samedi 15 juin 2019

Les fantasmes de Lucie (56)




Tableau d’Anders Zorn

Je n’arrivais pas à me décider à me mettre en route. Parce que, d’un côté, il avait sans doute raison : il était peu probable que je croise quelqu’un, là, au milieu des bois et j’en serais très vraisemblablement quitte pour parcourir les deux ou trois cents mètres qui me séparaient de la voiture dans un état d’appréhension finalement très excitant. Mais, d’un autre côté, ça ne pouvait pas être totalement exclu non plus. Avec la chance que j’avais… Et mon imagination s’emballait. J’allais croiser un groupe de jeunes en VTT. Ou bien encore tout un escadron de militaires en exercice. Et… Et quoi ? Ben, ce serait peut-être pas si désagréable que ça finalement. Non, mais et puis quoi encore ? J’avais pas d’autres idioties à me dire ?

Et si je restais là, sans bouger, à l’attendre ? Il serait bien obligé de finir par venir me chercher. Oui. Et tu passeras pour une belle dégonflée. Tu le décevras. Il prendra ses distances. Et tu pourras dire au revoir aux moments fabuleux que vous passez ensemble. Et au merveilleux avenir dont tu t’es mise à rêver secrètement avec lui.
C’est ce qui m’a déterminée. J’ai attaqué le sentier, le cœur battant. Rien. Personne. Juste le chant des oiseaux. Et, parfois, un frémissement dans les feuilles mortes. La vie de la forêt. Rien d’autre. J’avais déjà parcouru une bonne cinquantaine de mètres quand… un embranchement. Auquel, à l’aller, je n’avais pas prêté la moindre attention. Par où on était descendus ? Celui de droite ? Celui de gauche ? Je n’en avais pas la moindre idée. Plutôt à droite. Sans certitude. Sans véritable conviction. Quelques mètres. Il m’a semblé entendre des voix. Je me suis arrêtée. J’ai tendu l’oreille. Non. Rien. J’avais sûrement rêvé. J’ai poursuivi ma route, vaguement inquiète : je ne reconnaissais rien. Il allait falloir que je fasse demi-tour. Oui, il allait falloir, mais j’ai malgré tout continué. Encore un peu. Et j’ai brusquement débouché sur une clairière. Et sur un couple allongé sur des plaids devant une tente. La quarantaine. Entièrement nus, eux aussi. On s’est regardés, interloqués. C’est la femme qui a rompu le silence.
– Alors ? En promenade ?
Et on a été pris d’un immense fou rire tous les trois.
Non, j’étais pas en promenade, non. Et je leur expliqué. Par bribes. Le challenge. Le défi. La fausse route empruntée.
Ce qui les a beaucoup amusés.
Ils ont commenté. Voulu des précisions. Des détails. De plus en plus de détails.
Je me sentais en confiance avec eux. Alors j’ai fini par le leur dire. Ils auraient bien fini, de toute façon, par s’en apercevoir.
– Non, et puis, pour rajouter un peu de piment à la situation…
Et je me suis retournée.
Ça n’a été qu’un cri.
– Wouah ! Cette fessée ! Comment vous avez dû la sentir passer, celle-là !
– Oh, pour ça, oui, mais bon !
Je leur ai à nouveau fait face.
Il bandait le type. Tout ce qu’il savait. Mais alors là, la méga érection.
Elle lui a envoyé une petite pichenette dessus.
– Ah, ben ça, Luc, c’est son truc, la fessée. Ça le met dans tous ses états.

Bon, mais c’était pas tout ça, fallait que j’y aille. Fallait vraiment que j’y aille. Parce qu’il devait être mort d’inquiétude.
Le visage de la femme s’est illuminé d’un coup.
– Oh, vous savez pas ? J’ai une idée. Et si vous y reveniez tout habillée à la voiture ? Il vous largue à poil et… Cette tête qu’il ferait !
– Ah, ça, pour sûr !
Aussitôt dit, aussitôt fait.
– On est de la même taille en plus.
Et elle est allée me chercher des vêtements que j’ai pris tout mon temps pour enfiler devant la tente. Histoire que Luc puisse se régaler tout son saoul du spectacle de mes fesses cramoisies.
– Je vous les ramènerai.
– Oui, oh, il y a pas le feu. On est encore là pour une bonne semaine. Et venez avec lui. Qu’on fasse sa connaissance.

(à suivre)

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