ?! Bon, allez ! Tu te déculottes…
– Ici ?
– Ben oui, ici ! Évidemment ici…
– Mais ils vont entendre à côté !
– Et alors ?!
– Ben…
– Ben moi, j’ai pas que ça à faire… Et pas le temps de discuter… Alors tu laisses tes états d’âme de côté et tu te dépêches de te déculotter…

– Ils ont entendu, c’est sûr…
– À brailler comme t’as braillé ça ne fait pas l’ombre d’un doute…
– J’ai pas pu m’empêcher… Vous avez tapé tellement fort…
– Bon, mais allez ! Retourne t’asseoir dans la salle d’attente… Le temps que je finisse mes consultations…
– Dans la… ? Oh, non !
– Mais si ! Que ça te serve de leçon… Que ça te fasse passer, une bonne fois pour toutes, l’envie de te croire plus maligne que tout le monde…

– Eh ben, ma pauvre petite, vous allez rester un bon moment sans pouvoir vous asseoir…
Et le vieux monsieur a replongé le nez dans son journal…
La jeune fille a voulu dire quelque chose. Elle s’est levée. Rassise. A hésité. Et s’est finalement brusquement enfuie…

– Bon, allez, on y va… Je t’emmène…
– Où ça ?
– Chez moi… Je veux t’avoir à l’œil… Au coin tu vas la passer la soirée… Les fesses à l’air… Et ce sera comme ça tous les jours tant que je ne serai pas absolument certaine que tu es complètement sevrée…

J’ai obéi… J’en suis passée par où elle a voulu… Et je sais que j’en passerai toujours par tout ce qu’elle voudra…

lundi 23 janvier 2012

Souvenirs d'avant ( 30 )

30-

La maîtresse est nue… Entièrement nue… Autour d’elle ses servantes sont quatre… Quatre aux mains desquelles elle s’abandonne… Qui la lavent… Qui la frottent… Qui l’essuient… Qui l’enduisent de toutes sortes d’onguents et de crèmes… Qui la coiffent… Qui l’habillent…

– Tu m’as l’air bien guilleret ce matin…
Et le maître me gratifie d’un large sourire complice…
– Quelque Fanchon sans doute qui se sera montrée complaisante à ton égard…
S’il savait !

– Alors ? Tu es venu ? Tu étais là ? Tu l’as vue ?
– Je l’ai vue…
– Je suis heureuse… Tu peux pas savoir comme je suis heureuse… Dommage que…
– Que quoi ?
– Qu’elle le sache pas… Qu’elle puisse pas le savoir…

Tous les matins j’assiste à sa toilette… Sans jamais y manquer… Je me repais d’elle… De ses seins… De son ventre… De ses cuisses… De ses fesses… De ses replis d’amour… Elle est à moi… La maîtresse est à moi…

Tout au long de la journée elle se montre odieuse à mon égard… Souverainement méprisante… Insupportablement cassante… Je m’en soucie comme d’une guigne… Parce que le matin… Chaque matin… C’est moi qui ai le dernier mot…

Ça monte d’un coup… Une envie d’éternuer… Soudaine… Irrépressible… Battre en retraite… Vite… Vite… Trop tard… Ça explose… Encore… Et encore… Une interminable salve d’éternuements… Fuir… Je dévale l’escalier… Derrière moi la porte… Et la voix de l’une des servantes…
– C’est Colin…

– La maîtresse t’attend…
Assise, habillée, le dos tourné à sa table de toilette…
– Tu peux me dire ce que tu faisais là ?
Je bafouille lamentablement…
– Les rats… Toute la maison en est infestée… Alors j’ai voulu… J’ai pensé… Je me suis dit…
– Et c’est bien sûr pour ça que tu as fait des trous dans la porte…
– Ah, non ! Non ! Ils y étaient déjà les trous…
Les servantes pouffent ouvertement de rire…
Je me mords les lèvres… Quel idiot ! Non, mais quel idiot !
– Tu vas me payer ça… Dévêtez-le, vous autres !
Leurs mains sur moi…
Que je m’efforce sans succès – elles sont quatre – de repousser, d’éloigner…
– Complètement !
Complètement… Elles se reculent… Et contemplent leur œuvre…
– Enlève tes mains !
Que j’ai jointes en bas…
Enlève tes mains ! C’est un ordre…
Leurs regards sur moi… Amusés et moqueurs…

