lundi 3 juin 2019

Après-midi d'été.

Edmund Tarbell, 1908, Joséphine and Mercie

Ma Violaine, ma petite Violaine chérie,

Tu me manques. Si tu savais ! Pas une heure de la journée où je ne pense à toi. Pas une heure de la journée que je ne passe avec toi. Nous nous promenons ensemble sous les frondaisons. Nous nous donnons le bras. Ou la main. Nous nous murmurons, complices, nos secrets à l’oreille. Nous sommes pris d’interminables fous rires.

Pas une heure de la nuit non plus. Malgré la présence de Charles à mes côtés. Tu me rejoins silencieusement. Nous échangeons des baisers. Nous nous couvrons de caresses. Nos lèvres se cherchent. Les pointes de mes seins se dressent contre les tiennes. Mes fesses sont toutes chaudes encore, et toutes endolories, de la fessée que tu m’as donnée dans la matinée. Nous haletons. Nous nous fouillons d’une langue impatiente. Nous sommes l’une à l’autre. Nous nous épuisons de plaisir. Au risque qu’il se réveille et qu’il nous surprenne. Mais non. Non. Il ne se rend compte de rien. Il ne se doute de rien. Il dort. Je suis toutefois constamment sous la menace. Avec toi. Pour toi. Et ça me rend profondément heureuse.

C’est toi qui m’a appris à jouer avec le feu, ici, dans le parc, cet été. À mourir de la peur d’être découverte et, en même temps, à m’enivrer de cette peur. À éprouver, à la ressentir, un plaisir insensé. Incomparable. Quels risques inconsidérés nous avons pris toutes les deux ! Rappelle-toi nos après-midis près de la volière. Mes cris quand les claques dont tu me martelais le derrière me rendaient toute pantelante de désir. N’importe qui aurait pu surgir à n’importe quel moment. Charles. Ou sa sœur. Voire même un domestique. Cela ne nous dissuadait en rien. Bien au contraire. Notre plaisir n’en était que plus intense encore. Et l’orangerie ! Quelles folies nous y avons faites ! Quels bonheurs nous y avons éprouvés. Quels délices tu m’y as fait découvrir !

Jouer avec le feu. Je continue. On continue. Installée à mon secrétaire, je t’écris. De temps à autre, je contemple discrètement ton portrait. Ou bien je serre contre mon cœur la mèche de cheveux que tu m’as laissée te dérober. Marthe, la sœur de Charles est là, tout près, absorbée dans sa lecture. Tout-à-l’heure, elle s’est inopinément levée. Elle est passée derrière moi. Dans un sens, puis dans l’autre. J’ai paré, avec succès, au plus pressé. Mais, à tout moment, il peut lui prendre la fantaisie de recommencer sans que j’aie, cette fois, le temps de réagir. Et sans, surtout, que je le puisse : ce serait admettre que j’ai quelque chose à dissimuler. Qu’elle jette alors, au passage, un coup d’œil par-dessus mon épaule, qu’elle saisisse un mot, une bribe de phrase et elle risquerait d’éventer notre secret. C’est une perspective qui m’effraie, mais qui m’excite aussi terriblement. Comme avant. Comme cet été. À tel point que je suis maintenant tout inondée des liqueurs de Vénus. Quelle vilaine femme je fais, n’est-ce pas ? Tu serais là, tu me punirais. Je te vois. Je t’imagine. Tu prendrais cet air sévère que j’aime tant. Tu m’ordonnerais de me déshabiller et je t’obéirais. Sans la moindre hésitation. Je serais nue pour toi. Je m’abandonnerais à tes mains qui m’offriraient ces si délicieuses souffrances. Qui me rendraient heureuse.
Marthe vient de se lever. Elle s’est dirigée vers moi avant de se raviser et d’aller se pencher à la fenêtre. De revenir s’asseoir. « Quelle belle journée ! On a tort de rester enfermées. » Comment réagirait-elle si elle surprenait notre secret ? Je n’en ai pas la moindre idée. Elle est si secrète, Marthe. Et si imprévisible. Est-ce qu’elle irait-elle tout révéler à Charles ? Est-ce qu’elle feindrait de ne s’être aperçue de rien ? Est-ce qu’elle viendrait m’en parler ? Oh, mais on va savoir. Parce que tu sais ce que je vais faire ? Je vais disparaître quelques instants en laissant ma lettre bien en vue sur mon secrétaire. Lira ? Lira pas ? Je suis folle, hein ? À cause de toi. Grâce à toi.


(à suivre)

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