Pierre
marche de long en large comme un furieux.
– Ah,
vous voilà ! Vous savez la nouvelle ?
Elle
feint l’étonnement.
– Non.
Quoi donc, mon ami ? Quelle nouvelle ?
– Le
fils De Fontvieille… Gontran… Il n’a pas rejoint son régiment.
Déserteur. Hein ? Qu’est-ce que vous dites de ça ?
Ce
qu’elle en dit, c’est que c’est une honte. C’est ce qu’il
faut qu’elle dise. C’est ce qu’il veut entendre.
Il
éructe.
– C’est
un scandale ! Un véritable scandale.
Il
ne décolère pas de tout le repas.
– Qu’on
le rattrape ! Conseil de guerre. Qu’on le fusille ! Qu’on
fasse un exemple ! S’enfuir lâchement quand la patrie est en
danger… Une balle en plein cœur, c’est tout ce qu’il mérite !
Oui. Parfaitement. Une balle en plein cœur. Devant le front des
troupes.
Elle
l’écoute. Et elle ne l’écoute pas. Elle se sent étrangement
vide. Comme absente d’elle-même. Plus grand chose n’a
d’importance. Plus rien n’a d’importance. Il est parti. Sans le
lui dire. Sans un adieu. Elle le déteste. Elle le hait.
Elle
l’aime. Comme elle l’aime !
Dans
sa chambre, après, sur son lit, elle ferme les yeux. Ils sont pleins
de larmes. Où est-il ? A-t-il quitté l’Europe ? Oui.
Forcément. Elle l’imagine. Il vogue. Vers ailleurs. L’Afrique ?
L’Amérique ? Les flots le bercent. Il est allongé sur le
pont d’un navire, au soleil. Soulagé. Heureux ? Non. Pas
heureux. Il se sent sale. Méprisable. Il s’efforce de n’y pas
penser. De sourire à son avenir. Comment se le représente-t-il ?
Est-ce qu’il lui y ménage une petite place ? Une toute petite
place ? Est-ce qu’il voudra qu’elle le rejoigne quand il
sera installé bien à l’aise dans sa nouvelle vie ? Quand
tous ces bruits de guerre et de violence se seront estompés ?
Oui, mais quand ? Dans un an ? Deux ? Trois ?
Elle esquisse un sourire. Elle aussi, à son tour, elle vogue. Vers
lui. Vers un pays où il fait toujours beau. Où il y a des arbres
gigantesques. Des plantes aux fleurs improbables, aux senteurs
enivrantes. Elle y débarque sur une plage de sable fin. On la
conduit vers lui. Dans un village aux maisons blanches qui
ruissellent de soleil. Il est là, entouré d’ouvriers, auxquels il
donne des ordres. Il lève la tête. Il l’aperçoit. Il court vers
elle. Elle se jette dans ses bras. Leurs lèvres se joignent. Ils
sont heureux. Jusqu’à la fin des temps.
Elle
se réveille en sursaut. Elle est en nage. Son cœur bat la chamade.
Elle a rêvé qu’on l’avait pris. Gontran. Capturé. Juste au
moment où il allait embarquer. On l’a battu. À coups de poing. À
coups de pied. À coups de crosse. Il a le visage en sang. Une
pommette éclatée. Il est couché à même le sol d’une cellule
glaciale. Elle serre ses deux mains contre sa poitrine. Ce n’est
qu’un méchant rêve. Un cauchemar. Elle ne sait pas. Elle a peur.
Et si c’était vrai ? C’était tellement présent. Tellement
réel.
Elle
ne se rendort pas. Elle se tourne. Elle se retourne. Finit par se
lever sans bruit. Il faut qu’elle bouge. Il faut qu’elle marche.
Ses
pas la conduisent là-bas. À la grange. C’est là que… Gontran…
L’odeur du foin. Elle s’y étend. À l’endroit même où, la
dernière fois… Elles étaient si bonnes, ses caresses. Si pleines
de passion. Et ses mains sont sur ses seins. Elle en caresse les
pointes du bout du pouce. Elles descendent. Se font insistantes.
Précises. De plus en plus précises. Il est là, avec elle. Ce sont
ses doigts qui la guident vers le plaisir. Qui vont le faire éclater.
Qui… Une brûlure intense, soudain, sur ses cuisses. Une autre…
– Madame
devrait avoir honte. Honte…
Mais
elle a honte. Oui, elle a honte. Comment elle a honte !
Et
elle se tourne. Elle lui présente ses fesses. Qu’il cingle à tout
va.
– Plus
fort, Sylvain ! Plus fort !
Et
elle jouit dans un grand râle.
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