Je
l’ai d’abord observée de loin. Une petite brune à l’air
effacé. Qui faisait les cent pas devant la fontaine en regardant
fébrilement sa montre.
Je
l’ai fait attendre. Une bonne demi-heure. Et puis je me suis
approchée.
– C’est
toi, Camille ?
C’était
elle, oui.
– Alors,
viens !
Elle
m’a docilement suivie.
Je
l’ai entraînée jusqu’à Notre-Dame. Dont on a fait le tour.
Sans échanger le moindre mot. Je l’ai ramenée au point de départ.
Et j’ai recommencé. Quatre fois. Fontaine Saint-Michel ;
Notre-Dame. Notre-Dame ; Fontaine Saint-Michel. Toujours sans
lui adresser la parole. J’ai fini par m’asseoir à une terrasse
de café. Elle a hésité, tiré une chaise.
– Qu’est-ce
tu fais ?
– Ben…
– Quelqu’un
t’a dit de t’asseoir ?
– Non.
Elle
a précitamment remis la chaise en place.
– Tu
seras punie pour ça.
Quelque
chose de profondément intense a traversé son regard. Elle a baissé
la tête.
– Eh
ben, assieds-toi ! Tu vas pas rester plantée là…
Elle
l’a fait. Du bout des fesses.
– T’as
quel âge ?
– Dix-neuf
ans.
– Et
tu fais quoi ?
– Vendeuse.
– Dans
quoi ?
– Les
vêtements.
– C’est
tout le temps qu’il faut t’arracher les mots de la bouche comme
ça ?
– Vous
m’intimidez.
– Elle
est sévère avec toi, ta patronne ?
– Plutôt,
oui. Elle laisse rien passer. À personne.
– Elle
te donne des fessées?
– Oh,
non ! Non !
– Mais
t’en crèves d’envie.
Elle
a marqué un long temps d’arrêt.
– J’y
pense des fois. Je pense que je vis chez elle. Et que je fais tout ce
qu’elle veut. Absolument tout. Et quand elle est pas satisfaite de
moi, elle me punit. Ou même, parfois, elle me punit comme ça, pour
rien. Juste parce qu’elle a envie. Mais ça n’arrivera pas en
vrai.
– Pas
avec elle, mais qui sait ?
Elle
a soutenu mon regard.
Je
me suis levée. Elle aussi. On s’est remis en marche.
– Tiens,
tu le vois, le vieux monsieur, là, qu’arrive en face ? Eh
bien tu vas lui dire…
– Lui
dire quoi ?
– Que
je t’emmène prendre une fessée.
Elle
l’a fait. Elle l’a dit. À haute et intelligible voix.
– Monsieur !
Monsieur ! Je vais avoir une fessée. Elle va me la donner.
Il a
hoché la tête, souri.
– Grand
bien te fasse, ma chérie…
Et
puis la femme à l’air revêche. Qui a haussé furieusement les
épaules.
– Petite
dinde, va !
Je
l’ai ramenée à la fontaine.
– Là !
Et maintenant, tu rentres à Angoulême. Mais on se revoit le
week-end prochain. Quelle chance tu as ! Tu vas pouvoir rêver
là-dessus toute la semaine.
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