Edmund Tarbell.
Rêverie (1913)
Merci,
ma Violaine. Merci, merci et encore merci. Ce portrait de toi que tu
m’as fait apporter est absolument magnifique. Je ne me lasse pas de
le contempler. Je reste plantée des heures durant devant. Le peintre
a parfaitement su restituer l’une des expressions de toi que je
préfère. Quand tu te perds dans tes pensées. Qu’elles t’emmènent
je ne sais où. À moins que je ne sache trop bien où au contraire.
Et c’est un peu comme si tu étais là, en permanence, à mes
côtés. Si seulement c’était vrai !
En
ce qui concerne ma lettre de la semaine dernière, je suis sûre que
tu brûles de savoir si Marthe l’a lue. Ça ne fait pas, pour moi,
l’ombre d’un doute. Pourquoi ? Écoute ! Après l’avoir
cachetée et confiée à Célestin, j’ai voulu rester encore un peu
avec toi. Je suis donc descendue jusqu’à l’orangerie où nous
avons, cet été, fait tant de folies toutes les deux. J’y étais
presque parvenue quand il m’a semblé entendre des gémissements.
Je me suis arrêtée. J’ai dressé l’oreille. Non, je n’avais
pas rêvé. Quelqu’un gémissait. Une femme. Une femme qu’on
frappait, à intervalles réguliers, à grands coups de lanière.
Avec une ceinture. Ou un martinet. Je me suis discrètement
approchée. C’était Marthe. Elle s’était dénudé le dos et les
fesses et se fouettait à tout va. Je suis restée là à la regarder
faire, fascinée jusqu’à ce que, dans un dernier cri, elle
s’affaisse au sol et y reste longuement prostrée. J’ai fini par
m’éclipser. Tu imagines dans quel état d’esprit. Marthe !
Marthe ! Si je m’étais attendue…
Elle
a fait sa réapparition, au petit salon, une bonne demi-heure plus
tard. Tranquille. Sereine. Exactement comme si de rien n’était.
Tu
vois bien qu’il est plus que probable qu’elle ait lu ma lettre.
Une lettre qui a suscité en elle des désirs qu’il lui a fallu
aller assouvir sur-le-champ. Mais pourquoi à l’orangerie ? Je
l’évoque certes dans ma missive. Ce qui a pu lui en donner l’idée.
Mais il y a peut-être une autre explication. Et si, cet été, elle
nous avait espionnées ? Sans que, n’étant occupées que de
nous-mêmes, nous nous en soyons aperçues ? C’est plausible
après tout. Si elle allait désormais régulièrement nous retrouver
là-bas ? Nourrir les coups qu’elle s’octroie généreusement
de ceux dont elle t’a vue presque quotidiennement me gratifier ?
Je
t’imagine, là, en ce moment, en train de me lire. Tu as dans les
yeux cette petite lueur sombre si caractéristique des moments où tu
te fais rapace. Tu salives. Les pointes de tes seins se dressent. Tu
as des fourmillements dans les mains. Tu nous vois, Marthe et moi,
agenouillées côte à côte à tes pieds, le derrière pointant en
l’air, prêtes à recevoir de concert la correction que tu as
décidé de nous infliger. Et tu nous claques. Tu nous fouettes. Avec
ferveur. Avec jubilation. Nos cris t’excitent. Nos plaintes
t’enflamment. Tu nous veux. Toutes les deux. Tu veux notre plaisir.
Tu veux le tien. Tu nous abreuves de tes caresses. L’une comme
l’autre. Autant l’une que l’autre. Tu me jettes, de temps à
autre, un regard de côté. Non, Violaine, non, ma chérie, je ne
suis pas jalouse. Je suis heureuse de ton bonheur. Quel qu’il soit.
D’où qu’il vienne.
Marthe
vient d’arriver derrière moi. À pas de loup. De se pencher
par-dessus mon épaule. D’y poser une main. Elle lit ce que je t’ai
écrit. Je ne l’en empêche pas. Ses cheveux me chatouillent la
joue. Elle se penche à mon oreille.
– On
va là-bas ?
Tant
de supplication dans sa voix.
On
va y emporter ton portrait.
(à
suivre)
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