samedi 29 septembre 2018

Les fantasmes de Lucie (19)


Dessin de Georges Topfer.

On a eu droit à une réunion exceptionnelle. Tout le monde. Toute la boîte. Avec le grand patron, monsieur Duvert, revenu tout exprès, pour l’occasion, de Bratislava. Il s’est montré très explicite. Les résultats étaient catastrophiques. On était dans le rouge. Et si on ne redressait pas très rapidement la barre, avant un an on serait toutes au chômage.
– Ce n’est pas ce que vous voulez, j’imagine ?
On s’est toutes récriées. Non. Bien sûr que non.
– Alors que chacune, au poste qu’elle occupe, fournisse les efforts appropriés. Il y va de l’intérêt de tous.

Séverine, notre chef, nous a, aussitôt après, réunies toutes les huit – toutes les filles du groupe – dans son bureau. Et elle en a rajouté une couche.
– Faut bien reconnaître que vous en prenez à votre aise, hein, toutes autant que vous êtes ! À vous balader tant et plus dans les couloirs. À camper des quarts d’heure entiers devant la machine à café. À passer la moitié de votre temps sur Facebook. Vous croyez que je m’en rends pas compte ? Sans compter celles qui se livrent à des activités n’ayant strictement rien à voir avec celles de l’entreprise.
Et, ce disant, elle nous a fixées droit dans les yeux, Cordelia et moi. On n’a pas cillé.
– Seulement dites-vous bien que, désormais, c’est fini le club Med. À l’avenir vous consacrerez l’intégralité de votre temps de travail… à votre travail justement. J’y veillerai personnellement. Et ne m’obligez pas à envisager des sanctions. Vous pourriez amèrement le regretter.

Des sanctions ? Quelles sanctions ? Elle n’a pas précisé. Mais la petite lueur métallique était là, dans son regard. Je l’ai reconnue. Je sais pertinemment quelles sont les sanctions qu’elle considère comme les plus appropriées à notre cas. Même si elles sont bien évidemment inenvisageables. En tout cas dans le réel. Mais il n’y a pas que le réel. Il y a souvent beaucoup mieux que le réel. Pour elle. Comme pour moi. Et pour beaucoup d’autres.

C’est plus tard. La semaine suivante. Ou celle d’après.
– Bon. On va utiliser les grands moyens. Ce n’est pas de gaîté de cœur, mais puisque vous ne voulez décidément pas comprendre. Puisque vous m’y contraignez… Montez là-dedans !
Une espèce de mini car au volant duquel elle s’installe aussitôt.
Les filles s’interrogent.
– Elle nous emmène où comme ça ?
On traverse une espèce de zone industrielle dont les bâtiments semblent, pour la plupart, désaffectés.
– C’est d’un sinistre !
Ça devient plus clairsemé. Et puis apparaît un hangar, planté au milieu de nulle part. Un hangar dans lequel elle nous fait entrer. Toutes les huit.
– Là ! Et maintenant on se déshabille…
On se regarde les unes les autres, complètement interloquées.
– Eh bien ? Qu’est-ce que vous attendez ?
Ce qu’on attend ? On sait pas. C’est à dire que…
– Je vous conseille vivement d’obtempérer. Si vous ne voulez pas vous exposer à de très très gros ennuis.
C’est Perrine qui s’y résout la première. Et puis Estelle. Et puis Cordelia. Et puis moi. Et puis toutes les autres.
– Et tout, hein ! Vous enlevez tout. À poil !
On obéit. Et elle, elle nous regarde faire d’un petit air tout à la fois amusé et gourmand.
Voilà, ça y est. On l’est toutes nues. Toutes les huit. Elle prend tout son temps. Elle nous examine. Elle nous détaille. Elle nous scrute. Son regard s’attarde sur des seins ici, sur des fesses là, sur une petite encoche ailleurs. Elle prend son pied, c’est clair.
Elle se décide d’un coup.
– Par ici ! Venez !
Dans une seconde grange contiguë à la première. Le long de la paroi du fond se trouve une espèce de meuble formé d’une dizaine de boîtes juxtaposées. Au centre de chacune d’elles a été ménagé un trou circulaire dans lequel elle nous oblige à passer la tête.
– Là ! Et on ne bouge plus.
C’est très inconfortable comme position. Et l’obscurité quasi absolue dans laquelle on se trouve a quelque chose de terriblement angoissant. Et puis le silence. Un silence qui se prolonge interminablement. Qu’elle finit pourtant par rompre.
– Délicieux spectacle… Absolument délicieux.
Sa voix parvient comme de très loin. Caverneuse.
– Bon… Mais il est temps de passer aux choses sérieuses. Vous avez mérité d’être punies. Vous en avez bien conscience, j’espère ?
Personne ne répond.
– Non ?
Il y en a deux ou trois qui lui consentent un petit « Si ! » sans conviction. D’une voix blanche.
– Ah, vous voyez ! Bon, mais une bonne petite correction, au martinet, devrait vous remettre les idées en place.
Il y en a une qui pousse un gémissement plaintif. Une autre tousse.
– Mais, comme c’est la première fois, je veux bien consentir, exceptionnellement, à me montrer indulgente. Je vais donc me contenter de corriger deux d’entre vous. Sachant tout de même que si j’avais de nouveau à intervenir, je me montrerais beaucoup moins conciliante. Bien. Y-a-t-il des volontaires ?
Il n’y a pas de volontaires. Aucune. Personne.
– Dans ces conditions… je vais être dans l’obligation de choisir moi-même. Qui ? Estelle peut-être. Sur son joli petit postérieur de longues zébrures rougeoyantes seraient du plus bel effet. Ou Corentine, tiens, plutôt. Je suis sûre que son copain apprécierait. À moins que… Ophélie… Elle a une si jolie voix. Ce doit être un enchantement de l’entendre donner sa pleine mesure.
Elle prend tout son temps. Elle remonte la rangée. Dans un sens. Dans l’autre. Au passage, elle flatte une croupe ici, une autre là. Les caresse du bout des lanières.
Ça cingle d’un coup. Sur les fesses de Cordelia. Je reconnais sa voix. Ça cingle. Comment ça cingle ! Elle crie, elle s’époumone dans la boîte qui fait caisse de résonance. Qui démultiplie ses hurlements.
Ça s’arrête. Elle est derrière moi. Elle murmure.
– Tu sais pourquoi je l’ai choisie, elle, je suppose ?
Je sais, oui. Je me doute.
– Alors tu sais pourquoi ça va être ton tour maintenant.
Elle ne me laisse pas le temps de répondre. Elle abat le martinet.
Ça va être bon. Ça va être si bon. Ça l’est déjà.

2 commentaires:

  1. Tout y est. L'ambiance, l'angoisse, l'envie et le plaisir. Espérons que l'entreprise en retirera des bénéfices..

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  2. L'entreprise, peut-être. Mais sans doute cette expérience va-t-elle souder les filles entre elles...

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