lundi 4 février 2019

Entretien d'embauche


Dessin de Georges Topfer.

« Dame de condition recherche servante motivée, compétente, honnête, consciencieuse et d’une docilité à toute épreuve. Appointements généreux. Non conformes s’abstenir. »

Je l’ai lue, relue encore et encore, cette annonce. Je l’ai découpée. « D’une docilité à toute épreuve ». Elle entendait quoi par là ? Oh, c’était clair, non ? Suffisamment explicite. Et l’occasion ou jamais. Est-ce que j’allais me décider enfin à sauter le pas ? Ou continuer à me contenter de rêver mes aspirations les plus secrètes sans chercher à leur donner vraiment consistance ? Tu te défiles toujours, ma pauvre fille. Pour tout. Est-ce que tu vas enfin te décider à regarder les choses en face ? Et, surtout, à te regarder, TOI, en face ?

Et je me suis décidée d’un coup. Ne pas réfléchir. Foncer.
C’était une demeure cossue, entourée d’un grand parc soigneusement entretenu.
J’ai sonné. Deux fois. Trois fois. J’allais renoncer, tout à la fois soulagée et désappointée, quand la porte s’est brusquement ouverte sur une femme d’une cinquantaine d’années, à l’allure imposante, aux larges épaules, au regard inquisiteur.
Elle m’a examinée des pieds à la tête.
– Entrez !
Dans un coquet petit salon. Elle s’est assise. M’a laissée debout. Encore longuement considérée.
Moi, je dansais d’un pied sur l’autre, sans savoir où poser mon regard ni quelle contenance adopter.
– Vous venez pour l’annonce ?
C’était ça, oui. Oui. Pour l’annonce.
– Vous avez bien compris de quoi il s’agit ?
– Il me semble.
–Il vous semble ou vous êtes sûre ?
Sûre, oui. J’étais sûre.
– J’exige de mon personnel une obéissance absolue. Et qu’il accepte de recevoir, sans la moindre protestation, les châtiments que j’estime qu’il a mérités. Me fais-je bien entendre ?
– Oui, Madame.
– Êtes-vous prête à accepter ces conditions ?
– Je…
– C’est oui ou c’est non.
– Oui.
– Fort bien. Avez-vous déjà quelque expérience en la matière ?
– Un peu.
– C’est-à-dire ?
– J’ai été quelque temps au service de…
– Vous mentez… Vous n’avez été au service de personne. Du moins dans ces conditions-là. C’est évident. Il suffit de vous regarder.
J’ai bredouillé. Lamentablement bafouillé.
– Je… Si… Enfin non… C’est plutôt que…
– Vous feriez mieux de reconnaître que vous mentez.
J’ai baissé la tête.
– Eh bien ?
– Je mens, oui.
– Vous commencez fort, vous, on peut pas dire… Ce va nous être l’occasion de tester votre motivation. Parce que je ne laisse jamais passer le moindre mensonge. Là-dessus, je suis absolument intraitable. Alors vous vous déshabillez…
– Que je…
– Oui. Je vais vous punir.
Je n’ai hésité qu’une fraction de seconde. C’était la situation dans laquelle j’avais maintes et maintes fois rêvé que je me trouvais. Une voix autoritaire. Impérieuse. Devant laquelle je me sentais toute petite. Une femme qui décidait. Qui voulait. Qui exigeait de moi. Pour ma plus grande honte. Et ma plus grande volupté.
Elle m’a regardée faire.
– Tout ! Vous enlevez tout.
Le bonheur de l’obéissance. Le bonheur à nul autre pareil de l’obéissance.
Et j’ai été nue.
– Venez ! Ce sera le martinet. Pour le mensonge, c’est toujours le martinet. Vingt coups. Parce que c’est la première fois. Mais si vous récidivez…
Je l’ai suivie.

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