samedi 16 février 2019

Les fantasmes de Lucie (39)


Dessin de P.Silex

« Couvent à vendre ». Cette annonce m’a intriguée. Qui, mais qui pourrait bien avoir l’idée saugrenue d’acheter un couvent ? Et pour y faire quoi ? D’autant que, si j’en jugeais d’après les photos, il s’agissait d’un bâtiment immense. Pourquoi ne pas aller y jeter un coup d’œil ? J’aurais là un but de promenade tout trouvé pour mon week-end.
Et j’ai pris la route. Cinquante kilomètres, ce n’était vraiment pas la mer à boire.

Il était perdu au milieu de nulle part. Plus grand et plus imposant encore qu’il ne le paraissait sur les photos. J’en ai fait le tour. Il était globalement en bon état. Les abords étaient bien entretenus. J’ai refait le tour. Essayé sans succès de m’y introduire. J’allais prendre le chemin du retour quand une voiture a surgi. Le conducteur a baissé la vitre.
– Vous êtes intéressée ? Vous voulez visiter ?
J’aurais bien aimé, oui.
Il est descendu, un trousseau de clefs à la main.
– Je vous ai vue de là-bas…
Avec un geste ample et vague du bras.
Il a ouvert. On est entrés. Et ça a été une succession de salles immenses, de plafonds voûtés, d’escaliers monumentaux.
– Ah, sûr qu’il y a de la place ! D’ailleurs jusqu’à cent trente pensionnaires il y a eu ici au XVIIIème et au XIXème siècles. De grandes jeunes filles à qui leurs familles voulaient offrir une éducation de qualité. Et même…
Il a baissé la voix.
– Et même des jeunes femmes que leurs maris voulaient mettre à l’abri de tentations auxquelles elles avaient parfois déjà cédé.
On a débouché dans le cloître.
– D’ailleurs, si ça vous intéresse, un érudit local a compulsé toutes sortes de documents d’époque. Établi toutes sortes de statistiques. Rédigé un ouvrage sur le sujet. Il y est même question d’une femme masquée.
– Une femme masquée ?
– Oui. Qui aurait fait plusieurs séjours ici. À différents moments. Et qui constitue un mystère. Sur les raisons de sa présence dans les lieux les témoignages sont contradictoires. Et très flous. Tout en allusions. Comme s’il y avait quelque chose à cacher.
– Quoi ?
– Ah, ça !
Au-dehors il s’est arrêté sur le pas de la porte.
– Bon, ben voilà ! Si vous êtes intéressée…
Mais il ne paraissait pas vraiment y croire.
– Appelez le propriétaire.

Dans mon lit, je suis encore là-bas. Avant. À faire des grimaces derrière le dos des sœurs. À échanger des secrets avec mes compagnes. À m’inventer un avenir de rêve.
Et puis il y a ces jours-là. Où survient la femme masquée. Personne ne sait qui elle est. Il se chuchote que c’est la fille ou la sœur d’un haut personnage. D’un très haut personnage. Peut-être même du roi. Toujours est-il que les religieuses se montrent, avec elle, d’une extrême obséquiosité. Qu’elle peut se permettre absolument tout ce qu’elle veut. Comme, par exemple, de se poster le long de l’escalier lorsqu’on monte au dortoir et de regarder sans vergogne sous nos robes.
Les sœurs entrent complaisamment dans le jeu.
– On ne court pas dans les escaliers, Mesdemoiselles.
Et elles contraignent les récalcitrantes à redescendre et à remonter, marche après marche, en prenant tout leur temps.
Mais moi, je ne plie pas. Je monte quatre à quatre.
– Quelle entêtée !
Et on m’oblige à recommencer. Six fois. Sept fois. Je ne cède pas.
La femme masquée fait un signe. On m’entraîne dans la salle capitulaire. Elle nous y rejoint, s’installe dans le grand fauteuil de la mère abbesse. On me force à m’agenouiller à ses pieds. À courber la tête devant elle. À me prosterner.
Ses orteils jouent dans ma chevelure.
– L’obéissance et la docilité sont, chez une jeune femme, les plus cardinales des vertus. Et il convient de les leur faire acquérir. De gré ou de force.
Et l’ordre claque.
– Dévêtez-la !
Il y a les mains des sœurs sur moi. Elles m’arrachent mes vêtements. Elles me dépouillent. Nue. Je suis nue. Entièrement nue devant elle.
Son regard m’épouse, s’attarde sur mes seins, se faufile sous ma toison.
– Fouettez-la !
Ça mord. Les épaules. Le dos. Les fesses. Il y en a deux des fouets. Non. Trois. Simultanément à l’œuvre. Je me tords de douleur. Je crie. Je hurle. Elles continuent, imperturbables.
– C’est assez !
Tout s’arrête.
Elle me considère d’un œil amusé.
– Approche !
On me propulse devant elle.
– Demain.
Elle me soulève le menton. Du bout du doigt.
– Demain, tu le monteras lentement l’escalier. Très lentement. Au milieu de tes petites camarades. Et dans la même tenue que maintenant. Mais pour le moment, file te coucher…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire