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Bonsoir, Mademoiselle Seignier…
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Bonsoir, Monsieur…
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Vous ne me reconnaissez pas ?
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Votre visage me dit bien quelque chose, mais…
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Nous avons pourtant passé de longues heures ensemble… De très très longues
heures…
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Je ne vois pas…
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Alors je vais vous rafraîchir la mémoire, Mademoiselle Seignier… Martin
Durtier… Ça ne vous dit rien ?
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Martin ! Mais si ! Bien sûr… Martin… Je me souviens… En CM² je t’ai
eu, hein, c’est ça ?
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C’est bien ça…
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Et ça remonte à… Hou la la…
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Comme vous dites… Hou la la…
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Tu étais un élève appliqué, travailleur et docile…
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Sans doute trop… Et vous, une institutrice particulièrement injuste…
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N’exagérons rien…
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Je n’exagère rien… Vous avez peut-être oublié… Pas moi… Le 14 Avril c’était… Ça
vous dit rien le 14 Avril ?
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À part celles de l’Histoire de France les dates, moi, tu sais…
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Le 14 Avril vous m’avez flanqué une fessée déculotté devant toute la classe… Me
dites pas que vous vous rappellez pas !
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Si… Oui… Peut-être…
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Vous vous rappelez forcément… Parce que vous n’en avez pas mis d’autre… À
personne cette année-là… Qu’à moi…
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Sans doute y avait-il une bonne raison à cela…
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Une bonne raison ?! Parlons-en, oui ! Parlons-en ! Vous aviez eu
la veille des mots avec mon père… À propos de je ne sais trop quel terrain que
vous convoitiez l’un et l’autre… Et vous vous êtes vengée sur moi…
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Tu te le seras imaginé…
–
Je ne me suis rien imaginé du tout… Vous avez inventé un prétexte… Un
soi-disant geste obscène que j’aurais fait, dans votre direction, derrière le dos
d’un camarade… Il n’y a jamais eu de geste obscène… Il n’y a jamais rien eu… Et
vous le savez très bien…
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C’est loin tout ça…
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Loin ? Pour vous peut-être… Mais pas pour moi… Je vis avec, moi… Tous les
jours… Le regard moqueur des filles, quand vous m’avez enfin laissé me relever,
je le vois encore… Il est là… Toujours aussi précis… Toujours aussi humiliant…
Il me fait toujours aussi mal… Leurs rires, après, sur mon passage, dans la
cour, dans la rue, je les entends toujours… C’est là… C’est toujours là… Pas un
jour ne se passe sans que ça me revienne tout ça… Vos mots… Votre regard… Vous
jubiliez, Mademoiselle Seignier… Vous vous efforciez de n’en rien laisser
paraître, mais intérieurement vous jubiliez… Vous jubiliez parce que c’est mon
père que vous punissiez à travers moi…
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Je suis désolée…
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Pas tant que moi…
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Si j’avais su…
–
Vous auriez fait exactement la même chose…
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Non… Je te jure que non… J’ai honte… Si tu savais comme j’ai honte du mal que
je t’ai fait… Et si je pouvais le réparer, ne fût-ce qu’en partie…
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Vous pouvez au moins reconnaître que je ne l’avais pas méritée cette fessée…
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Oh, ça, oui… Oui… Je le reconnais bien volontiers… J’avais eu des mots avec ton
père… Qui avait fini par me traiter de tous les noms…
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Je n’y étais pour rien…
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Je sais, oui… Pardonne-moi !
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C’est tout sauf facile…
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Ça ne va pas être facile pour moi non plus maintenant de vivre en sachant quel
mal je t’ai fait…
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Vous ne voudriez tout de même pas que je vous plaigne ?
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Non, bien sûr que non, mais…
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Vous savez ce qui m’a aidé à supporter le souvenir de cette fessée ? À ne
pas me laisser détruire par lui ?
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Non… Dis…
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C’est que j’imaginais qu’à mon tour je vous en mettais une de fessée… Déculottée…
Magistrale… Vous tempêtiez… Vous gigotiez… Vous me suppliiez d’arrêter… J’étais
sans pitié… Des dizaines… Des centaines de fois je me la suis repassée cette
scène… Elle m’apaisait…
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Si ça a pu te faire du bien…
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Ça m’en a fait… Mais ça ne m’a jamais complètement libéré… La seule chose qui
le pourrait – définitivement… totalement – c’est que je vous en donne vraiment
une… La fessée que vous avez méritée… Que vous méritez depuis tant d’années…
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Si tu en certain… Si tu crois vraiment que ça peut te libérer, une bonne fois
pour toutes, pour toujours, de tout ça alors vas-y ! Fais-le !
Donne-la moi ! Quoi qu’il doive m’en coûter…
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Penchez-vous, Mademoiselle Seignier… Mieux que ça… Là… On la laisse relevée
bien haut cette petite robe… Et maintenant déculottez-vous ! Comme vous m’avez
obligé à le faire moi-même, devant toute la classe, il y a vingt-cinq ans…