lundi 29 août 2011

Souvenirs d'avant ( 9 )

9-

Encore des souvenirs... Qui remontent... Qui envahissent... Des souvenirs tragiques... Des souvenirs de mort et de souffrance... De terreur et de chairs meurtries... Ce n'est pas qu'il n'y en ait pas d'autres... Paisibles et sereins... Doux et lumineux... Mais ils sont friables... Insaisissables... Impossible de leur trouver une cohérence... De les resituer dans un contexte... Ils fuient dès que j'essaie de les fixer... Seuls les autres - les douloureux - prennent consistance, s'installent, prolifèrent...

Des cris d'épouvante... Des supplications... Des chevaux qui croulent sous le poids du butin... Ils approchent... Ils sont là... Tout près... De plus en plus près... Dans la maison voisine... On entend hurler... Puis le silence...

La nôtre... Ils entrent... Ils sont dans la nôtre... Ils sont cinq... Je m'avance vers eux... Ils me repoussent contre le mur et ils se servent... Ils prennent... Tout... Tout ce qui leur tombe sous la main... Dans toutes les pièces... Qu'ils investissent les une après les autres... Méthodiquement... Ils emportent... Tout... Tout ce qu'ils peuvent...

Dans la chambre elle s'est dissimulée derrière un rideau, terrorisée... Ils l'en extirpent en riant... Lui arrachent ses bijoux...
- Tu en as d'autres... Ils sont où?...
Non... Non... Elle n'en a pas d'autres... Non... Elle le jure... Elle le jure sur...
Ah, elle n'en a pas d'autres?!...
- On va voir...
Ils la déshabillent avec brutalité... La jettent sur le lit... La tiennent... La maintiennent... Une ceinture claque... S'abat... Elle crie... Elle supplie... Qu'ils arrêtent!... Par pitié, qu'ils arrêtent!...
- Ils sont où tes bijoux?...
Quels bijoux?... Elle n'a pas d'autres bijoux... Ils peuvent chercher... Ils peuvent fouiller...
Ils reprennent de plus belle... Elle hurle... Elle sanglote...
Je les sors de leur cachette... Je les leur tends.... Ils s'enfuient...

Elle continue à sangloter...
- Pourquoi t'as fait ça?... Pourquoi tu les leur as donnés?... Fallait pas... Fallait pas...
- Ils t'auraient tuée...
- Ca fait rien... Fallait pas...
Elle pleure... Longtemps... En silence... Elle pleure...

Moi aussi je pleure... Il ne nous reste rien... Rien... Ce qu'ils n'ont pas pu emporter ils l'ont brisé... Le sol est jonché de débris de toutes sortes... Tout ce que nous aimions... Tout ce qui faisait notre quotidien... Qui lui donnait sa couleur... Son sens... J'erre de pièce en pièce et je pleure...

- Qu'est-ce qu'on va faire?... Qu'est-ce qu'on va devenir?...
Je hausse les épaules, impuissant...
Elle se réfugie dans mes bras... On pleure... On s'endort... On finit par s'endormir...

- Ecoute!... Ils reviennent...
- Mais non!... Tu as rêvé...
- Si!... Ecoute!...
Elle a raison...
- Ne bouge pas... Ne bouge surtout pas d'ici...

C'en sont d'autres... Qui titubent, avinés... Qui s'éparpillent dans la maison...
Donne-nous ton or...
- On nous l'a déjà pris... On nous a tout pris...
- Tu mens... Donne ton or... Donne ton or ou bien...
Il en revient un, la mine déconfite... Un autre...
- On a regardé partout... Il n'y a rien... Il n'y a plus rien... Pas la peine...
Ils vont s'en aller... Ils se dirigent vers la porte...
- Et ça?!:.. Ca vaut pas le coup, ça peut-être?...
Il la pousse devant lui...
- De la femelle!...
Ils s'arrêtent... Reviennent sur leurs pas...
- Mais c'est qu'elle est pas mal du tout en plus!...
- Si on se payait dessus?...
Ils l'entourent...
- Allez!... Fais voir comment t'es faite...
Je me précipite... On me plaque contre le mur, un glaive sous la gorge...
- Si tu bouges tu es mort...
Elle se débat... Elle hurle... Elle griffe... Elle mord...
- Qu'est-ce qui se passe ici?...
Trois autres... Surgis de dehors...
- Hein?... Qu'est-ce qui se passe?... On ne touche pas aux femmes... Sous aucun prétexte... Ordre de Sigéric... Ne me dites pas que vous l'ignorez... Bon, mais on réglera ça là-bas... En attendant vous sortez d'ici...

jeudi 25 août 2011

Escobarines: Angèle ( 4 )


