lundi 25 février 2019

Lettre de requête



Dessin de Léon Roze

Elle a repoussé les feuillets, découragée.
– Je n’y arriverai jamais.
– Il va bien falloir pourtant. Vous savez ce qu’il m’a dit qu’il exigeait de vous. Une lettre en termes explicites. Et convaincants. Faute de quoi, vous aurez affaire à la justice.
– Y aura-t-il vraiment recours ?
– N’en doutez pas ! Et les malversations auxquelles vous vous êtes livrée vous vaudraient, si tel était le cas, assurément la prison.
– Je suis prise au piège.
– En effet. D’autant que votre mari serait alors nécessairement mis au courant. Est-ce ce que vous voulez ?
– Que puis-je faire, mon Dieu, que puis-je faire ?
– La rédiger, cette lettre.
– Aidez-moi, mon ami, je vous en conjure, aidez-moi !
– Soit ! Écrivez… Monsieur le Directeur, Je me suis rendue coupable, à votre égard, d’une faute d’une extrême gravité. Et le vol que j’ai commis à vos dépens…
– Je ne suis pas…
– Une voleuse ? Il souhaite, ne l’oubliez pas, que vous appeliez les choses par leur nom. Allons, poursuivons ! Le vol que j’ai commis à vos dépens m’expose, j’en ai parfaitement conscience, à des sanctions pénales dont ni ma réputation ni celle de mon mari ne parviendraient à se relever.
– Il me faudrait vraiment aller en prison ? Vous êtes sûr ?
– Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Pour plusieurs années. Et vos conditions de détention, dans une promiscuité…
– Taisez-vous ! Je vous en supplie, taisez-vous !
– Alors poursuivons ! Aussi vous saurais-je gré, même si je ne la mérite pas, de bien vouloir faire preuve d’indulgence à mon égard et de ne pas m’imposer l’humiliation d’un procès infamant. En lieu et place duquel j’accepterais, avec reconnaissance, le châtiment que vous voudriez bien m’infliger de vos propres mains.
– Reconnaissance. Est-ce vraiment nécessaire, reconnaissance ?
– Absolument. Continuons ! Il ne tiendra alors qu’à vous d’appliquer sur mon postérieur que j’aurai au préalable intégralement dénudé… Eh bien ? Vous n’écrivez plus ?
– Non. Oui. Si ! Mon Dieu…
– Vingt coups de fouet.
– Vingt ! Il me faudra donc boire le calice jusqu’à la lie ?
– Je le crains. D’autant – et c’est un point sur lequel il a beaucoup insisté–  qu’il vous faudra accepter que d’autres séries de vingt coups de fouet vous soient administrées, réparties dans le temps, autant de fois qu’il le jugera nécessaire.
– Je ne pourrai, Armand. Ce sera au-dessus de mes forces.
– Il le faudra pourtant. Les conséquences, si vous vous y refusez…
– Je le sais, mon ami, je le sais. Mais la honte qu’il va m’être donné d’éprouver…
– Sera infiniment moindre que celle dont vous seriez irrémédiablement et définitivement couverte si les faits dont vous vous êtes rendue coupable viennent à être publiquement dévoilés.
– Quand il me…
– Fouettera…
– Vous pouvez m’assurer que ce sera sans témoins ?
– Absolument. Il n’y aura que vous, lui et moi.
– Vous aussi !
– Il y tient absolument.
– Mais…
– Nous sommes amants, chère amie, et ce ne sera certes pas la première fois que…
– Sans doute ! Mais la situation dans laquelle je vais être contrainte de me trouver devant vous…
– Devrait, selon lui, vous amener à nourrir des réflexions dont vous tirerez, pour l’avenir, le plus grand profit.
– Que je regrette ! Oh, que je regrette !
– Ce qui, malheureusement, ne peut plus désormais vous être d’aucun secours. Bon, mais n’abusons pas de sa patience. Remerciez-le par avance des bontés dont vous le suppliez de faire preuve à votre égard et finissons-en.
– Que je le remercie !
– C’est la moindre des choses, non, vous ne croyez pas ?
– Je ne sais pas. Si ! Oui. Peut-être. Oui. Que je regrette !

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