– Guidaine ! Va chercher le fouet…
Qu’elle rapporte, les yeux brillants…
– Eh bien ?! Tape ! Qu’est-ce que tu attends ?
Elle ne se fait pas prier… Elle tape… Elle fouette… À tour de bras…
Une autre prend le relais… Une autre encore…

– Tu as mal ?
Je grimace… Je ne peux rien faire d’autre que grimacer…
– Oui, mais elle sait… Elle sait que tu l’as vu… Je suis vengée…

jeudi 19 janvier 2012

Escobarines: Chez le docteur ( 2 )


28 Janvier

- Ca ne passe pas, docteur ! Mon mal de gorge… il passe pas…
- Vous avez pris les remèdes que je vous ai prescrits ?
- Oui. Tous…
- Et, bien sûr, vous avez arrêté de fumer…
- C’est-à-dire que…
- Soufflez ! Encore ! Allez, soufflez ! Vous avez fumé. Ca remonte à moins d’une heure… Et vous venez vous plaindre d’avoir mal à la gorge ! Le tabac est particulièrement irritant. Vous le savez pas ça ?
- Ben si, mais…
- Mais quoi ?
- C’est pas facile…
-Vous vous y étiez pourtant engagée.
- Je sais, oui !
- Et vous n’avez pas tenu parole.
- Je suis désolée.
- Ce qui ne vous avance à rien. En ce qui me concerne, moi, en tout cas, je tiens toujours mes engagements. Je vais donc m’occuper très sérieusement de vous. Vous en êtes toujours d’accord ?
- Oui, docteur ! Oui.
- Alors voilà ce qu’on va faire. Chaque fois que j’aurai acquis – comme ça a été le cas tout à l’heure tout à l’heure – la conviction que vous avez fumé je vous punirai…
- Vous me punirez ?
- Oui. Il n’y a, à l’évidence, pas d’autre solution avec vous. C’est la seule qui ait des chances d’être efficace… Non, vous n’êtes pas de cet avis ?
- Si !
- Parfait ! Alors je vous attends ici ce soir… A huit heures… Sans faute…
- Vous allez me punir… Mais vous allez me punir comment ?
- Faut vraiment que je vous fasse un dessin ?

Cette fille est folle. Cette gamine est folle. Complètement folle. Parce que si j’ai bien compris – et il y a neuf chances sur dix pour que j’aie bien compris – elle compte me flanquer une fessée. Et puis quoi encore ?! Non, mais ça va pas ! En tout cas je suis pas près de remettre les pieds chez elle ! Quitte à faire cinquante kilomètres pour aller consulter Guimard… Qui vaut ce qu’il vaut, mais bon…



23 heures

J’y suis allée… Ben oui, oui… J’y suis allée. C’est comme ça. À huit heures j’étais là-bas…
Elle m’a fait asseoir…
- Inutile que je vous demande de souffler. Je le sens d’ici.
- Oui, mais c’est parce que…
- Il n’y a pas de « c’est parce que » qui tienne… Vous savez ce qui vous attend ?!
- Oui.
- Quoi ? Dites-le ! Eh bien ?!
- Une fessée.
- Une fessée, oui. Et carabinée. Une fessée comme à une gamine de huit ans. Une fessée que vous avez amplement méritée. Vous n’allez tout de même pas prétendre le contraire ?
- Non. Je l’ai méritée, oui. Je la mérite.
Elle a fait le tour du bureau, s’est penchée sur moi, m’a soulevé le menton du bout du doigt…
- On y arrivera, tu verras ! On y arrivera… Allez ! Déshabille-toi ! Tu enlèves tout…
Elle ne m’a pas quittée un seul instant des yeux pendant que je l’ai fait.

Sa main m’a empoigné la nuque…
- Viens ! Là-haut… Tu pourras crier tout ton saoul. Personne n’entendra. Tu as froid ? Non ? Tu frissonnes pourtant…

J’ai crié, oui. Comme une perdue. Et elle, elle a tapé. Tant qu’elle a pu. J’ai le derrière dans un état ! Je ne vais pas pouvoir m’asseoir d’un moment. Ca me brûle, mais ça me brûle ! C’est de la folie comme ça me brûle !