- Eh ben tu vois quand tu veux !… Deux fautes, c’est tout !…
- Oui, mais ça c’est parce que t’expliques bien… J’y avais jamais rien compris, moi, à l’accord des participes passés… C’est simple finalement…
- C’est simple parce que tu as été attentive… Parce qu’on a fait ce qu’il fallait pour que tu le sois… Tu vas voir maintenant… Spectaculaires ils vont être tes progrès… Bon, mais est-ce que tu as rangé ta chambre au moins ?… Comme je te l’ai demandé… Ce matin elle était dans un état…
- C’est que j’avais pas eu le temps…
- Maintenant tu l’as…
- Ben oui, oui… Seulement j’avais prévu…
- Peu importe ce que tu avais prévu… Tu commences par aller ranger ta chambre… Et comme il faut… Je vais venir vérifier…

- Ah, ben voilà !… Vivre dans une chambre rangée, c’est quand même nettement plus agréable, non?…
- Ben oui, mais…
- Mais tu es d’un naturel paresseux… Et tu préfères passer des heures vautrée sur ton lit à feuilleter des revues plutôt que de faire un minimum de ménage… Mais ça aussi ça va changer, tu vas voir… Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?…
- Dans ce tiroir ?… Oh, rien… Des babioles de quand j’étais petite… C’est sans intérêt…
- Effectivement, oui… Tu es très conservatrice, hein ?…
- Un peu…
- Et dans celui-là il y a quoi ?…
- Non… Celui-là, non… C’est rien… Il y a rien dedans… Il est vide…
- Ah, oui ?… Pourquoi tu tiens tant à ce que je ne l’ouvre pas alors ?… Enlève-toi de là !… Allez !… Vite !… J’ai pas que ça à faire… Vite, j’te dis… Là… Ah, ben dis donc !… Bravo !… T’as de quoi t’amuser… Combien il y en a ?… Hou la la la !… Mais c’est une véritable collection…
- Tu vas me punir pour ça ?…
- Bien sûr que non… Quoi d’anormal à ce qu’une grande fille de ton âge se donne du plaisir avec ce genre de joujoux ?… Non… Par contre tu as menti en prétendant que ce tiroir était vide…
- Je sais, oui…
- Et ça, c’est inexcusable…
- Je le ferai plus… J’te promets…
- Les promesses, c’est bien, mais ça ne fait pas tout… Et si on veut être sûr qu’elles soient tenues…
- Tu vas m’en donner une alors ?…
- Seulement si tu estimes, toi, qu’elle est méritée…
- Elle l’est… Oui… Elle l’est…
- Alors… Alors tu sais ce qui te reste à faire…
- Tout de suite ?…
- Bien sûr tout de suite…
- J’enlève quoi ?…
- Tout… Et tu te mets à plat ventre sur le lit…

- T’as tapé fort… Et longtemps… Bien plus que d’habitude…
- Le mensonge est un très vilain défaut… L’un des plus vilains… Non ?… Tu n’es pas de cet avis ?…
- Si !…
- Ah, tu vois !… Bon… Mais on en a pas fini avec tes tiroirs… Il y a quoi dans celui-là ?…
- Mes culottes…
- Il y en a pour une fortune, dis donc !… Apparemment on a les moyens quand on travaille pas…
- Mais non !… Mais c’est que…
- On verra ça plus tard… Et celui-là ?…
- Du courrier… Des photos…
- Fais voir… C’est ton petit ami ?…
- Celui du moment, oui…
- Il est mignon…
- Et là-dessous ?…
- C’est mon journal intime…
- Que tu vas me donner à lire…
- Si tu veux… Oui… Si tu veux…

- Qu’est-ce tu fais ?…
- Ben tu vois… Je lis…
- Je peux regarder aussi ?… J’ai envie d’être avec toi…
- C’est gentil…
- J’aime bien ce que je ressens après comme ça… Le derrière il brûle, mais c’est tout doux à l’intérieur de moi… Tout apaisé…

lundi 22 août 2011

Souvenirs d'avant ( 8 )

8-

On nous emmène, sous bonne escorte, jusqu'au temple de Vesta...
- Vous allez sacrifier à la déesse, chrétiens... Je vous jure que vous allez lui sacrifier... De gré ou de force...
Il tend l'encens à Félix... Qui le refuse... Qui fait le signe de la croix... Qui croise ses mains dans son dos...
Allons, chrétien, allons!... Pourquoi t'obstiner?... Marcellin lui-même, ton évêque, a offert l'encens à Vesta...
- Tu mens...
- Offre l'encens...
- Non...
Un coup... Porté au visage... Avec une force inouïe...
Felix chancelle... Du sang sourd, en abondance, de ses narines... Il s'écroule...
- Emportez-le!...
A côté un hurlement. Puis plus rien...

