jeudi 20 février 2020

Agathe et la fessée (6)


Quand je suis rentré, ils étaient installés au salon avec Agathe. Tous les deux.
‒ Je te présente Emma. Et puis Jeremy.
Que j’avais déjà eu le plaisir de croiser, oui.
Et qui étaient ravis d’être tombés sur des voisins à l’esprit aussi ouvert que nous.
‒ Parce que c’est pas tout le monde, vous savez ! Les gens ont tout un tas de préjugés là-dessus. Ils s’imaginent on sait pas trop quoi. Alors qu’en fait, c’est très simple. Emma a un objectif en vue. Qu’elle tient énormément à atteindre. Elle sait qu’elle n’y parviendra pas sans mon aide. Que seule la crainte d’une fessée, vigoureusement administrée le cas échéant, peut lui permettre d’approcher.
Agathe savait, oui. Emma lui avait dit pour le livre.
‒ Le livre ? Quel livre ?
‒ Ben, celui qu’elle écrit.
‒ Ah, parce qu’elle écrit un livre ?
Il y a eu un moment de flottement.
‒ Première nouvelle.
Agathe a essayé de se rattraper comme elle a pu.
‒ J’ai peut-être mal compris. Sûrement, même.
‒ Non, vous n’avez pas mal compris. Non. Emma est une menteuse. Qui serait bien incapable d’écrire quelque livre que ce soit. Qui veut toujours rectifier la réalité à son avantage. Qui s’invente des cursus universitaires flamboyants. Qui fait de son mari le patron de l’entreprise dont il est un simple employé. Qui prétend avec conviction avoir eu une liaison, quand elle était jeune, avec telle ou telle vedette de la chanson alors qu’elle n’en a jamais soutiré rien d’autre qu’un autographe. J’en passe. Et des meilleures. Emma ment. En permanence. À propos de tout et de n’importe quoi. C’est devenu une habitude. Un réflexe. Elle en est malheureuse. Très. Parce que, forcément, ça lui retombe de temps à autre, d’une façon ou d’une autre, sur le coin de la figure. Et c’est de ce gros défaut-là qu’on a décidé tous les deux, d’un commun accord, de la débarrasser. Dans son intérêt. Chaque fois que je la surprends en flagrant délit de mensonge, elle a droit à une retentissante fessée. Il y a eu des progrès. Mais on est encore loin du compte. La preuve !
Emma a levé sur Agathe un regard contrit.
‒ Je suis désolée.
Jeremy a haussé les épaules.
‒ Ce qui lui fait une belle jambe. Bon, mais tu sais ce qui t’attend.
‒ Ici ? Maintenant ?
Les yeux d’Agathe se sont mis à briller.
‒ Ben oui, ici. Et maintenant. Je ne crois pas que nos hôtes verront quelque inconvénient à ce que cela ait lieu devant eux. Puisque c’est à eux que tu as menti.
Agathe a esquissé un bref signe de dénégation, presque involontaire. Elle n’y voyait pas d’inconvénient, non. Aucun. Moi non plus.
Emma a voulu objecter quelque chose.
‒ Mais…
‒ Mais quoi ?
‒ Non, rien.
‒ Tu vas avoir honte ? Ça va te vexer ? Eh bien, raison de plus. Ça n’en sera que plus efficace.
‒ C’est pas ça.
‒ C’est quoi alors ?
‒ C’est qu’hier soir…
‒ Tu t’en es déjà pris une. Carabinée. Et qu’une deuxième par-dessus… Oui. Il ne s’agit pas de te détériorer non plus. Alors on va surseoir. Jusqu’à jeudi soir. Si nos voisins sont libres…
On n’avait rien de prévu, non.
‒ Parfait. Jeudi soir alors. Ça te donnera le temps de méditer. Et d’appréhender.

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