C’est moi qui suis folle. Me laisser flanquer une fessée comme ça par une gamine qu’a vingt ans de moins que moi. Sous prétexte qu’elle a décidé que je devais arrêter de fumer. Faut vraiment que j’aie un grain. Et un gros : je me suis jamais sentie aussi bien qu’en revenant tout à l’heure de là-bas. Comme vidée de tout ce qui n’est pas moi. En harmonie. Heureuse. Oui. Heureuse comme jamais.

lundi 16 janvier 2012

Souvenirs d'avant ( 29 )

29-

Le maître est cousu d’or… Il le fait couler entre ses doigts… Il en remplit des cassetttes dont il est le seul à savoir où il les a enfouies… De lui il se dit qu’il ignore l’étendue de sa fortune…

Le maître est vieux. Le maître est laid. La maîtresse, elle, est jeune. La maîtresse est belle. Très…

Mais la maîtresse est dure. Exigeante. Hautaine…

Je n’existe pas plus, à ses yeux, que les plats que je viens déposer chaque jour sur la table devant elle… Ou que les souliers crottés qu’elle abandonne dans l’entrée, quand elle rentre, pour qu’on les lui nettoie…

– Je me vengerai…
Perrine est en larmes…
– De qui donc ?
– La maîtresse… Je me vengerai… Je le jure… Parce que si tu savais… Si tu savais…
– Si je savais quoi ?
Elle redouble de sanglots…
Je ne saurai pas…

La maîtresse passe toutes ses après-midis dans la roseraie… Avec des femmes parfumées en compagnie desquelles elle rit et se promène…

– Tu aurais envie ? De la voir toute nue ? Tu voudrais ?
– Qui ça ?
– La maîtresse, tiens ! Qui tu veux d’autre ?
– La maîtresse ? Oh, non, non ! On peut pas la maîtresse…
– Bien sûr que si on peut… Je connais un moyen…
– Oh, non ! Non !
– Tu sais pas ce que tu perds… Mais ça fait rien… Je trouverai quelqu’un d’autre…

Un mouvement brusque et imprévisible de son bras qui me heurte… Je rétablis tant bien que mal l’équilibre du plat… Mais quelques gouttes de sauce sont tombées sur sa robe… L’ont tâchée…
– Tu peux pas faire attention, non ?
Un signe à Sylvain… À l’oreille duquel elle chuchote quelque chose… Sylvain qui s’empare du plat…
– Désolé…
À mi-voix
Et il me le renverse sur la tête…
La maîtresse rit… De tout son cœur… Le maître aussi… En sourdine…

– Tu veux toujours pas ? La voir toute nue… Tu veux pas ?
Si ! Cette fois, si !
– Viens alors ! Je vais te montrer comment faire… C’est le moment… Il y a personne…

La cave… Un escalier… Un coude… Un couloir… Un autre escalier…
– Tu sauras retrouver ?
– Je crois, oui…
Encore des couloirs… Encore des escaliers… Un réduit… Une porte…
– Mais t’inquiète pas ! Il y a belle lurette qu’elle est condamnée…
Une porte dont deux planches sont largement disjointes… De l’autre côté…
– C’est là qu’elle se lave… Qu’on la lave… Et si tu viens le matin…

jeudi 12 janvier 2012

Escobarines: Chez le docteur ( 1 )


21 Janvier

J’ai fait connaissance aujourd’hui de la jeune toubib - elle vient manifestement tout juste d’achever ses études – qui reprend le cabinet de ce pauvre docteur Martin…

Pas commode la fille ! Une rapide poignée de main. Sans même l’esquisse d’un sourire…
- Vous vous appelez ?
- Melissa Legrand…
Elle a consulté mon dossier sur l’ordinateur, haussé deux fois les sourcils, une fois les épaules…
- Bon… Qu’est-ce qui vous amène ?…
- C’est cette fichue gorge… Près de trois semaines que j’y ai mal… Ca veut pas passer…
- Et vous avez attendu tout ce temps-là pour consulter ?
- C’est-à-dire que…
- Ouvrez la bouche !