- A ton tour...
Au tour de Thalia... Qui s'avance d'un pas décidé... Qui le défie du regard...
- Baisse les yeux!...
Non... Doucement... De la tête... Non...
- Baisse les yeux!...
Il va la frapper... Je suis sûr qu'il va la frapper... Je m'avance... On me repousse... D'un coup de pied dans le ventre... Je me tords de douleur... Il rit...
- On va vous garder pour la bonne bouche tous les deux... Ca risque d'être amusant... Très amusant... Si, si!...

Les autres... Un par un... Je regarde au-dessus d'eux... Très loin au-delà d'eux...
Il y en a qui cèdent... Très vite...
Il pousse, chaque fois, un grand cri de triomphe...
Mais la plupart s'obstinent à refuser de sacrifier aux idoles... On les emmène... On entend claquer des fouets... On entend crier... Hurler de douleur... Supplier...
Ceux qui reviennent, meurtris, ensanglantés, versent l'encens en tremblant... Repartent en larmes...
Quant aux autres...

Il ne reste que nous... Nous deux... Thalia et moi...
- Allons, chrétienne, montre-toi raisonnable...
- Le seul Dieu que je reconnaisse, c'est...
- C'est bon... C'est bon... On connaît le refrain... Offre l'encens...
- Non...
- Les châtiments qui te sont réservés te feront changer d'avis...
- Le seul châtiment que je redoute, c'est celui que m'infligerait ma conscience si j'en venais à renier ma foi...
- Tu plieras... Le fouet en a ramené à la raison de beaucoup plus déterminés que toi...
- IL me donnera, de là-haut, la force nécessaire...
- Nous verrons... A toi, chrétien... Offre l'encens...
Je ne réponds pas... Je prie...
Emmenez-les!...

Ils sont massés sur la place, en-dessous... Des dizaines... Des centaines... Qui vocifèrent, haineux...
- A mort, les chrétiens!... A mort!...
L'ordre claque...
- Déshabille-toi!...
Thalia ne bouge pas...
- Mettez-la nue!...
Trois gardes se précipitent... La dépouillent sans ménagement de ses vêtements...
- Tu fais moins la fière, chrétienne...
Il l'oblige à se tourner vers la foule... Qui s'esclaffe... Qui commente grassement...
- Lui aussi!...
On se jette sur moi... On m'arrache mes vêtements... On me couvre de quolibets...

On nous met face à face... On nous pousse, on nous plaque l'un contre l'autre... Et on nous attache ensemble, à hauteur des bras, à hauteur des cuisses... Enserrés à n'en plus pouvoir bouger... Un ordre... Les fouets claquent... Simultanément... La pressent contre moi... Me pressent contre elle... Les fouets... Méthodiques... Réguliers... Ils nous mordent... Ils nous déchirent... Elle geint... On arrête...
- Il bande, chrétienne?... Tu le sens bander?...
On éclate de rire...
- Sacrifiez aux dieux...
- Non...
- Non...
Ca reprend de plus belle...
Ses yeux se ferment... Sa tête retombe sur mon épaule...

jeudi 18 août 2011

Escobarines: Angèle ( 3 )


- C’est pas vrai que t’es déjà levée ?!…
- Ben si ! Si !… Plus je m’y prendrai tôt et plus j’aurai des chances d’en trouver du travail…
- Quel changement !… C’est spectaculaire, dis donc !… Une véritable métamorphose… Faut croire que la petite leçon de l’autre jour a porté ses fruits… Et pas qu’un peu…
- Oui… Si… C’est vrai… Je serais une menteuse si je prétendais le contraire…
- Et alors ?… Qu’est-ce qu’on dit ?…
- Merci… Oh, oui… Merci, Angèle…
- C’est bien… Tu n’as pas mauvais fond finalement… C’est juste que personne, jusqu’à présent, ne s’est vraiment soucié de ton éducation… Mais il n’est pas trop tard… Il n’est jamais trop tard…

- Alors ?… Comment ça s’est passé ?…
- Quatre j’en ai vu… Ca a marché nulle part… Mais il y en a un qui m’a fait faire quelques tests comme ça vite fait et qui m’a dit que, même pour le boulot que je veux faire, il y a un minimum de connaissances à avoir en français… Ne serait-ce qu’en orthographe… Et alors là c’est un truc où j’ai toujours été d’un nul, mais d’un nul !…
- Parce que tu n’as jamais voulu t’en donner la peine…
- Si !… C’est pas ça, mais…
- Bien sûr que si que c’est ça !…
- Ca s’apprend pas l’orthographe… C’est inné…
- Ben voyons !… Et puis quoi encore ?… T’as vu jouer ça où ?… On va voir si ça s’apprend pas… Et pas plus tard que tout de suite… Tu vas me chercher du papier… un stylo… et tu t’installes à la table de la cuisine…

