samedi 15 septembre 2018

Les fantasmes de Lucie (17)


Dessin de Georges Topfer.

On est tranquilles dans notre réduit là-haut, Cordelia et moi. Personne n’y monte jamais. Tant et si bien que, quand l’envie nous en prend, on peut s’offrir une petite gratouille sous le bureau. En face à face. Chacune pour soi. Histoire de couper un peu la journée de travail. Des fois on parle. On se raconte des trucs pour s’émoustiller. Et d’autres fois, non. Ça dépend. Sauf que là, on a failli se faire gauler. Et en beauté ! On s’était organisé un petit concours, toutes les deux, la main dans la culotte. Un concours à qui arriverait à se retenir le plus longtemps de jouir.
– Ce sera moi !
– Dans tes rêves, oui.
On se quittait pas des yeux. Il y avait le feu dans les siens. Un feu sombre. Ardent. Je crevais d’envie de l’imaginer en train de me flanquer une magistrale fessée, mais je m’en empêchais de toutes mes forces parce que je savais que ça irait beaucoup trop vite sinon. Et que je perdrais. N’empêche que ça approchait quand même. À toute allure. Elle aussi, je le voyais bien. Et c’est juste à ce moment-là que Séverine, notre chef, s’est pointée à la porte du bureau. On ne l’avait pas entendue arriver. Ni l’une ni l’autre. On s’est ressaisies. Le plus vite qu’on a pu. Elle ne s’est rendu compte de rien. Ou elle a fait semblant. Elle nous a tendu un dossier.
– Vous vous occupez de ça tout de suite. C’est urgent.
Et elle est repartie.
On a éclaté d’un gigantesque fou rire.

Mais le soir, après, dans mon lit, ça se passe pas comme ça. Pas du tout.
Elle nous dévisage, l’une après l’autre, incrédule.
– Non, mais je rêve, là ! Je rêve. Qu’est-ce vous êtes en train de faire ?
– Rien.
– Non, rien.
– Prenez-moi bien pour une imbécile ! En plus ! Oh, mais alors là, ça va pas se passer comme ça, faites-moi confiance ! Parce que, que vous vous amusiez avec ce que la nature a généreusement mis à votre disposition, j’en ai strictement rien à foutre, mais pas pendant les heures de travail…
Et elle s’en va, furibonde. Son pas claque furieusement dans le couloir. Elle revient, presque aussitôt. Avec deux fouets.
– Debout !
On se regarde, Cordelia et moi. On hésite.
– C’est ça ou le licenciement immédiat. Pour faute grave. À vous de voir…
On se lève.
– À poil !
On hésite encore.
Et vite !
On soupire, mais on obtempère.
Elle nous tend les fouets. Un chacune.
– À mon tour de m’amuser. Allez-y ! Tapez ! Et faites pas semblant…
C’est Cordelia qui lance le premier coup. Il me lèche l’épaule. Pas bien fort. Je lui rends la pareille. À son tour. Encore à moi. Encore à elle. Une dizaine de fois.
– Aïe ! Oh, la vache !
Celui-là, elle l’a lâché plus fort. Beaucoup plus fort. Peut-être pas exprès, mais n’empêche… Ma réponse ne se fait pas attendre. Je cingle un grand coup. D’instinct. Sous l’effet de la surprise. Et de la douleur.
– Garce !
Et ça me tombe à plein derrière. Avec une force inouïe.
Oh, alors là ! Alors là ! Et ça s’emballe. Ça dégringole. On claque. On cingle. L’une comme l’autre. Partout. Les seins. Le dos. Les fesses. Les cuisses. Ah, pour y aller, on y va !
La chef regarde. Elle savoure, ravie. Elle murmure.
– Plus fort ! Encore plus fort !
Comment c’est bon ! C’est trop bon.
J’aime ce qu’il y a dans ses yeux à ce moment-là.

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