- Matin, midi et soir… Et je vais vous donner un sirop… Vous fumez ?…
- Un peu…
- C’est-à-dire ?… Combien ?…
- Ca dépend… Si je suis stressée… Si j’ai des problèmes…
- En moyenne ?
- Un paquet… Un paquet et demi…
- Ce qui veut dire pas loin de deux… Sinon plus… Vous avez quel âge ?…
- 46…
- Et à 46 ans vous n’êtes pas fichue de faire preuve d’un minimum de volonté ?…
Je me suis agitée sur ma chaise… J’ai bafouillé… J’ai bredouillé…
- Non… Si… C’est-à-dire que… C’est que… Peut-être… J’avais pensé…
- C’est pas faute de vous le répéter… Sur tous les tons… A longueur de journée… Partout… Non ?… On vous le dit pas assez ?…
- Si ! Bien sûr ! Si ! Je vais essayer…
- Il ne s’agit pas d’essayer, mais d’y arriver… Vous serez bien avancée quand vous aurez les artères bouchées ou un cancer du poumon…
Elle a soupiré…
- De toute façon c’est toujours la même chose… On peut bien vous dire ce qu’on veut…
Elle m’a tendu la feuille… Raccompagnée jusqu’à la porte…

Une chose est sûre en tout cas, c’est que je suis pas près d’y remettre les pieds… Non, mais ce ton ! Cet air ! Pour qui elle se prend cette gamine ! Parce qu’elle a beau avoir fait des études, être bardée de diplômes, c’est quand même une gamine… N’empêche… N’empêche qu’elle a quand même pas forcément complètement tort non plus… Et qu’elle m’a bien percée à jour… Je n’ai aucune volonté… Et s’il n’y a pas en permanence quelqu’un derrière mon dos pour m’obliger à faire ce que je sais que je dois faire… Oh, et puis zut !



23 Janvier

- Allo… Melissa Legrand ?
- Oui…
- Docteur Robin…
- Ah, oui, oui… Bonjour, docteur…
- Dites-moi… Je suis en train de mettre votre dossier à jour, là… Et je ne trouve pas trace d’un quelconque vaccin contre le tétanos…
- C’est important ?
- Un peu que c’est important… Que vous vous blessiez ou que vous vous piquiez simplement avec une épine de rosier et…
- Vaudrait peut-être mieux que je passe alors, non ?
- Et sans tarder, oui…

- Voilà qui est fait… Vous voyez que c’était pas si terrible que ça… Bon, mais tant que je vous tiens… il remonte à quand le dernier frottis ?
- Je sais pas… Je sais plus…
- Et la dernière mammo ?
- Ca devait être…
- Il y a sept ans… J’ai le rapport sous les yeux… A votre âge ! Vous faites fort, vous, hein, dans le genre irresponsable… Pourquoi vous laissez tout aller à vau-l’eau comme ça ?
- Je ne sais pas… Je…
- Il est vraiment tant que que quelqu’un vous prenne en mains, hein ?! Si vous ne voulez pas courir à la catastrophe… Non ? Vous n’êtes pas de cet avis ? Regardez-moi quand je vous parle… Hein ? Vous n’êtes pas de cet avis ?
- Si !
- A la bonne heure… Bon… Mais je vais m’occuper de vous… Vous pouvez compter sur moi… Je vais m’occuper de vous… Sérieusement… Et d’abord, pour commencer, vous allez me faire le plaisir d’arrêter de fumer… Immédiatement… C’est bien compris ?
- Oui, docteur…

En sortant de chez elle, je suis allée faire un tour en forêt. J’étais étrangement calme. Apaisée. Sereine.

lundi 9 janvier 2012

Souvenirs d'avant ( 28 )


28-

Il a fallu du temps, beaucoup de temps, mais elle a fini par y consentir… Ses amples fesses, maintenant zébrées de rouge, vont et viennent autour de la table. Elle y dépose les plats, les remporte quand ils sont vides… Silencieuse. Impénétrable.

– À boire !
Elle apporte…
– Encore ! À boire ! À boire, tavernière !
Elle apporte toujours…

Léonard l’attrape par la taille…
– Ton mari va te manquer cette nuit…
Elle tente de se dégager. Il la retient…
– Je prendrai sa place dans ton lit… Tu ne le regretteras pas, tu verras…
Elle le repousse…
– Alors ça, faut pas que t’y comptes…
Il éclate d’un rire gras…
– Oh, si, j’y compte ! Si ! Et je te veux consentante…
– Jamais !
– Le fouet t’amènera, s’il le faut, à de bien meilleurs sentiments…

Il réclame encore à boire…
– Sers-moi !
Il l’agrippe… La retient…
– Ta dernière nuit d’amour… Tu serais folle de n’en point profiter tout ton saoul… Parce que demain… Couic…
Il mime, du plat de la main, le couteau qui éventre la gorge…
– Couic…
Elle lui échappe…
– Tes compagnons aussi ont soif…

Elle les sert tour à tour… S’approche…
De la tête je fais signe que non… Elle insiste…
– Non…
Ses yeux plongent dans les miens…
Je tends ma coupe… Je ne bois pas…

