samedi 9 mars 2019

Les fantasmes de Lucie (42)


Dessin de Georges Topfer.

Quand elle faisait ses études, au couvent…
– Ben oui, qu’est-ce tu veux ! Personne n’est parfait…
Cordelia avait pour voisine, au dortoir, une Virginie Pontieux de La Harpe.
– Et alors là, je peux te dire… Aristo jusqu’au bout des ongles. Qu’elle en était puante.
– Et pourquoi tu me parles d’elle ?
– Parce qu’elle a des nostalgies, qu’elle m’a contactée, qu’elle voudrait évoquer le bon vieux temps avec moi et que j’ai pas envie d’y aller toute seule.
– C’est gentil de penser à moi pour les corvées…
– À mon avis, on va plutôt bien rigoler.

Et nous voilà parties.
C’était un château. Un petit château, mais un château quand même. Le genre qui fait tout pour avoir l’air, mais qui y arrive pas. Quant à la Virginie Pontieux de machin-chose, elle croyait manifestement de bon ton de se comporter comme elle s’imaginait que le faisaient les grandes dames du XVIIIème siècle.
Mais la cerise sur le gâteau, c’était quand même sa fille Clarisse, une gamine de vingt ans qui prenait tout le monde de haut et affichait un souverain mépris pour tout ce qui n’était pas sa petite personne. Le genre d’egocentrée insupportable à l’égard duquel j’avoue éprouver néanmoins une certaine fascination. Pour des raisons que je connais trop bien.

Ce fut quand, en servant le thé, Mélanie, la domestique, en fit tomber quelques gouttes sur sa robe que cette Clarisse se mit à briller de tous ses feux.
– Vous ne pouvez pas faire attention, espèce de buse !
– Je suis désolée, Mademoiselle.
Et tandis que la pauvre femme, mortifiée, continuait vaille que vaille son service, elle y est allée, en sa présence, de son petit commentaire.
– On ne peut plus, malheureusement, punir aujourd’hui ses serviteurs comme ils le méritent. Une bonne fouettée lui aurait remis les idées en place. Parce qu’elle en prend vraiment très à son aise depuis quelque temps. Vous ne trouvez pas, mère ?
La mère trouvait. Si ! Oui. Mais hésitait à la remplacer.
– En prendre une autre ? On serait face aux mêmes problèmes. À la même incompétence. Et sans doute en pire.


Le soir, au retour, dans mon lit, c’est moi la servante. Qui renverse du thé sur la robe de la péronnelle.
Elle se lève d’un bond, furieuse.
– Vous ne pouvez pas faire attention, non ?
Je baisse la tête, coupable.
– Je vous prie de bien vouloir m’excuser, Mademoiselle !
– Des excuses ! C’est facile, des excuses. J’en ai assez, figurez-vous ! Plus qu’assez. Vous faites tout en dépit du bon sens.
Sa mère approuve.
– Clarisse a raison. Vous n’êtes pas, ces derniers temps, à ce que vous faites.
– J’en demande pardon à Madame.
J’hésite, mais je m’y résous malgré tout.
– Et à Mademoiselle.
Elle ricane.
– Parce que vous comptez vous en sortir comme ça ?
– Je…
– Sûrement pas, non. Venez !
J’obéis. Je la suis.
– Vous l’avez amplement mérité. Vous allez être punie. Agenouillez-vous là !
Sur une chaise, devant la porte du cellier.
– Mademoiselle…
– Et on se dépêche. On perd pas de temps. J’ai pas que ça à faire. Allez ! Allez !
Je m’exécute de mauvaise grâce.
– Déculottez-vous !
– Hein ? Mais…
– Vous m’agacez ! Vous arrêtez de discuter et vous vous déculottez.
J’obéis, la mort dans l’âme.
– Là ! Parfait ! Et maintenant une bonne petite correction, largement méritée, pour faire circuler le sang.
Elle fait claquer le fouet en l’air. Deux fois. Trois fois. Je me crispe, dans l’attente du premier coup.
Elle rit.
– Oh, et puis non. Non. Pas tout de suite. Tout à l’heure… Ce soir… Vous allez rester comme ça, en attendant, les fesses à l’air. Vous êtes très bien comme ça.
– Mais…
– Mais quoi ? Il va passer du monde ? Bien sûr qu’il va passer du monde ! La cuisinière. Le chauffeur. Le jardinier. D’autres encore. Et alors ? C’est un spectacle qu’ils apprécieront, j’en suis sûre, à sa juste valeur et qui leur donnera très certainement l’envie d’assister à la magistrale fouettée qui ponctuera cette journée. Pour leur plus grand plaisir. Et pour le mien…

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