samedi 22 septembre 2018

Les fantasmes de Lucie (18)


Frédéric Bazille. La toilette.

Je lis – je dévore – tout un tas de Mémoires, Souvenirs, Journaux intimes écrits à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles n’étaient pas spécialement prudes, ces belles dames du temps jadis. Les madame du Châtelet, les madame Balbi, les Pauline Bonaparte et consorts. Ça prend son bain devant les domestiques. Ça se balade tranquillement, en tenue d’Ève, sans la moindre gêne, devant les familiers, voire même, à l’occasion, devant des étrangers.

Alors, moi aussi. Il y a pas de raison. Moi aussi.
Comme tous les matins, mes deux femmes de chambre attitrées, Magda et Violaine, procèdent à ma toilette. Elles me donnent mon bain. Elles me frottent. Elles me parfument. Elles m’habillent. Je m’abandonne. C’est le moment de ma journée que je préfère. Elles le savent. Et elles le font durer. Elles l’étirent au maximum.
– Madame la comtesse…
C’est Amélie, ma dame de compagnie. Qui vient de surgir.
– Oui, Amélie…
– Madame la comtesse, il y a là, en bas, le chevalier Faublas. Qui vous apporte des nouvelles de Varsovie. Urgentes, assure-t-il.
– Fais-le monter…
– Que je le…
– Mais oui, fais-le monter, te dis-je !
– Comme Madame la comtesse voudra.

– Eh bien, chevalier, je vous écoute.
Je suis assise sur mon sofa, quasiment nue. Je n’ai pour tout vêtement qu’un voile de lin blanc qui recouvre ma jambe droite et dissimule mon entre-cuisses aux regards. Le sien effleure brièvement mes seins, s’en détourne aussitôt, va se perdre dans les arabesques de la tenture derrière moi.
– Je vous écoute, chevalier.
– Je reviens de Varsovie.
– Oui. Amélie m’a dit. Au fait, mon ami, au fait.
Ses yeux revienent à moi, s’accrochent une nouvelle fois, une fraction de seconde, à mes seins, s’efforcent de s’en éloigner. Y reviennent. En repartent.
– Vous disiez ?
Il se trouble, cherche ses mots.
– À Varsovie… Le comte… Vous savez… Podowski…
Magda m’enfile ma pantoufle.
– Ce cher Podowski. Comment va-t-il ?
– Bien. Il m’a chargé de vous dire…
Il y a du tremblement dans sa voix.
– De me dire ?
– Que sa proposition tient toujours.
– Vraiment ?
– Il vous conjure d’y donner suite.
Je me lève. Je suis nue. Entièrement nue devant lui. Sa glotte tressaute furieusement.
Violaine me tend mon vêtement. Je ne l’enfile pas. Pas tout de suite.
– Vous direz au comte Podowski que les décisions que je prends, je m’y tiens. Je vous salue, chevalier.
Et je lui tourne le dos. Je lui tourne les fesses.

6 commentaires:

  1. Pauvre homme.. Ou comment perdre ses moyens...

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  2. Pas si pauvre que ça finalement! Il a pu se régaler les yeux…

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  3. Au XVIIème, tout gentilhomme de talent savait très bien apprécier les belles rondeurs.
    Dans mon pays Il en est témoin un sonnet de Don Tomás de Iriarte, intitulé “Reponse à une dame qui me questionna sur ce que je trouvais de plus beau dans son corps”.

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  4. En effet, le goût pour les femmes filiformes est très récent. Au début du XXème siècle encore il y a quantité de photos de modèles bien en chair. Quant au sonnet dont vous parlez, je ne le connais pas. Je vais le rechercher.

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  5. Je vous le sers tout de suite, assorti des peintures de François Boucher.
    Du coup, je vois que j’ai fait une erreur de transcription; evidemment je voulais parler du 18ème.


    https://maripeli8.wordpress.com/2012/10/06/respuesta-de-don-tomas-de-iriarte-a-una-dama-que-le-pregunto-que-era-lo-mejor-que-hallaba-en-su-cuerpo/

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