lundi 10 juin 2019

Après-midi d'été (2)

Edmund Tarbell. Rêverie (1913)

Merci, ma Violaine. Merci, merci et encore merci. Ce portrait de toi que tu m’as fait apporter est absolument magnifique. Je ne me lasse pas de le contempler. Je reste plantée des heures durant devant. Le peintre a parfaitement su restituer l’une des expressions de toi que je préfère. Quand tu te perds dans tes pensées. Qu’elles t’emmènent je ne sais où. À moins que je ne sache trop bien où au contraire. Et c’est un peu comme si tu étais là, en permanence, à mes côtés. Si seulement c’était vrai !

En ce qui concerne ma lettre de la semaine dernière, je suis sûre que tu brûles de savoir si Marthe l’a lue. Ça ne fait pas, pour moi, l’ombre d’un doute. Pourquoi ? Écoute ! Après l’avoir cachetée et confiée à Célestin, j’ai voulu rester encore un peu avec toi. Je suis donc descendue jusqu’à l’orangerie où nous avons, cet été, fait tant de folies toutes les deux. J’y étais presque parvenue quand il m’a semblé entendre des gémissements. Je me suis arrêtée. J’ai dressé l’oreille. Non, je n’avais pas rêvé. Quelqu’un gémissait. Une femme. Une femme qu’on frappait, à intervalles réguliers, à grands coups de lanière. Avec une ceinture. Ou un martinet. Je me suis discrètement approchée. C’était Marthe. Elle s’était dénudé le dos et les fesses et se fouettait à tout va. Je suis restée là à la regarder faire, fascinée jusqu’à ce que, dans un dernier cri, elle s’affaisse au sol et y reste longuement prostrée. J’ai fini par m’éclipser. Tu imagines dans quel état d’esprit. Marthe ! Marthe ! Si je m’étais attendue…
Elle a fait sa réapparition, au petit salon, une bonne demi-heure plus tard. Tranquille. Sereine. Exactement comme si de rien n’était.

Tu vois bien qu’il est plus que probable qu’elle ait lu ma lettre. Une lettre qui a suscité en elle des désirs qu’il lui a fallu aller assouvir sur-le-champ. Mais pourquoi à l’orangerie ? Je l’évoque certes dans ma missive. Ce qui a pu lui en donner l’idée. Mais il y a peut-être une autre explication. Et si, cet été, elle nous avait espionnées ? Sans que, n’étant occupées que de nous-mêmes, nous nous en soyons aperçues ? C’est plausible après tout. Si elle allait désormais régulièrement nous retrouver là-bas ? Nourrir les coups qu’elle s’octroie généreusement de ceux dont elle t’a vue presque quotidiennement me gratifier ?

Je t’imagine, là, en ce moment, en train de me lire. Tu as dans les yeux cette petite lueur sombre si caractéristique des moments où tu te fais rapace. Tu salives. Les pointes de tes seins se dressent. Tu as des fourmillements dans les mains. Tu nous vois, Marthe et moi, agenouillées côte à côte à tes pieds, le derrière pointant en l’air, prêtes à recevoir de concert la correction que tu as décidé de nous infliger. Et tu nous claques. Tu nous fouettes. Avec ferveur. Avec jubilation. Nos cris t’excitent. Nos plaintes t’enflamment. Tu nous veux. Toutes les deux. Tu veux notre plaisir. Tu veux le tien. Tu nous abreuves de tes caresses. L’une comme l’autre. Autant l’une que l’autre. Tu me jettes, de temps à autre, un regard de côté. Non, Violaine, non, ma chérie, je ne suis pas jalouse. Je suis heureuse de ton bonheur. Quel qu’il soit. D’où qu’il vienne.

Marthe vient d’arriver derrière moi. À pas de loup. De se pencher par-dessus mon épaule. D’y poser une main. Elle lit ce que je t’ai écrit. Je ne l’en empêche pas. Ses cheveux me chatouillent la joue. Elle se penche à mon oreille.
– On va là-bas ?
Tant de supplication dans sa voix.
On va y emporter ton portrait.


(à suivre)

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