Dessin
de Georges Topfer.
On a
eu droit à une réunion exceptionnelle. Tout le monde. Toute la
boîte. Avec le grand patron, monsieur Duvert, revenu tout exprès,
pour l’occasion, de Bratislava. Il s’est montré très explicite.
Les résultats étaient catastrophiques. On était dans le rouge. Et
si on ne redressait pas très rapidement la barre, avant un an on
serait toutes au chômage.
– Ce
n’est pas ce que vous voulez, j’imagine ?
On
s’est toutes récriées. Non. Bien sûr que non.
– Alors
que chacune, au poste qu’elle occupe, fournisse les efforts
appropriés. Il y va de l’intérêt de tous.
Séverine,
notre chef, nous a, aussitôt après, réunies toutes les huit
– toutes les filles du groupe – dans son bureau. Et
elle en a rajouté une couche.
– Faut
bien reconnaître que vous en prenez à votre aise, hein, toutes
autant que vous êtes ! À vous balader tant et plus dans les
couloirs. À camper des quarts d’heure entiers devant la machine à
café. À passer la moitié de votre temps sur Facebook. Vous croyez
que je m’en rends pas compte ? Sans compter celles qui se
livrent à des activités n’ayant strictement rien à voir avec
celles de l’entreprise.
Et,
ce disant, elle nous a fixées droit dans les yeux, Cordelia et moi.
On n’a pas cillé.
– Seulement
dites-vous bien que, désormais, c’est fini le club Med. À
l’avenir vous consacrerez l’intégralité de votre temps de
travail… à votre travail justement. J’y veillerai
personnellement. Et ne m’obligez pas à envisager des sanctions.
Vous pourriez amèrement le regretter.
Des
sanctions ? Quelles sanctions ? Elle n’a pas précisé.
Mais la petite lueur métallique était là, dans son regard. Je l’ai
reconnue. Je sais pertinemment quelles sont les sanctions qu’elle
considère comme les plus appropriées à notre cas. Même si elles
sont bien évidemment inenvisageables. En tout cas dans le réel.
Mais il n’y a pas que le réel. Il y a souvent beaucoup mieux que
le réel. Pour elle. Comme pour moi. Et pour beaucoup d’autres.
C’est
plus tard. La semaine suivante. Ou celle d’après.
– Bon.
On va utiliser les grands moyens. Ce n’est pas de gaîté de cœur,
mais puisque vous ne voulez décidément pas comprendre. Puisque vous
m’y contraignez… Montez là-dedans !
Une
espèce de mini car au volant duquel elle s’installe aussitôt.
Les
filles s’interrogent.
– Elle
nous emmène où comme ça ?
On
traverse une espèce de zone industrielle dont les bâtiments
semblent, pour la plupart, désaffectés.
– C’est
d’un sinistre !
Ça
devient plus clairsemé. Et puis apparaît un hangar, planté au
milieu de nulle part. Un hangar dans lequel elle nous fait entrer.
Toutes les huit.
– Là !
Et maintenant on se déshabille…
On
se regarde les unes les autres, complètement interloquées.
– Eh
bien ? Qu’est-ce que vous attendez ?
Ce
qu’on attend ? On sait pas. C’est à dire que…
– Je
vous conseille vivement d’obtempérer. Si vous ne voulez pas vous
exposer à de très très gros ennuis.
C’est
Perrine qui s’y résout la première. Et puis Estelle. Et puis
Cordelia. Et puis moi. Et puis toutes les autres.
– Et
tout, hein ! Vous enlevez tout. À poil !
On
obéit. Et elle, elle nous regarde faire d’un petit air tout à la
fois amusé et gourmand.
Voilà,
ça y est. On l’est toutes nues. Toutes les huit. Elle prend tout
son temps. Elle nous examine. Elle nous détaille. Elle nous scrute.
Son regard s’attarde sur des seins ici, sur des fesses là, sur une
petite encoche ailleurs. Elle prend son pied, c’est clair.
Elle
se décide d’un coup.
– Par
ici ! Venez !
Dans
une seconde grange contiguë à la première. Le long de la paroi du
fond se trouve une espèce de meuble formé d’une dizaine de boîtes
juxtaposées. Au centre de chacune d’elles a été ménagé un trou
circulaire dans lequel elle nous oblige à passer la tête.
– Là !
Et on ne bouge plus.
C’est
très inconfortable comme position. Et l’obscurité quasi absolue
dans laquelle on se trouve a quelque chose de terriblement
angoissant. Et puis le silence. Un silence qui se prolonge
interminablement. Qu’elle finit pourtant par rompre.
– Délicieux
spectacle… Absolument délicieux.
Sa
voix parvient comme de très loin. Caverneuse.
– Bon…
Mais il est temps de passer aux choses sérieuses. Vous avez mérité
d’être punies. Vous en avez bien conscience, j’espère ?
Personne
ne répond.
– Non ?
Il y
en a deux ou trois qui lui consentent un petit « Si ! »
sans conviction. D’une voix blanche.
– Ah,
vous voyez ! Bon, mais une bonne petite correction, au martinet,
devrait vous remettre les idées en place.
Il y
en a une qui pousse un gémissement plaintif. Une autre tousse.
– Mais,
comme c’est la première fois, je veux bien consentir,
exceptionnellement, à me montrer indulgente. Je vais donc me
contenter de corriger deux d’entre vous. Sachant tout de même que
si j’avais de nouveau à intervenir, je me montrerais beaucoup
moins conciliante. Bien. Y-a-t-il des volontaires ?
Il
n’y a pas de volontaires. Aucune. Personne.
– Dans
ces conditions… je vais être dans l’obligation de choisir
moi-même. Qui ? Estelle peut-être. Sur son joli petit
postérieur de longues zébrures rougeoyantes seraient du plus bel
effet. Ou Corentine, tiens, plutôt. Je suis sûre que son copain
apprécierait. À moins que… Ophélie… Elle a une si jolie voix.
Ce doit être un enchantement de l’entendre donner sa pleine
mesure.
Elle
prend tout son temps. Elle remonte la rangée. Dans un sens. Dans
l’autre. Au passage, elle flatte une croupe ici, une autre là. Les
caresse du bout des lanières.
Ça
cingle d’un coup. Sur les fesses de Cordelia. Je reconnais sa voix.
Ça cingle. Comment ça cingle ! Elle crie, elle s’époumone
dans la boîte qui fait caisse de résonance. Qui démultiplie ses
hurlements.
Ça
s’arrête. Elle est derrière moi. Elle murmure.
– Tu
sais pourquoi je l’ai choisie, elle, je suppose ?
Je
sais, oui. Je me doute.
– Alors
tu sais pourquoi ça va être ton tour maintenant.
Elle
ne me laisse pas le temps de répondre. Elle abat le martinet.
Ça
va être bon. Ça va être si bon. Ça l’est déjà.
Tout y est. L'ambiance, l'angoisse, l'envie et le plaisir. Espérons que l'entreprise en retirera des bénéfices..
RépondreSupprimerL'entreprise, peut-être. Mais sans doute cette expérience va-t-elle souder les filles entre elles...
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