jeudi 7 juin 2018

Quinze ans après (9)

Je l’ai d’abord observée de loin. Une petite brune à l’air effacé. Qui faisait les cent pas devant la fontaine en regardant fébrilement sa montre.
Je l’ai fait attendre. Une bonne demi-heure. Et puis je me suis approchée.
– C’est toi, Camille ?
C’était elle, oui.
– Alors, viens !
Elle m’a docilement suivie.

Je l’ai entraînée jusqu’à Notre-Dame. Dont on a fait le tour. Sans échanger le moindre mot. Je l’ai ramenée au point de départ. Et j’ai recommencé. Quatre fois. Fontaine Saint-Michel ; Notre-Dame. Notre-Dame ; Fontaine Saint-Michel. Toujours sans lui adresser la parole. J’ai fini par m’asseoir à une terrasse de café. Elle a hésité, tiré une chaise.
– Qu’est-ce tu fais ?
– Ben…
– Quelqu’un t’a dit de t’asseoir ?
– Non.
Elle a précitamment remis la chaise en place.
– Tu seras punie pour ça.
Quelque chose de profondément intense a traversé son regard. Elle a baissé la tête.
– Eh ben, assieds-toi ! Tu vas pas rester plantée là…
Elle l’a fait. Du bout des fesses.
– T’as quel âge ?
– Dix-neuf ans.
– Et tu fais quoi ?
– Vendeuse.
– Dans quoi ?
– Les vêtements.
– C’est tout le temps qu’il faut t’arracher les mots de la bouche comme ça ?
– Vous m’intimidez.
– Elle est sévère avec toi, ta patronne ?
– Plutôt, oui. Elle laisse rien passer. À personne.
– Elle te donne des fessées?
– Oh, non ! Non !
– Mais t’en crèves d’envie.
Elle a marqué un long temps d’arrêt.
– J’y pense des fois. Je pense que je vis chez elle. Et que je fais tout ce qu’elle veut. Absolument tout. Et quand elle est pas satisfaite de moi, elle me punit. Ou même, parfois, elle me punit comme ça, pour rien. Juste parce qu’elle a envie. Mais ça n’arrivera pas en vrai.
– Pas avec elle, mais qui sait ?
Elle a soutenu mon regard.
Je me suis levée. Elle aussi. On s’est remis en marche.
– Tiens, tu le vois, le vieux monsieur, là, qu’arrive en face ? Eh bien tu vas lui dire…
– Lui dire quoi ?
– Que je t’emmène prendre une fessée.
Elle l’a fait. Elle l’a dit. À haute et intelligible voix.
– Monsieur ! Monsieur ! Je vais avoir une fessée. Elle va me la donner.
Il a hoché la tête, souri.
– Grand bien te fasse, ma chérie…
Et puis la femme à l’air revêche. Qui a haussé furieusement les épaules.
– Petite dinde, va !
Je l’ai ramenée à la fontaine.
– Là ! Et maintenant, tu rentres à Angoulême. Mais on se revoit le week-end prochain. Quelle chance tu as ! Tu vas pouvoir rêver là-dessus toute la semaine.

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