Edmund
Tarbell, 1908, Joséphine and Mercie
Ma
Violaine, ma petite Violaine chérie,
Tu
me manques. Si tu savais ! Pas une heure de la journée où je
ne pense à toi. Pas une heure de la journée que je ne passe avec
toi. Nous nous promenons ensemble sous les frondaisons. Nous nous
donnons le bras. Ou la main. Nous nous murmurons, complices, nos
secrets à l’oreille. Nous sommes pris d’interminables fous
rires.
Pas
une heure de la nuit non plus. Malgré la présence de Charles à mes
côtés. Tu me rejoins silencieusement. Nous échangeons des baisers.
Nous nous couvrons de caresses. Nos lèvres se cherchent. Les pointes
de mes seins se dressent contre les tiennes. Mes fesses sont toutes
chaudes encore, et toutes endolories, de la fessée que tu m’as
donnée dans la matinée. Nous haletons. Nous nous fouillons d’une
langue impatiente. Nous sommes l’une à l’autre. Nous nous
épuisons de plaisir. Au risque qu’il se réveille et qu’il nous
surprenne. Mais non. Non. Il ne se rend compte de rien. Il ne se
doute de rien. Il dort. Je suis toutefois constamment sous la menace.
Avec toi. Pour toi. Et ça me rend profondément heureuse.
C’est
toi qui m’a appris à jouer avec le feu, ici, dans le parc, cet
été. À mourir de la peur d’être découverte et, en même temps,
à m’enivrer de cette peur. À éprouver, à la ressentir, un
plaisir insensé. Incomparable. Quels risques inconsidérés nous
avons pris toutes les deux ! Rappelle-toi nos après-midis près
de la volière. Mes cris quand les claques dont tu me martelais le
derrière me rendaient toute pantelante de désir. N’importe qui
aurait pu surgir à n’importe quel moment. Charles. Ou sa sœur.
Voire même un domestique. Cela ne nous dissuadait en rien. Bien au
contraire. Notre plaisir n’en était que plus intense encore. Et
l’orangerie ! Quelles folies nous y avons faites ! Quels
bonheurs nous y avons éprouvés. Quels délices tu m’y as fait
découvrir !
Jouer
avec le feu. Je continue. On continue. Installée à mon secrétaire,
je t’écris. De temps à autre, je contemple discrètement ton
portrait. Ou bien je serre contre mon cœur la mèche de cheveux que
tu m’as laissée te dérober. Marthe, la sœur de Charles est là,
tout près, absorbée dans sa lecture. Tout-à-l’heure, elle s’est
inopinément levée. Elle est passée derrière moi. Dans un sens,
puis dans l’autre. J’ai paré, avec succès, au plus pressé.
Mais, à tout moment, il peut lui prendre la fantaisie de recommencer
sans que j’aie, cette fois, le temps de réagir. Et sans, surtout,
que je le puisse : ce serait admettre que j’ai quelque chose à
dissimuler. Qu’elle jette alors, au passage, un coup d’œil
par-dessus mon épaule, qu’elle saisisse un mot, une bribe de
phrase et elle risquerait d’éventer notre secret. C’est une
perspective qui m’effraie, mais qui m’excite aussi terriblement.
Comme avant. Comme cet été. À tel point que je suis maintenant
tout inondée des liqueurs de Vénus. Quelle vilaine femme je fais,
n’est-ce pas ? Tu serais là, tu me punirais. Je te vois. Je
t’imagine. Tu prendrais cet air sévère que j’aime tant. Tu
m’ordonnerais de me déshabiller et je t’obéirais. Sans la
moindre hésitation. Je serais nue pour toi. Je m’abandonnerais à
tes mains qui m’offriraient ces si délicieuses souffrances. Qui me
rendraient heureuse.
Marthe
vient de se lever. Elle s’est dirigée vers moi avant de se raviser
et d’aller se pencher à la fenêtre. De revenir s’asseoir.
« Quelle belle journée ! On a tort de
rester enfermées. » Comment
réagirait-elle si elle surprenait notre secret ? Je
n’en ai pas la moindre idée. Elle
est si secrète, Marthe. Et
si imprévisible. Est-ce
qu’elle irait-elle tout
révéler à Charles ? Est-ce
qu’elle feindrait de ne s’être aperçue de rien ? Est-ce
qu’elle viendrait m’en parler ? Oh, mais on va savoir. Parce
que tu sais ce que je vais faire ? Je vais disparaître quelques
instants en laissant ma lettre bien en vue sur mon secrétaire.
Lira ? Lira pas ? Je suis folle, hein ? À cause de
toi. Grâce à toi.
(à
suivre)
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