Il n’empêche que ça marchait. Ça marchait vraiment sa méthode
au type, sur Internet, pour gagner au Keno.
Océane
se voulait sceptique.
– Ouais !
Et le jour où tu voudras jouer pour de bon, tu te ramasseras en
beauté.
Non,
mais elle avait rien compris, là. Il était absolument hors de
question que j’aille miser, ne fût-ce qu’un seul centime, sur
quoi que ce soit. Je savais trop bien à quoi je m’exposais et je
n’avais pas la moindre envie d’aller tenter le diable.
Dans
ces conditions, effectivement…
Et
elle s’est penchée, avec moi, sur les savants calculs qui
permettaient à cet ingénieur de profession de faire de si
substantiels bénéfices.
– C’est
quand même impressionnant !
– Quand
je te le disais !
Elle
a fini par constituer tout un dossier.
– Regarde !
Non, mais regarde ! En jouant dix euros par jour, sur un mois,
c’est quatre-vingts euros qu’on se serait mis dans la poche. Et
sur trois mois quasiment quatre cents. Tu te rends compte ?
Bien
sûr que je me rendais compte. J’étais bien placée pour.
– Et
si ?
– Oh,
non, Océane, non. J’ai promis à Julien de jamais y retoucher.
Jamais.
– Il
le saura pas. Comment tu veux ? Suffit qu’on mette une petite
somme au départ. Disons cinquante euros chacune. Ça va pas chercher
bien loin. On risque pas grand-chose.
J’ai
résisté.
– Non,
Océane, non.
Plus
d’une semaine. Et puis…
Et
puis j’ai craqué. On a joué. Un mois durant. Un mois au terme
duquel on n’avait ni perdu ni gagné. Où on s’était contentées
de récupérer nos mises.
Océane
jubilait.
– Tu
vois ! Tu vois ! Il s’aperçoit de rien. Et ça se passe
pas si mal finalement. J’en étais sûre. Le mois prochain, on est
bénéficiaires. C’est comme si c’était fait.
Et
j’y ai repris goût. J’ai repris goût à cette impatience si
particulière, si jubilatoire de l’attente du résultat. À ces
poussées d’adrénaline quand il est là, à portée de main, qu’il
ne s’en faut plus que de quelques secondes pour qu’il soit
dévoilé, pour qu’on sache. À cette exaltation qui s’empare de
vous quand vous réalisez que oui, ça y est, vous avez gagné.
Alors…
Alors trois fois je suis passée devant. Trois fois. Et, la
quatrième, je suis entrée. En me traitant de folle. En me jurant
que c’était exceptionnel. Que ça le resterait. Et j’ai couru
tout droit, le cœur battant, à la table de roulette. J’y ai passé
deux heures. Deux heures de pur bonheur.
J’y
suis retournée le lendemain. Et le surlendemain. Et les deux jours
suivants.
Je
n’ai pas osé demander à Océane. Qui m’aurait soufflé dans les
bronches.
Et
j’ai sollicité Émilie.
– Tu
pourrais pas me prêter trois cents euros ? Juste pour quelques
jours. Je te les restituerai mardi. Sans faute.
Elle
n’a pas été dupe. Elle a refusé.
– Ce
serait te rendre le plus mauvais des services.
Je
n’ai pas pu non plus convaincre Bérengère.
– Désolée,
mais je suis vraiment ric-rac en ce moment.
J’allais
me tourner, en désespoir de cause, et avec un profond sentiment de
culpabilité, vers une société de crédit quand, le soir même…
– