samedi 9 juin 2018

Les fantasmes de Lucie (3)

Dessin de Gaston Smit


– Comment vous m’avez saboté ce dossier, Lucie ! Vous mériteriez que je vous flanque une bonne fessée, tiens ! Cul nu. Et devant tout le monde.
Elle l’a dit. Elle l’a VRAIMENT dit. Séverine. Ma chef. On était toutes les deux, toutes seules, à la machine à café. Et elle l’a dit. Avec un semi-sourire, mais elle l’a dit. Sur le ton de la plaisanterie, bien sûr, mais plaisante-t-on jamais complètement au hasard ?

J’y pense. J’y repense. J’arrête pas d’y repenser. Son ton. Et puis cet éclair métallique, dans ses yeux, quand elle l’a dit. Je suis sûre. Je suis sûre que, le soir, dans le secret de sa chambre à coucher, elle me convoque dans son bureau. Elle arbore cet air sévère qui te fait baisser les yeux et te sentir coupable. Irrémédiablement et immensément coupable.
– Fermez la porte !
J’obéis.
Elle me laisse un long moment debout, à danser d’un pied sur l’autre. Elle consulte son ordinateur. Elle m’ignore superbement. Et puis elle semble, d’un coup, découvrir ma présence.
– Ah, oui, Lucie !
Elle plisse les lèvres, lève les yeux au ciel.
– Lucie… Ah, vous n’êtes pas vraiment un cadeau, vous, hein !
Soupire.
– Si seulement vous consentiez à faire preuve d’un minimum de bonne volonté.
Je ne réponds pas. Je baisse les yeux.
– Mais non ! Apparemment, c’est beaucoup trop vous demander. Et j’en ai assez, figurez-vous, de devoir être sans arrêt derrière vous. À rectifier vos erreurs. À essayer d’obtenir que vous preniez enfin votre travail à cœur. Alors, puisque vous ne voulez pas comprendre, puisque vous nous y obligez, eh bien on va utiliser les grands moyens. Venez ! Elle me soulève ma robe, me la fait remonter le long du dos. Elle me descend ma culotte qui me tombe sur les chevilles. Et elle tape. Elle cingle. Méthodiquement. Consciencieusement. À grands coups réguliers.
Derrière, il y a des présences. Des voix. Celles des filles. De mes collègues. D’autres encore, qui me sont inconnues. Il y a aussi un homme. Peut-être deux. Des rires. Et des commentaires. Des commentaires à foison.
– Elle prend cher.
– Moi, je la plains pas. Ça lui rabaisse un peu son caquet.
– Faut dire qu’à force de la ramener, comme elle fait.
– Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle va pas pouvoir s’asseoir d’un moment.
– En tout cas, qu’est-ce que ça lui met rouge !
Leurs voix s’estompent. Leurs rires se voilent. Tout ne me parvient plus que de très loin. Les coups se ouatent. La douleur se fait délices. Je me tends vers elle. Je lui offre voluptueusement mes fesses. Je perds pied.

Elle me rejoint à la machine à café, me pose amicalement la main sur le bras.
– Ça va ce matin ?
– Oh, oui, vous aussi ?
– Très bien, merci.
On se sourit. Décidément, je suis sûre. Certaine. Et je me lance…
– Hier soir…
– Oui ?
– Non. Rien.
Mais on s’est comprises. Je sais qu’on s’est comprises et qu’un jour sûrement… Pour de bon.

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