On s’est écroulé sur les tables. Sur les bancs. On ronfle à qui mieux mieux…
Léonard ouvre un œil, se secoue…
– Allons, drôlesse, regagnons ta couche… Il est temps…
Il se lève… S’avance vers elle… Titube… S’effondre sans connaissance…

– Tu les as empoisonnés…
– Endormis… Je les ai endormis…
– Et maintenant ? Que comptes-tu faire ?
Elle ne me répond pas… Elle me fixe…
– T’enfuir ?
Elle acquiesce doucement. Sans me quitter des yeux…
– Tu n’y parviendras pas… On est partout… Une femme seule dans la nuit… Tu vas courir moult dangers… Tu seras prise… Tuée… Mais auparavant ils te…
– Je me déguiserai… Je…
– Laisse-moi t’accompagner… On me connaît… On ne se posera pas de questions… On ne t’en posera pas…
Une imperceptible hésitation. Elle me prend la main…
– Allons !

On brandit des torches sur notre passage. On nous les met sous le nez. On me salue. On me lance des « Bonne nuit » pleins de sous-entendus… Et on nous laisse passer…

On marche vers le Nord… Toujours vers le Nord…
– Là… Ici… Maintenant… Tu es en sécurité…
– Merci…
– Que vas-tu faire ?
Elle hausse les épaules en signe d’ignorance…
– Je n’ai plus de famille… Plus personne…
– Et moi, je suis à des centaines de kilomètres de chez moi…
On se regarde… On se redonne la main… Et on reprend la route…

jeudi 5 janvier 2012

Escobarines: Vitrine ( 2 )


– J’ai peur, Antony, j’ai peur…
– Il est encore temps de faire demi-tour…
– Non, non… Plus maintenant… Mais j’ai peur… Il va se passer quoi au juste ?
– Je te l’ai déjà dit cent fois… Ce sera comme dans ton rêve… Exactement comme dans ton rêve… Sauf que ce ne sera pas ta vraie patronne… Et que ce sera un autre magasin que celui où tu travailles d’ordinaire…
– Il sera fermé au moins ?
– T’en connais beaucoup, toi, des magasins de vêtements ouverts en pleine nuit ?
¬– Non, mais… C’est là ? Hou la la ! Comment j’ai peur !

– Voici donc la jeune femme en question ?! Alors comme ça, à ce qu’il paraît, tu sabotes le travail qui t’est confié, toi ?
– Non… Oui… C’est-à-dire que…
– Commence pas à ergoter… J’ai horreur de ça… Bon, mais tu vas déjà aller me ranger la réserve, tiens, pendant qu’on discute tous les deux… Et tâche de me faire ça correctement parce que sinon…

– Tu te fiches du monde ! Tu te fiches vraiment du monde ! C’est tout ce que t’as trouvé le moyen de faire en une heure et demi ?
– Ben oui, mais…
– Mais quoi ?
– Non, rien…
– Je préfère… Tu y a mis beaucoup de mauvaise volonté, hein ?
– Oh, non ! Non !
– Bien sûr que si… Et tu vas être punie pour ça… Comme tu le mérites… Allez, tu te déshabilles… Tout t’enlèves… Tout le bas… Et tu te dépêches… Tout, j’ai dit… La culotte aussi, oui, évidemment… Voilà… Bon, ben va méditer un peu au coin pour commencer… On a tout notre temps… On n’est pas pressés… Et relève ta robe… Au-dessus de la taille… Comme ça, oui…

– Ça n’a pas été trop long ? Si, un peu, hein ! C’est pas plus mal… Ça t’aura permis de réfléchir… Et de te poser – peut-être – les bonnes questions… Bon, mais allez, on va mettre fin à ton supplice… Viens ici ! Qu’on s’occupe sérieusement de ton petit derrière…

– Là… Oh, mais c’est qu’il a pris de bien belles couleurs… Ça lui va bien… Très très bien… Un cul tout blanc… tout pâlichon, c’est d’un triste ! D’un morose ! Viens te voir dans la glace à côté… C’est vraiment très réussi… Tu trouves pas ? Si, hein ? Faut reconnaître… Je suis fière de moi… Un vrai chef-d’œuvre… Un chef-d’œuvre qu’on va quand même pas garder égoïstement pour nous tout seuls… Ah, non, non ! Pas question… On va aller l’exposer en vitrine… Allez, viens par ici !