- Bon… Alors… Voyons ça !… Non, mais c’est pas vrai !… Tu l’as fait exprès… C’est pas possible autrement…
- Ah, non, non, j’te jure !…
- Non, mais l’étendue des dégâts !… Ah, il y a à faire… C’est le moins qu’on puisse dire… A part tout reprendre à zéro je vois pas comment on pourrait te remettre à niveau… Tu n’as jamais fait le moindre effort, hein ?!…
- Mais si !… Seulement…
- Ah, tu vas pas recommencer, écoute !… Tu ferais beaucoup mieux de reconnaître, une bonne fois pour toutes, que t’as un poil long comme ça dans la main et que ça fait des années que tu te laisses vivre… C’est pas vrai peut-être ?… Reconnais-le au moins !…
- Peut-être que si j’avais un peu plus travaillé…
- C’est pas peut-être, c’est sûrement… Et c’est pas un peu plus, c’est VRAIMENT… On voit le résultat avec ce torchon… Ah, tu peux être fière de toi… Il est temps de t’y mettre, hein, Pauline !… Il est plus que temps…
- J’y arriverai jamais… Je suis nulle alors !… Je suis une ratée… Je serai toujours une ratée…
- Mais non !… Faut pas dire des choses pareilles… Je t’aiderai… Tu y arriveras, tu verras…
- Je sais pas…
- Mais bien sûr que si !… Si on y met toutes les deux du nôtre… Bon… Et pour partir d’un bon pied, on va commencer par régler le solde de cette lamentable dictée et de toutes ces années de paresse… Ca s’impose, non, tu crois pas ?…
- Si…
- A la bonne heure !… Allez, viens là !…

- Angèle ?!…
- Oui, ma grande…
- Tu vas me laisser longtemps là comme ça ?…
- Le temps qu’il faudra… Le temps que tu réfléchisses… Et que tu prennes autant de bonnes résolutions que possible…
- Ca y est, ça !… Je l’ai fait…
- Aussi vite ?… Oh, non !… Non… C’est pas en deux petits quarts d’heure que tu as pu aller vraiment au fond des choses…
- Si, je t’assure !…
- Mais non !… Bien sûr que non !… Et tu le sais très bien…

- Faut que je reste encore ?…
- Encore un peu, oui !…
- Oh, s’il te plaît !… Ca va faire une heure…
- Et alors ?… Quelle importance ?…
- Oh, si, c’est important, si… Parce que…
- Parce que ?…
- Ben parce qu’il peut arriver d’un moment à l’autre mon père…
- Et que s’il te trouve comme ça… C’est ce qu’il faudrait… Ca n’en serait sans doute que plus efficace…
- Oh, non, hein ?!...
- Mais non !... Je ne vais pas t’imposer une épreuve pareille, rassure-toi !… Tout ça restera strictement entre nous…
- Merci…
- Le voilà !… Dépêche-toi de te rhabiller…

lundi 15 août 2011

Souvenirs d'avant ( 7 )

7-

Des cris dans la rue… Des courses échevelées… Des cavalcades… Ca s’arrête en bas… Devant ma porte…
- Ouvre, chrétien !… Ouvre !…
- Viens sacrifier aux dieux de tes ancêtres ou tu es mort…
Je me précipite en bas… Je m’engouffre dans la cachette que j’ai secrètement aménagée… Que j’ai mis des semaines et des semaines à aménager… Vite… Sauvé !… On ne me trouvera pas…

On ne me trouve pas… Ce n’est pas faute de chercher pourtant… De descendre… De s’approcher… Tout près… Ils sont une dizaine… Au moins…
- Pas la peine… Il s’est enfui… On va plus loin…
- Mais avant…
Avant ils pillent… Je les entends… Ils emportent tout ce qu’ils peuvent emporter… Le reste ils le saccagent… Ils le détruisent… Ils le brûlent…

Avec la nuit un calme tout relatif est revenu… Je m’extirpe avec précaution de ma cachette… Une odeur âcre me prend à la gorge… Ca brûle… Partout… Une multitude d’incendies… C’est toute la ville qui semble s’être embrasée…

Je remonte… Je m’arrête sur le pas de ma porte… Un spectacle de désolation… Je n’ai plus de chez moi… Je n’ai plus rien… Je me laisse tomber sur un bloc de pierre et j’éclate en sanglots…

