jeudi 28 mars 2019

Les fessées de Blanche (21)


Flamboyant n’est pas vraiment remis. Il a l’œil vitreux. Le poil terne.
– Vous ne trouvez pas, Sylvain ?
– Absolument pas, non ! Madame se fait des idées. Il se porte comme un charme.
Elle n’insiste pas. Elle monte en selle.
Il tranche.
– L’exercice lui fera, au contraire, le plus grand bien.

Et ils chevauchent. Sylvain égrène imperturbablement ses prétendus exploits guerriers. Elle ne l’écoute pas. Elle fixe le chemin. La cime des arbres. Un vol d’étourneaux.
Est-ce que c’est cela, sa vie ? Est-ce que ce sera toujours cela ? 
D’éternelles matinées cheminées sans but aux côtés de Sylvain. Au milieu de paysages qu’elle connaît par cœur. Sur des chemins mille et mille fois parcourus et reparcourus. Jusqu’à l’écœurement.
Des après-midis interminablement consumées à des riens. À des travaux d’aiguille qui l’ennuient à mourir. À d’insipides conversations avec des femmes de façade, de soi-disant amies, qui jouent à se faire croire qu’elles sont ce qu’elles ne sont pas. Et qu’elles ne seront jamais. À de rituelles sorties auxquelles elle ne prend pas le moindre plaisir.
Des soirées étirées, devant la cheminée, en compagnie de Pierre, qui, plongé dans son journal, ne lui adresse pas la parole ou qui, s’il le fait, se lance dans de grandes considérations politiques dont elle se soucie comme d’une guigne.
À l’entrée du sous-bois, une brusque envie de pleurer s’empare d’elle. Il vaudrait mieux mourir. Elle est déjà morte.
– Rentrons, Sylvain, J’ai un peu froid.
– Comme Madame voudra…
– Et puis il ne faut pas trop fatiguer Flamboyant.
Et ils font demi-tour.

Elle aperçoit son attelage de loin. Son cœur fait un bond dans sa poitrine. Le vétérinaire. Il est là. Elle se retient d’éperonner Flamboyant.
Il est là, devant l’écurie. Il sourit. Il lui tend la main, l’aide à descendre de cheval.
– Je suis passé le voir… Comment va-t-il ?
Sylvain s’éclipse discrètement.
– Oh, bien ! Bien ! Beaucoup mieux, on dirait.
Il lui flatte l’encolure, le palpe ici et là, lui examine la mâchoire.
– Oui. Ce ne sera bientôt plus qu’un très mauvais souvenir.
Il plante ses yeux dans les siens.
– Et pour moi un très bon.
Elle se trouble. Elle rougit. Elle cherche, autour d’elle, un hypothétique secours.
– J’aurai eu le bonheur de vous avoir rencontrée. Et admirée.
Il prend ses mains dans les siennes. Les deux. Il les porte à ses lèvres.
– Tu me rends fou !
Il les baise éperdument.
– Cessez !
Elle veut les lui retirer. Les lui arracher.
– Cessez ! Je vous en prie.
Mais elle les lui laisse. Elle les lui abandonne.
Il se fait pressant. Impérieux.
– J’ai envie de toi. Tellement !
Il l’attire contre lui. Il cherche ses lèvres.
Elle se dérobe.
– Pas ici ! Pas ici ! On pourrait nous voir. On pourrait nous surprendre.
– Où alors ?
– Viens !
Dans la grange.

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