lundi 9 janvier 2012

Souvenirs d'avant ( 28 )


28-

Il a fallu du temps, beaucoup de temps, mais elle a fini par y consentir… Ses amples fesses, maintenant zébrées de rouge, vont et viennent autour de la table. Elle y dépose les plats, les remporte quand ils sont vides… Silencieuse. Impénétrable.

– À boire !
Elle apporte…
– Encore ! À boire ! À boire, tavernière !
Elle apporte toujours…

Léonard l’attrape par la taille…
– Ton mari va te manquer cette nuit…
Elle tente de se dégager. Il la retient…
– Je prendrai sa place dans ton lit… Tu ne le regretteras pas, tu verras…
Elle le repousse…
– Alors ça, faut pas que t’y comptes…
Il éclate d’un rire gras…
– Oh, si, j’y compte ! Si ! Et je te veux consentante…
– Jamais !
– Le fouet t’amènera, s’il le faut, à de bien meilleurs sentiments…

Il réclame encore à boire…
– Sers-moi !
Il l’agrippe… La retient…
– Ta dernière nuit d’amour… Tu serais folle de n’en point profiter tout ton saoul… Parce que demain… Couic…
Il mime, du plat de la main, le couteau qui éventre la gorge…
– Couic…
Elle lui échappe…
– Tes compagnons aussi ont soif…

Elle les sert tour à tour… S’approche…
De la tête je fais signe que non… Elle insiste…
– Non…
Ses yeux plongent dans les miens…
Je tends ma coupe… Je ne bois pas…

On s’est écroulé sur les tables. Sur les bancs. On ronfle à qui mieux mieux…
Léonard ouvre un œil, se secoue…
– Allons, drôlesse, regagnons ta couche… Il est temps…
Il se lève… S’avance vers elle… Titube… S’effondre sans connaissance…

– Tu les as empoisonnés…
– Endormis… Je les ai endormis…
– Et maintenant ? Que comptes-tu faire ?
Elle ne me répond pas… Elle me fixe…
– T’enfuir ?
Elle acquiesce doucement. Sans me quitter des yeux…
– Tu n’y parviendras pas… On est partout… Une femme seule dans la nuit… Tu vas courir moult dangers… Tu seras prise… Tuée… Mais auparavant ils te…
– Je me déguiserai… Je…
– Laisse-moi t’accompagner… On me connaît… On ne se posera pas de questions… On ne t’en posera pas…
Une imperceptible hésitation. Elle me prend la main…
– Allons !

On brandit des torches sur notre passage. On nous les met sous le nez. On me salue. On me lance des « Bonne nuit » pleins de sous-entendus… Et on nous laisse passer…

On marche vers le Nord… Toujours vers le Nord…
– Là… Ici… Maintenant… Tu es en sécurité…
– Merci…
– Que vas-tu faire ?
Elle hausse les épaules en signe d’ignorance…
– Je n’ai plus de famille… Plus personne…
– Et moi, je suis à des centaines de kilomètres de chez moi…
On se regarde… On se redonne la main… Et on reprend la route…

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