On me touche le bras… Je me lève d’un bond…
- N’aie pas peur !… C’est moi…
Elle… Thalia… Elle est des nôtres…
- Dieu soit loué !… Tu es vivante…
- Ne pleure pas !… Ce ne sont que biens matériels… Tu auras la vie éternelle…
Je la serre dans mes bras…
- Et les autres ?… Tu as des nouvelles ?…
Elle hausse les épaules…
- Comment veux-tu ?… Je n’ai vu personne… Parlé à personne… Tu étais le plus près… J’ai couru jusqu’ici… En me cachant… En prenant mille précautions…
- Ils ont peut-être réussi à aller se réfugier là-bas…
« Là-bas », c’est une mine désaffectée dans les galeries de laquelle on a entreposé, au fil du temps, vivres et couvertures… La consigne est de s’y rendre, en cas de danger majeur pour notre communauté, aussi rapidement et aussi discrètement que possible…
- Je ne cesse pas de prier pour qu’ils y soient effectivement parvenus… Pour que la plupart d’entre nous y soient parvenus…

- Allez !… A la grâce de Dieu…
On va tenter de les rejoindre… Un dernier signe de croix… On se prend la main… Un coup d’œil dans la rue… Personne…

Ils sont une douzaine… Une douzaine de nos frères – pas plus – regroupés autour de Felix, notre patriarche, qui nous serre l’un après l’autre contre sa poitrine…
- Mes enfants !… Mes enfants !…

- Mais enfin que veulent-ils ?…
- Que veut-il ?!… Que veut l’empereur Dioclétien ?… Ou plutôt Galère… C’est lui le véritable instigateur de tout ça… Ce qu’il veut ?… Nous exterminer… Il a fait raser nos églises… Détruire nos textes sacrés… Les nôtres ont perdu leurs charges… Nos prêtres ont été arrêtés… Maintenant c’est à nous qu’on s’en prend… On veut nous contraindre à sacrifier aux idoles… On nous torture pour qu’on s’y résolve… On nous exécute si on s’y refuse…
Il se tait… Les larmes lui inondent le visage…
- Prions !… C’est tout ce que nous pouvons faire… Prier… Que Dieu nous donne la force d’affronter les épreuves qu’il nous envoie… Prions !…
On prie… Avec ferveur… Et on s’endort, épuisés…

- Debout !… Vous sortez… Mains sur la tête…
Félix nous bénit… Un à un…
- Ne résistez pas !… Ne leur offrez aucune résistance… Courage, mes frères…
- Allez, chrétiens, en route !… Vous allez sacrifier aux vrais dieux…

jeudi 11 août 2011

Escobarines: Angèle ( 2 )


Elle a allumé… Tiré draps et couvertures jusqu’au pied du lit…
- Allez, debout, grande paresseuse !… Il est sept heures…
- Mais pour quoi faire ?… Je bosse pas !…
- Ben justement !…Raison de plus… Pour aller en chercher du travail…

On a déjeuné ensemble dans la cuisine…
- Si tu crois que c’est en te levant tous les matins à onze heures que tu vas décrocher un emploi…
- J’y vais l’après-midi…
- Quand tout le monde s’est déjà présenté avant toi… Comme ça t’es sûre que toutes les places seront prises… Faut croire que t’as vraiment l’intention d’en trouver du travail !…
- Mais non, c’est pas ça, mais…
- Mais c’est beaucoup plus facile de passer ses journées devant l’ordi à se faire entretenir par papa… Qui te laisse passer beaucoup trop de choses… Qui, à l’évidence, t’en a toujours beaucoup trop laissé passer… C’est pas te rendre service… Il est temps – il est plus que temps – que quelqu’un te prenne enfin en mains… Non ?… Tu n’es pas de mon avis ?…
J’ai baissé la tête sans répondre…
- Bien sûr que si !… Au fond de toi-même tu sais que j’ai raison…
Si… Oui… Mais comment elle le savait ?…
- Bon… Mais assez perdu de temps… Tu trouveras les journaux du matin sur la petite table basse du séjour… Tu sais ce qui te reste à faire…

- Alors ?…
- Alors… Partout je me suis cassé le nez… Ou bien la place est déjà prise… Ou bien j’ai pas assez d’expérience… Ou bien on me tiendra au courant… De l’air de quelqu’un qui le fera jamais… C’est d’un décourageant !…
- Ce qui veut dire – si on sait lire entre les lignes – que tu t’es dépêchée de te décourager… T’as frappé à deux ou trois portes, vite fait, pour la forme et tu t’es réfugiée dans le premier café venu… Avant d’aller courir les magasins de vêtements pour y dépenser l’argent que tu n’as pas gagné… C’est pas vrai peut-être ?… Regarde-moi !… C’est pas vrai ?…
- Si c’est pour que ça serve à rien…
- Elle est incroyable cette gamine… Incroyable… Tu comptes en faire quoi de ta vie ?… Rester chez papa sans rien faire jusqu’à 50 ans ?… C’est ça ?… Si tu avais un minimum de fierté et de respect de toi-même…
- Mais non… C’est juste pour le moment que je suis là… En attendant…
- En attendant quoi ?… Qu’un prince charmant vienne t’enlever sur son cheval blanc pour t’offrir le gîte et le couvert ?… Arrête de rêver… Regarde la réalité en face… Et prends-toi en mains, nom d’un chien !… Prends-toi enfin en mains !…

Elle m’a secouée…
- Pauline !… Pauline !… Il est sept heures… J’y vais… Faut que j’y aille… Je ne rentrerai que ce soir… Je compte sur toi… Les journaux sont sur la petite table basse… Comme hier… Cette fois je compte sur toi… Que tu te montres enfin raisonnable… Hein ?!… Je peux ?…
- Oui...

