samedi 2 février 2019

Les fantasmes de Lucie (37)



Militcha se veut compatissante.
– Madame la Duchesse ne souffre pas trop ? (*)
Je reste impassible.
– Non, Militcha, non ! C’est supportable.
En réalité la brûlure est intense. Lancinante. Partout. Du haut du dos jusqu’au bas des cuisses.
Elle m’aide à m’habiller. Je serre les dents. Qu’elle ne se rende pas compte… Qu’elle ne s’aperçoive pas…
– En tout cas, si je puis me permettre, Madame la duchesse a raison.
– Et de quoi donc, Militcha ?
– De faire sa réapparition dès ce soir à la Cour. D’oser aller y affronter les regards. Parce que plus elle laisserait le temps passer et plus ce lui serait difficile.
Elle rectifie ma coiffure.
– De toute façon, Madame la Duchesse n’est pas des plus à plaindre…
Je ne relève pas, mais…
– Parce que c’est Sa Majesté elle-même qui a exécuté la sentence. Or, il est très fréquent qu’elle fasse appel aux servantes de la condamnée et leur demande de se substituer à elle pour lui administrer le fouet.
Il y a comme une pointe d’envie dans sa voix.
Je ne sourcille pas. Je reste impénétrable.
– Ce qui fut le lot, tout récemment, de la Princesse Chelguine. Il faut dire qu’à ce qu’on m’a rapporté, elle a renâclé et s’est efforcée d’échapper à son châtiment. C’est une attitude qui indispose toujours considérablement Sa Majesté.
Elle reste un long moment silencieuse.
– Oh, mais à l’avenir, elle se montrera assurément beaucoup plus accommodante. Ses servantes ne l’ont pas ménagée. Et pour cause ! La façon dont elle se comporte au quotidien avec elles…
Elle se tient debout, derrière moi, avec ma robe.
– En tout cas, Madame la Duchesse, a fait preuve, elle, m’a-t-on dit, d’infiniment de fermeté et de résignation.
Elles parlent entre elles, les servantes. Elles parlent énormément. C’est pourquoi je précise…
– Je suis aux ordres de Sa Majesté. Il ne m’appartient pas de m’élever, de quelque façon que ce soit, contre ses décisions.
Elle m’aide à l’enfiler.
– Sa Majesté vous en a su manifestement gré.
La boutonne.
– D’autant que…
Elle hésite.
– D’autant que le traitement qu’elle a fait subir à Madame la Duchesse l’a à l’évidence enfiévrée, qu’elle est, aussitôt après, allée retrouver son compagnon du moment et que…
Elle n’achève pas. Ce n’est pas nécessaire.
Un sentiment de bien-être et de plénitude m’envahit : Sa Majesté m’a dû, au moins en partie, son plaisir. Je suis aux anges.
Elle réajuste ici… Réajuste là…
– Aussi Madame la Duchesse doit-elle s’attendre à ce que, dans les jours qui viennent, Sa Majesté ait à nouveau quelque reproche à lui faire.
Je croise son regard. Il y danse une petite lueur sur la nature de laquelle il n’est pas possible d’avoir le moindre doute. Je sais très exactement ce qu’elle pense. Et ce qu’elle espère.
Elle vérifie une dernière fois.
– Là ! C’est parfait. Je vais faire avancer le carrosse de Madame.

* *
*

J’entre dans la salle de bal. Tous les visages convergent vers moi.
Et je jouis.

(*) voir l’épisode précédent

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