Peinture
de Jules Lefebvre (1853)
Au
Moyen-Âge, Lady Godiva, l’épouse de Léofric de Mercie, était
scandalisée par la multitude des taxes qui pesaient sur la
population du comté de Coventry. À plusieurs reprises, elle s’en
était plainte à son mari qui, de guerre lasse, avait accepté de
les supprimer si, en contrepartie, elle se résolvait à traverser la
ville à cheval, vêtue en tout et pour tout de ses seuls cheveux
blonds qu’elle avait fort beaux. Elle l’avait prise au mot et il
avait tenu parole.
Légende
ou réalité ? Une chose est sûre, en tout cas : les
annales de la ville révèlent qu’à partir de 1057 l’impôt n’a
plus été levé.
Moi,
cette histoire me fascine. Je m’imagine bien, chevauchant nue, dans
la fraîcheur du petit matin, par les rues désertées de la ville.
Les habitants, par égard pour la dame qui prenait ainsi leur
défense, s’étaient en effet, paraît-il, tous claquemurés chez
eux.
Oui,
enfin ça, j’y crois qu’à moitié. Qu’ils n’aient pas mis le
nez dehors, puisque telle était la décision qui avait été prise
d’un commun accord, soit ! À la rigueur. Mais je suis bien
tranquille qu’ils étaient tous à l’affût derrière leurs
volets. Les hommes comme les femmes. Même si leurs motivations
étaient différentes.
De
toute façon, quand je parcours leurs rues à cheval, je ne leur
laisse pas le choix. Ils sont là. À telle fenêtre, il y a ce beau
jeune homme, qui, chaque fois que je le croise, me jette des regards
enflammés que je feins d’ignorer. À telle autre, il y a ce
vieillard lubrique dont je réveille les dernières ardeurs. À telle
autre encore, ce sont un mari et sa femme qui vont, aussitôt après
mon passage, se jeter sur leur lit pour une cavalcade échevelée.
Partout,
dans chaque maison, on m’épie. On se repaît de moi. On me désire.
On m’admire.
Et
je reviens. Je recommence. Sans jamais me lasser.
C’est
aussi, quelquefois, aujourd’hui. Je demande une entrevue au maire.
Je me scandalise du montant, toujours plus élevé, des taxes
foncières. Il me laisse parler. Il sourit. Il n’arrête pas de
sourire. Sans rien dire. Il m’agace. Ce qu’il peut m’agacer !
– Avez-vous
entendu parler de Lady Godiva ?
Je
sursaute.
– Oui,
évidemment, mais…
– Eh
bien, vous savez ce qu’il vous reste à faire.
Il
se lève. L’entretien est terminé.
Non,
mais il s’imagine quoi ? Que je vais me dégonfler ?
Alors là, il me connaît mal. Vraiment très très mal.
Un
cheval ? J’en trouverai un, de cheval. C’est pas un
problème. Et j’établis mon itinéraire. Que je vais déposer en
mairie, entre les mains de la secrétaire éberluée. Non, mais !
Arrive
le grand jour. J’enfourche ma monture et j’entreprends mon
périple. Lentement. Le plus lentement possible. Personne dans les
rues. Des consignes ont été données. Mais on est aux fenêtres. Je
sais qu’on est aux fenêtres. Avenue du général Leclerc
quelqu’un, resté dans l’ombre, applaudit. Un autre, un peu plus
loin, invisible lui aussi, lance un coup de sifflet strident dans ma
direction. Juste après le Crédit Agricole, Pierre Legrand a le nez
collé à la baie vitrée de sa salle de séjour. Sa femme vient
brusquement le tirer en arrière. Ici et là, on savoure ma nudité.
On s’en délecte. Il y a ceux que je débusque en train de
m’observer, à l’affût, les yeux brillants de convoitise. Les
Benoît Grandin… Les Kevin Rubanier… Les Julien Guizzi… Je pose
sur eux un rapide regard apparemment indifférent. Je me détourne
aussitôt. Et puis il y a les autres, tous les autres, plus discrets,
plus effacés, mais tout aussi intensément rivés à moi. Et je…
Mais qu’est-ce que je peux mouiller sur ce putain de cheval !
J’en
serre les flancs. De toutes mes forces. Je ferme les yeux. Je
m’accroche à la bride.
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