Ses pas ont claqué sur le parquet… La porte d’entrée s’est refermée…
Cinq minutes… Juste cinq minutes dans la douce tiédeur du lit… Cinq minutes qui en ont été dix… Puis vingt… Puis trente… Avec un soupir je me suis traînée jusqu’à la fenêtre… Il neigeait… En plus !… Ca pouvait bien attendre demain… Ca attendrait demain… Elle le saurait pas de toute façon… Et je me suis rendormie…

- Ah, on peut te faire confiance !… On peut…
J’ai sauté du lit… Me suis précipitée sur mes vêtements… Habillée en toute hâte…
- J’y vais !… J’y vais !… C’est juste que j’ai somnolé un peu…
- Ben voyons !…
- Si, c’est vrai !…
- Tu n’en fais qu’à ta tête, hein !?… Dès qu’on a le dos tourné tu en profites… Tu sais ce que tu mériterais ?… Bien sûr que tu le sais… Hein que tu le sais ?… Qu’est-ce que tu mériterais ?…
Non… Doucement… De la tête… Non…
- S’il vous plaît… Non… Je peux pas le dire…
Elle m’a soulevé le menton… Du bout du doigt…
- Dis-le !…
- Une fessée…
- Plus fort…
- Une fessée…
- Une fessée, oui… Déculottée… C’est la seule solution avec toi… C’est la seule façon de te rendre enfin un tant soit peu raisonnable… Enfin adulte… Non… Tu crois pas ?…
- Si !…
- Eh bien alors tu sais ce qui te reste à faire… Allez !… Baisse-moi tout ça et va t’accouder à la fenêtre là-bas…

lundi 8 août 2011

Souvenirs d'avant ( 6 )

6-

Quelqu’un dans la nuit… Qui me touche l’épaule… Je me redresse… Une femme… Qui met un doigt sur ses lèvres… Qui humecte les miennes… Qui me fait boire… Qui me tend du pain…
- Qui es-tu ?…
- Ne demande rien, romain… Ne me pose pas de questions…
Elle pose brièvement ses lèvres sur les miennes et elle s’enfuit…

A ses pieds… Aux pieds de celle qui se dit ma maîtresse…
- Ce que les tiens ont fait à mon père, centurion… Ce qu’ils ont fait à mon grand père…
Ses yeux lancent des éclairs…
- Tu vas le payer, centurion… Au centuple…
Un signe… On me prosterne devant elle, face contre terre…
- Supplie-moi de t’épargner, centurion… Supplie-moi de te laisser la vie sauve… Que je puisse te refuser cette faveur…

Elle est revenue… Dans la nuit elle est revenue… Avec une corbeille de fruits qu’elle me tend… J’avance la main… Je la retire précipitamment…
- Que crains-tu ?… Tu n’as rien à craindre…
Je plonge mes yeux dans les siens et les deux mains dans la corbeille…

Elles sont une dizaine de servantes… Qui m’entourent… Qui chuchotent…
- La maîtresse te veut entièrement à son service, romain…
Elles pouffent…
- Tu sais ce que ça signifie ?…
- Mais non, il sait pas… Il peut pas savoir…
- On lui dit ?…
Elles rient… Se concertent à voix basse… Rient encore…
- Elle a décidé de faire de toi un eunuque…
Je me redresse… Veux fuir… Fuis… Jusqu’à la porte là-bas… Les deux gardes me repoussent sans ménagement…. Je roule à terre… Au milieu d’elles… Peine à me relever… Y renonce…
- Tu n’es pas le plus fort… Tu ne seras jamais plus le plus fort…
- Surtout après… Quand…
Une main sur moi… Une autre… Une troisième… Qui cherchent… Qui fouillent… Qui trouvent…
- Et dire que demain elles seront plus là…
- C’est bien un peu dommage quand même !…
- Oui, oh, il y en a d’autres…
- Pour toi c’est fini tout ça, romain…
- T’en as bien profité au moins ?…
- Il lui restera toujours le souvenir…
- On lui fait grimper ?… Une dernière fois ?…
- Moi !
- Non… Moi !…
- Et moi alors ?…
- Toutes les trois… Ensemble…
- Eh !… Mais c’est que…
D’en haut un ordre a claqué… Elles se sont aussitôt égaillées…

