lundi 18 juin 2018

La fessée de Gisèle

Dessine de Louis Malteste


Chaque fois qu’elle descendait à Châteauroux, Gisèle venait me rendre visite. Et, chaque fois, elle s’efforçait de me convaincre.
– Tu vas périr d’ennui dans ce trou perdu. Viens avec moi ! Monte à Paris !
Et elle me dépeignait, sous les couleurs les plus riantes, la vie là-bas. Ce n’était que fêtes perpétuelles, repas pantagruéliques. Quant aux jeunes gens… Ah, les jeunes gens ! Polis, courtois, raffinés, cultivés, ils n’avaient strictement rien à voir avec le tout-venant de Châteauroux.
– C’est le jour et la nuit. Allez, viens ! Qu’est-ce que tu risques ? Elle t’embauchera, Mademoiselle Guibert. Elle me l’a promis.
– Et j’habiterai où ?
– Avec moi. Au-dessus de l’atelier. Ces crises de fou rire qu’on va se prendre !

J’ai fini par me laisser tenter. Et je n’ai pas eu à le regretter. La couture n’avait pas de secrets pour moi et, à l’atelier, je me suis tout de suite sentie dans mon élément. Avec les quatre autres filles, je n’avais pas le moindre problème. Quant à Mademoiselle Guibert, elle se félicitait haut et fort de la qualité de mon travail.
– Et tu avances vite. En plus !

La chambre de Gisèle n’était pas très spacieuse, mais le lit, lui, si ! Et on disposait, juste à côté, d’une sorte de grand débarras dans lequel on pouvait entreposer nos affaires à notre gré. Tant et si bien qu’on ne se sentait pas vraiment à l’étroit.
On s’endormait tard. De plus en plus tard. On avait toujours une foule de choses à se raconter. Et puis il y avait les deux messieurs bien mis. Qui passaient presque tous les jours à l’atelier, sous un prétexte ou sous un autre, pour nous voir et nous parler. Qui voulaient absolument nous inviter à aller au spectacle avec eux. Ils nous faisaient trop rire.
– Ils ont au moins quarante ans, attends !
– Et qu’est-ce qu’ils sont laids ! En plus !

On était justement en train de se moquer d’eux, un soir, quand Mademoiselle Guibert a brusquement fait irruption dans la chambre.
– Non, mais vous savez l’heure qu’il est ? Ça va pas de faire un raffût pareil ! Alors maintenant vous vous couchez ! Et vous me laissez dormir.
Ce qui n’a absolument pas impressionné Gisèle. Elle a continué à rire et à parler fort comme si de rien n’était. Encore plus fort, même.
– Chut ! Elle va revenir…
– Et alors ? On s’en moque. On fait bien ce qu’on veut.
Ce qui a eu pour effet quasi immédiat de la faire réapparaître.
– Alors toi, ma petite, tu cherches… Eh bien, tu vas trouver !
Elle l’a attrapée par un bras, tirée dans le couloir.
– Oh, non, Mam’zelle, s’il vous plaît…
– T’étais prévenue. T’étais pas prévenue ?
– Si, mais…
– Eh bien alors !
Elle s’est assise sur le canapé d’angle, l’a courbée en travers de ses genoux, lui a tout relevé.
– Oh, Mam’zelle !
Et lui a mis une fessée. Cul nu.
J’étais stupéfaite. Et terrifiée. Est-ce qu’après ça allait être mon tour ? J’étais d’autant plus effrayée que ça avait l’air de faire très mal. Elle se contorsionnait dans tous les sens, Gisèle. Elle possait des tas de petits cris. « Hou… hou…hou… » Et ça les lui mettait rouges, les fesses, mais rouges !
– Là ! Et maintenant tu vas te coucher et tu la fermes. Quant à toi, Alice, tâche d’en prendre de la graine. Parce que si j’ai à me plaindre de toi, pour quoi que ce soit, tu subiras le même sort. C’est compris ?
C’étais compris, oui.
On a filé sans demander notre reste.

Dans le lit, Gisèle m’a attrapé la main.
– Elle sont brûlantes. Tiens, touche ! Mais si, touche !
Elle l’étaient.
– Comment elle a tapé fort ! Bien plus que les autres fois. Mais ça, c’est parce que t’étais là.
Elle s’est voluptueusement étirée.
– En attendant, comment ça fait du bien !
– Du bien !
– Enfin, non ! Du mal, oui ! Mais du mal qui fait tellement du bien… T’en as jamais eu, hein ?
– Jamais.
– Tu peux pas comprendre alors ! Mais tu verras ! Tu verras. Quand on en a eu reçu une, après, on peut plus jamais s’en passer.

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