Une voiture… Des phares… Qui l’ont projetée en pleine lumière… Une voiture qui a tourné… Qui est passée…

Une autre… Un grand coup de frein… Les portières… Trois jeunes… La trentaine… Qui s’approchent… Qui se plantent devant la vitrine…
– Mais non, c’est pas une vraie… C’est pas possible… Qu’est-ce qu’elle foutrait là à poil ?
– Je te dis que si, moi !
– Mais non ! C’est une pub… Pour une connerie quelconque…
– C’est super bien imité alors…
– En tout cas, si c’est une vraie, elle a pris une sacrée rouste… Ça doit lui cuire quelque chose de rare…
– Putain ! Mais c’est une vraie ou c’est pas une vraie ?
Il y en a qui a tapé, index replié, sur la vitrine…
– T’es vraie ou t’es pas vraie ?
– Elle a bougé…
– Mais non !
– Si ! Elle a bougé…
– À moi aussi il m’a semblé… La main… Elle a bougé la main…
– Oh, chérie, tu te retournes ?
– Mais oui, quoi ! Sois sympa… Montre le reste…
– Venez ! On va chercher les autres… Faut qu’ils voient ça…

– Tu dis rien ?
– Non… Non… Je…
– Savoure ?
– On recommencera ?
– Ça devrait pouvoir s’envisager…
– Oui, mais alors si on recommence ce que je voudrais, en plus, c’est que…
– C‘est que… ?
– Je te dirai… Plus tard… Faut que j’y pense à fond… Tu voudrais pas t’arrêter ?
– M’arrêter ? Pour ?
– Faire l’amour… Ça m’a donné bien trop envie tout ça…

lundi 2 janvier 2012

Souvenirs d'avant ( 27 )

27-

- Il le faut, mes frères, il le faut ! Partons ! Allons convertir les infidèles. Dieu nous l’ordonne. Les grands ont failli. C’est à nous les petits, à nous les misérables qu’Il demande aujourd’hui d’accomplir Sa Volonté. De faire advenir son royaume sur la terre… En route ! Partons !

On l’acclame. On se jette à genoux. On prie. Avec ferveur. Et on se met en route. En chantant. En récitant le Rosaire…

On traverse des villes. Des villages. Il prêche. Sur le parvis des églises. Juché sur les margelles des fontaines. Il porte la parole de Dieu. On l’écoute. On veut sa bénédiction. On abandonne tout pour le suivre…

On est des centaines. On est des milliers. Qui arpentons les routes de France en direction du Sud. Des villes s’ouvrent. D’autres se ferment. Qu’il fait ouvrir en menaçant leurs habitants du châtiment éternel…

- Les infidèles sont en Terre Sainte… Mais ils sont aussi et d’abord ici… Sous nos yeux… Sur notre belle terre de France… La volonté de Dieu, c’est que nous l’en débarrassions au plus tôt… Pourchassons le mal ! Pourchassons l’infidèle ! Qu’il n’ait point de répit… Qu’il soit débusqué partout où il se trouve…

Oui… Sus à l’infidèle… Qui se terre dans des caves… Sous des escaliers… Dans le foin… On l’extirpe de sa cachette… On l’égorge… On jette son cadavre dans la cour… On dîne sur sa table… Avec ses provisions… On boit son vin… On se partage son or… Ses bijoux…

Une ville immense. Avec de riches demeures en pierre de taille… On se répand dans les rues. Dans les maisons. On exige des habitants qu’ils nous montrent des crucifix… S’ils en ont on se retire… Sinon…

- Regardez ce qu’on a trouvé !
Une femme… Qu’ils poussent en riant devant eux… La maîtresse de céans… Dont ils viennent d’égorger le mari et les deux fils…
- Ça s’était caché sous son lit…
- Faut croire que ça avait la conscience tranquille !
Léonard s’approche, lui souffle son haleine à la figure…
Elle soutient son regard…
- Et fière avec ça ! On va faire en sorte que tu le sois beaucoup moins…
Il lui passe et repasse son couteau sous la gorge…
Elle ne cille pas…
Il le rempoche…
- Non… Finalement, non… Pas tout de suite… On va prendre tout notre temps… Et d’abord, pour commencer, tu vas nous servir à table… Nue…
Elle refuse…
- Pas nue… Non…
- Nue… Tu vas être fouettée jusqu’à ce que tu y consentes…