- Elle le fera ?…
Oui… D’un signe de tête… Oui… Et elle a encore posé ses lèvres sur les miennes…
- Tu veux fuir, romain ?…
- C’est possible ?…
- C’est risqué… Très… Mais si tu n’as pas peur…
- De quoi pourrais-je avoir peur maintenant ?…
- Alors viens !…
Et elle m’a pris par la main…

Un couloir… Un souterrain… Une porte… Dehors… Un cours d’eau… Qu’elle me fait longer… Une pente abrupte… On monte… On monte encore… On monte toujours… Le sommet…
- De l’autre côté, en bas, tu seras en sécurité…
Je l’attire contre moi… Picore ses cheveux de petits baisers… Elle ferme les yeux… Jette ses bras autour de mon cou…
On est couchés dans l’herbe… Elle halète… M’emprisonne dans ses jambes…
- Je suis à toi, romain… Je veux être à toi… Pour toujours…
Elle est à moi…
Elle hurle…
- Attention !… Non !… Non !…
Elle veut me repousser… Se relever…
Trop tard… Ils sont trois… Ils sont quatre… Qui nous transpercent de leurs lances…

jeudi 4 août 2011

Escobarines: Angèle ( 1 )


- Ah, oui… A propos…
A propos ?… A propos de quoi ?…
- A propos… j’ai rencontré quelqu’un…
Oui, ben ça, c’était pas vraiment un scoop… S’il croyait que je le voyais pas son petit manège depuis des semaines… A rentrer à des heures indues… Ou à pas rentrer du tout… A manger avec son portable sur la table… A se précipiter dès qu’il sonnait…

- Je t’emmène au restaurant…
Ah, tiens, il va neiger !…
- Faire la connaissance d’Angèle…
J’me disais aussi…
- Tâche de t’habiller décemment pour une fois…
Ah, parce que d’habitude…
- Je veux que ma fille lui fasse la meilleure impression…
Pourquoi ?… C’est Dieu le père cette bonne femme ?…
- Et tâche de faire bonne figure… De pas tirer une gueule de trois mètres de long…
- Comme si c’était dans mes habitudes…
- Oui, oh, alors ça !…

- Alors comme ça, c’est elle !…
Elle m’a dévisagée… Examinée, avec insistance, de la tête aux pieds…
- C’est Pauline, oui… Je t’ai assez parlé d’elle… Vous vous entendrez très bien toutes les deux, vous verrez…
Elle aussi, c’était elle… Celle que je faisais venir parfois en secret pour être sévère avec moi… Pour m’imposer sa volonté… C’était elle… Elle avait pris corps… Elle prenait corps, là, devant moi… A un point tel que c’en était hallucinant…
- Il y a pas de raison qu’on s’entende pas… Si elle y met du sien cette grande fille il y a pas de raison…
Elle m’a fixé droit dans les yeux… Je les ai baissés… J’ai rougi…
- Hein, Pauline ?… Il y a pas de raison…
- Oui…
Un tout petit oui… Un oui de vaincue…

J’ai rêvé d’elle… Dans l’embrasure de la porte de ma chambre… D’une taille gigantesque… Furieuse contre moi…
- Non, mais qu’est-ce que c’est que cette tenue ?… Tu n’as pas honte ?… Tu vas me faire le plaisir de retirer ça… Et tout de suite…
J’obéissais… Tête basse… Ma belle petite robe rouge…
- Qu’est-ce que c’est que ça ?…
Ca, c’était mon joli petit string à dentelles…
- Non, mais cette fois on aura tout vu… Tu enlèves aussi… Tu enlèves… Allez !… Qu’est-ce que j’ai dit ?…
J’enlevais… Je tentais de lui dissimuler ma nudité, mes deux mains ramenées en coquilles sur mon bas-ventre… Elle éclatait d’un énorme rire… Strident et offensant… D’un rire qui m’a réveillée en nage et en sursaut… J’ai mis un temps infini à me rendormir…

Sa voix… Leurs voix… Dans le séjour… Dans la cuisine… Dans le salon…
J’ai jeté autour de moi un regard désespéré… Tenté en toute hâte de débarrasser le lit… D’enfourner dans les tiroirs le linge jeté en vrac sur le bureau… Trop tard… Il a toqué… Ils sont entrés…
- Et là… c’est la chambre de Pauline…
Elle a hoché la tête, fait la moue…
- Qui est quand même en âge, à 23 ans, de ranger un peu, non ?…
Ils n’ont pas refermé la porte, se sont éloignés…
- Tu lui laisses tout passer à ta fille, hein ?…
- Non… Non… Pas du tout…
- Bien sûr que si !… Il est tant d’y mettre bon ordre… Dans son intérêt… Ca va changer… Fais-moi confiance que ça va changer… Quand je serai là ça va changer…

