lundi 25 mars 2019

Amélie


Carl Larrson, 1906. Model writing postcards.

Je sais, ma cousine, je sais. On s’était juré, au sortir du couvent, de s’écrire toutes les semaines. Sans faute. Et voilà près de deux mois que je manque honteusement à ma parole. À ma décharge, il faut dire que je suis emportée, ces derniers temps, dans un véritable tourbillon. Je t’explique… J’ai fait la connaissance d’un peintre. À une exposition. Il a littéralement fondu sur moi. J’étais le modèle de ses rêves. Il voulait faire mon portrait. Il y tenait absolument.

Je ne suis quand même pas née de la dernière pluie. Donc, j’ai commencé par me renseigner. Il était vraiment peintre. Et peintre d’un certain renom. Mais peintre de nu. Ah ! J’ai poussé plus avant mes investigations. Toutes celles qui avaient posé pour lui – toutes celles, en tout cas, que j’ai pu contacter – étaient unanimes : il était extrêmement correct, très professionnel. Aucune n’avait jamais eu quelque geste ou propos déplacé que ce soit à lui reprocher. Du coup, tu penses bien que j’ai fini par me laisser tenter. Qui ne l’aurait été à ma place ? Un artiste de talent me trouvait belle. Il souhaitait m’immortaliser, dans toute ma splendeur, à un âge où je rayonne de tous mes feux. J’aurais été complètement stupide de faire la fine bouche, non ?

Et donc, un beau matin, je me suis retrouvée chez lui dans le plus simple appareil. Tu te doutes que devoir me déshabiller d’emblée, intégralement, devant un parfait inconnu, n’a pas été pour moi chose facile. L’éducation que nous avons reçue au couvent, toi et moi, ne me prédisposait pas vraiment à me sentir à l’aise dans ce genre de situation. Je ne suis pas un modèle professionnel, moi !
Mais il considère tout cela avec un tel naturel que, très vite, je n’ai plus éprouvé la moindre gêne. On a enchaîné journée de travail sur journée de travail et, un mois plus tard, j’ai enfin été autorisée à contempler son œuvre. « Notre » œuvre, dans un sens. Une pure merveille, ce premier tableau ! Premier ? Oui, parce qu’il en est si satisfait qu’il a voulu aussitôt en entreprendre un second. Et c’est ainsi que, tandis que je t’écris, nue, à la petite table devant la fenêtre, il s’active à ses pinceaux. Et voilà la lettre que je suis en train de t’écrire fixée pour l’immortalité. Il n’a d’ailleurs pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. C’est dans toutes sortes d’occupations de la vie quotidienne, à ce qu’il dit, qu’il veut me « saisir ».

Il a même un autre projet me concernant dont il s’est ouvert un soir qu’il était particulièrement en verve. Tu sais ce qu’il envisage ? Je te le donne en mille. De me peindre le derrière tout rouge. Parfaitement, oui. Tu as bien lu. Cramoisi d’une bonne fessée. Sur le coup, je n’ai rien répondu. J’étais trop estomaqué. Et il n’a pas insisté. Mais tu imagines dans quel état d’esprit je pouvais être… C’était tout un tumulte à l’intérieur. Une fessée ! Tu sais ce que j’en pense ! On en a suffisamment parlé, toutes les deux, quand on ne dormait pas, là-bas, au couvent. Tu sais comment j’aspire, de toutes mes forces, à en recevoir une… Alors, c’est quand il veut. Tant qu’il veut.

Seulement, il n’en souffle plus mot, hélas ! Est-ce qu’il a mal interprété mon silence ? Est-ce qu’il l’a pris pour un refus ? Est-ce qu’il redoute de m’avoir scandalisée ? Ou bien est-ce, tout simplement, que c’est une idée qu’il a jetée en l’air, comme ça, sans avoir vraiment l’intention de lui donner suite ? Je ne peux tout de même pas lui poser la question. Je n’ai pas d’autre solution que d’attendre et de saisir la balle au bond s’il vient à en reparler. Ce que j’espère de tout mon cœur.

Voilà. Je te tiens au courant dès qu’il y a du nouveau. S’il y en a.
En attendant, parle-moi de toi, de ce que tu fais, de la vie à Beaubreuil. J’adore te lire.
Et… Ah, oui, j’allais oublier ! Pas un mot de tout cela ni à tes parents ni aux miens. J’ai une absolue confiance en toi.

Je t’embrasse.
AMÉLIE

(à suivre)

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