Dessin
de P.Silex
« Couvent
à vendre ». Cette annonce m’a intriguée. Qui, mais qui
pourrait bien avoir l’idée saugrenue d’acheter un couvent ?
Et pour y faire quoi ? D’autant que, si j’en jugeais d’après
les photos, il s’agissait d’un bâtiment immense. Pourquoi ne pas
aller y jeter un coup d’œil ? J’aurais là un but de
promenade tout trouvé pour mon week-end.
Et
j’ai pris la route. Cinquante kilomètres, ce n’était vraiment
pas la mer à boire.
Il
était perdu au milieu de nulle part. Plus grand et plus imposant
encore qu’il ne le paraissait sur les photos. J’en ai fait le
tour. Il était globalement en bon état. Les abords étaient bien
entretenus. J’ai refait le tour. Essayé sans succès de m’y
introduire. J’allais prendre le chemin du retour quand une voiture
a surgi. Le conducteur a baissé la vitre.
– Vous
êtes intéressée ? Vous voulez visiter ?
J’aurais
bien aimé, oui.
Il
est descendu, un trousseau de clefs à la main.
– Je
vous ai vue de là-bas…
Avec
un geste ample et vague du bras.
Il a
ouvert. On est entrés. Et ça a été une succession de salles
immenses, de plafonds voûtés, d’escaliers monumentaux.
– Ah,
sûr qu’il y a de la place ! D’ailleurs jusqu’à cent
trente pensionnaires il y a eu ici au XVIIIème et au XIXème
siècles. De grandes jeunes filles à qui leurs familles voulaient
offrir une éducation de qualité. Et même…
Il a
baissé la voix.
– Et
même des jeunes femmes que leurs maris voulaient mettre à l’abri
de tentations auxquelles elles avaient parfois déjà cédé.
On a
débouché dans le cloître.
– D’ailleurs,
si ça vous intéresse, un érudit local a compulsé toutes sortes de
documents d’époque. Établi toutes sortes de statistiques. Rédigé
un ouvrage sur le sujet. Il y est même question d’une femme
masquée.
– Une
femme masquée ?
– Oui.
Qui aurait fait plusieurs séjours ici. À différents moments. Et
qui constitue un mystère. Sur les raisons de sa présence dans les
lieux les témoignages sont contradictoires. Et très flous. Tout en
allusions. Comme s’il y avait quelque chose à cacher.
– Quoi ?
– Ah,
ça !
Au-dehors
il s’est arrêté sur le pas de la porte.
– Bon,
ben voilà ! Si vous êtes intéressée…
Mais
il ne paraissait pas vraiment y croire.
– Appelez
le propriétaire.
Dans
mon lit, je suis encore là-bas. Avant. À faire des grimaces
derrière le dos des sœurs. À échanger des secrets avec mes
compagnes. À m’inventer un avenir de rêve.
Et
puis il y a ces jours-là. Où survient la femme masquée. Personne
ne sait qui elle est. Il se chuchote que c’est la fille ou la sœur
d’un haut personnage. D’un très haut personnage. Peut-être même
du roi. Toujours est-il que les religieuses se montrent, avec elle,
d’une extrême obséquiosité. Qu’elle peut se permettre
absolument tout ce qu’elle veut. Comme, par exemple, de se poster
le long de l’escalier lorsqu’on monte au dortoir et de regarder
sans vergogne sous nos robes.
Les
sœurs entrent complaisamment dans le jeu.
– On
ne court pas dans les escaliers, Mesdemoiselles.
Et
elles contraignent les récalcitrantes à redescendre et à remonter,
marche après marche, en prenant tout leur temps.
Mais
moi, je ne plie pas. Je monte quatre à quatre.
– Quelle
entêtée !
Et
on m’oblige à recommencer. Six fois. Sept fois. Je ne cède pas.
La
femme masquée fait un signe. On m’entraîne dans la salle
capitulaire. Elle nous y rejoint, s’installe dans le grand fauteuil
de la mère abbesse. On me force à m’agenouiller à ses pieds. À
courber la tête devant elle. À me prosterner.
Ses
orteils jouent dans ma chevelure.
– L’obéissance
et la docilité sont, chez une jeune femme, les plus cardinales des
vertus. Et il convient de les leur faire acquérir. De gré ou de
force.
Et
l’ordre claque.
– Dévêtez-la !
Il y
a les mains des sœurs sur moi. Elles m’arrachent mes vêtements.
Elles me dépouillent. Nue. Je suis nue. Entièrement nue devant
elle.
Son
regard m’épouse, s’attarde sur mes seins, se faufile sous ma
toison.
– Fouettez-la !
Ça
mord. Les épaules. Le dos. Les fesses. Il y en a deux des fouets.
Non. Trois. Simultanément à l’œuvre. Je me tords de douleur. Je
crie. Je hurle. Elles continuent, imperturbables.
– C’est
assez !
Tout
s’arrête.
Elle
me considère d’un œil amusé.
– Approche !
On
me propulse devant elle.
– Demain.
Elle
me soulève le menton. Du bout du doigt.
– Demain,
tu le monteras lentement l’escalier. Très lentement. Au milieu de
tes petites camarades. Et dans la même tenue que maintenant. Mais
pour le moment, file te coucher…
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