- Elle va venir s’installer ici ?…
- Peut-être, oui… Ca t’ennuie ?…
- Je sais pas… Dans un sens oui… Et dans un autre non…
- Pour toi ça va pas changer grand chose…
- Si !… Quand même… Plus rien pourra être comme avant… C’est obligé…
- Tu comptes quand même pas qu’à tout juste 50 ans je reste tout seul comme un vieux con…
- Bien sûr que non…
- Et puis tu vas bien finir par trouver du travail… Par aller vivre ta vie…
- Sûrement, oui… En tout cas j’espère… C’est quand qu’elle viendrait alors ?…
- Il y a rien de vraiment fixé… La semaine prochaine… La suivante au plus tard…

lundi 1 août 2011

Souvenirs d'avant ( 5 )

5-

Une armée… Déployée à perte de vue… Des milliers et des milliers de casques et de cuirasses étincelant sous le soleil… Une armée… Rangée en ordre de bataille… Invincible… L’ordre donné… Les trompettes éblouissantes… On avance… Vers l’ennemi… Vers la victoire…

On recule… Je hurle…
- Tenez bon !… Mais tenez bon !… Ceux qui reculent seront exécutés…
Ils reculent… Ils continuent à reculer… On recule… L’ennemi est partout… Devant… Derrière… Au-dessus… Un éclair… Un éblouissement… Je perds connaissance…

- Ca va, centurion ?…
Quelqu’un est en train de me donner à boire… Me force à boire…
- On est où ?…
On est prisonniers… Des milliers de prisonniers…
- Mais c’est pas possible !… Qu’est-ce qui s’est passé ?…
- Ne t’agite pas !… Reste calme…
Je pleure en silence…

- Toi !… Toi !… Toi !…
Ils choisissent…
- Toi !…
Moi… On m’entrave les pieds… On me lie les mains… On m’enchaîne… On nous emmène…

Des rues pleines de monde… De femmes et d’hommes qui nous insultent… Qui nous crachent dessus… Qui se moquent de nous… Qui se bousculent pour nous lancer, au passage, coups de pied et coups de poing…

Il est là… L’empereur… Valérien… Notre empereur… Dépouillé de tous les insignes du pouvoir… On amène le cheval de Sapor, le vainqueur… Un mot… Un ordre… Valérien s’incline, courbe le dos… La foule hurle…
- Plus bas, Romain !… Plus bas…
Plus bas… Encore plus bas… Et Sapor escalade notre empereur, s’en sert de marchepied pour enfourcher sa monture… La foule s’esclaffe, pousse des cris de joie… Je veux voler à son secours… Un fouet claque… Je tombe à genoux…

Sapor devant, caracolant… Et Valérien, notre empereur, derrière, juché sur un âne, les pieds traînant piteusement par terre… On l’abreuve d’injures… On lui couvre la tête d’épluchures… Quelqu’un pique les flancs de l’animal avec un aiguillon… Il se cabre… Il rue… Valérien roule à terre… Je détourne la tête… On me force à regarder…

Je suis nu… On est une soixantaine de prisonniers, nus, sur une estrade improvisée… Des hommes et des femmes circulent entre nous… Ils nous examinent… Font jouer nos muscles… Les tâtent… Vérifient l’état de nos dents…

Elle me fait longuement tournoyer sur moi-même… Accroupir… Relever… Tendre les bras… Lever haut une jambe… L’autre…
- Tu as l’air solide, centurion… Tu devrais faire un excellent esclave…
Je ne réponds pas… Je me mords les lèvres pour ne pas répondre…
- Tu l’as déjà été… Tu l’es… En tout romain un esclave sommeille…
Je serre les poings… Mes yeux lancent des éclairs… Elle me gifle… Elle rit…
- Je te briserai… Je te briserai, je le jure…
Un signe… On s’empare de moi… On m’emmène…

Dans la cour on m’entoure… Les esclaves… Les servantes…
- Il nous a bien amusés ton empereur, romain !…
On rit… Tout le monde rit…
- Toi aussi, un bel escabeau tu ferais…
On approuve bruyamment…
- Ou même un cheval…
- Une rosse plutôt !…
Encore un éclat de rire… Général…
On veut me faire mettre à quatre pattes… Je m’y refuse… On m’y contraint…
Un esclave m’enfourche…
- Allez, hue, cocotte, hue !…
Un autre me fouette à tour de bras…
- Plus vite !… Plus vite !…
Elle est là-haut, dissimulée derrière les colonnades… Elle regarde…