Dessin
de Léon Roze
On
n’a pas pu y échapper. Une réunion avec tous les dirigeants des
succursales du groupe. Il y avait de tout. Des Estoniens. Des
Finlandais. Des Russes. Des Espagnols. Des Allemands. Des Japonais.
Vraiment de tout. Et on s’est tapé des heures et des heures de
discours insipides sans le moindre intérêt. Après quoi repas
interminable et bal. On a bien essayé de se défiler, Cordelia et
moi, mais il n’y a pas eu moyen. Et j’en ai été quitte pour
danser, de longs quarts d’heure durant, avec un Allemand d’une
soixantaine d’années qui avait jeté son dévolu sur moi. Beaucoup
plus pour parler d’ailleurs que pour quoi que ce soit d’autre. Et
pour parler… de son arrière grand-père. Qui était cuirassier
dans l’armée prussienne. J’ai donc eu droit à dix mille récits
de batailles, de charges de cavalerie, de glorieux exploits dont il
se vantait comme s’il s’était agi des siens. Je l’écoutais
d’une oreille, je le gratifiais, de temps à autre, d’un oui de
politesse quand j’ai brusquement réalisé qu’il était question
de cravache s’abattant sur un postérieur contraint d’en subir
docilement la morsure.
Eh,
mais c’est que ça devenait intéressant !
– C’était
une punition courante, dans l’armée prussienne, à l’époque. Et
je peux vous dire qu’elle s’avérait efficace. Elle était si
sévèrement appliquée qu’on marchait droit pour ne pas s’y
trouver exposé. Mon aïeul a eu, lui aussi, à subir les cinglées
de la cravache. Une fois. Une seule fois. Il n’a jamais voulu dire
pourquoi. Ce qu’il admettait, par contre, c’est que c’était
amplement mérité.
Ce
que racontait également son aïeul, c’est qu’une espionne, prise
sur le fait, avait, elle aussi, été fouettée devant tout le
régiment. Je me suis efforcée, sans trop insister, d’obtenir des
détails qu’il ne m’a malheureusement pas fournis. Soit qu’il
n’en ait pas eu connaissance ou soit, plus vraisemblablement, qu’il
ait estimé qu’il n’était pas convenable de les évoquer devant
une « dame ».
Mais
moi, une fois rentrée, une fois couchée, je ne me fais pas faute de
les évoquer ces détails. Ah, non, alors !
C’est
moi l’espionne. Et c’est au secrétariat du régiment que je
travaille. Je reçois de nombreuses dépêches de « là-haut ».
À moi de juger de leur importance. Et d’en réaliser, le cas
échéant, une copie aussi rapide et discrète que possible. Que je
vais dissimuler, dans une cache secrète, à l’orée de la forêt,
où d’autres agents viennent la récupérer.
Ça
a lieu un soir, pendant le bal que donne le commandant dans la grande
salle des fêtes.
Un
officier s’approche de moi, s’incline. Persuadée qu’il vient
m’inviter à danser, je me lève, tout sourire.
– Veuillez
me suivre. Sans faire d’histoires.
– Mais
qu’est-ce que… ?
Il
ne répond pas.
Au-dehors
quatre soldats s’emparent de moi sans ménagement. Me lient les
poignets.
– Mais
enfin qu’est-ce qu’on me veut ? Qu’est-ce qu’on me
reproche ?
Le
gradé consent enfin à m’adresser la parole.
– Haute
trahison. Ton compte est bon, ma petite.
On
me ramène à la caserne manu militari. On me jette au fin fond d’une
cellule sombre et humide.
Avec
une gamelle d’eau et un quignon de pain.
Le
lendemain, dès le lever du jour, on vient m’y quérir. J’ai
toujours ma robe de bal. On me mène aux écuries. Les huées d’une
cinquantaine de cuirassiers m’y accueillent.
– Traîtresse !
– Vendue !
– Conseil
de guerre ! Conseil de guerre !
Le
commandant les fait taire.
– Cela
viendra, mais en attendant, une bonne fouettée s’impose.
On
approuve bruyamment.
– Oui !
Oui ! Et qu’on ne la ménage pas !
Je
ne cherche pas à fuir. Je ne proteste pas. Je sais que c’est
parfaitement inutile.
On
me lie les poignets à un poteau. On relève ma robe. Ma culotte me
tombe sur les chevilles. Mon jupon reste le dernier rempart à ma
pudeur. Je supplie qu’on me le laisse. Mais non. Non. On le relève
aussi. J’ai les fesses nues. Exposées à la vue de tous.
On
rit.
Quelques-uns
applaudissent.
J’ai
honte. J’ai tellement honte.
Et
c’est alors que mon plaisir surgit. Une première fois.
Le
commandant hurle.
– Trente
coups !
On
n’ira pas jusqu’au bout.
Une
vague de jouissance me submerge bien avant et m’abandonne, épuisée,
au creux de mes draps trempés.
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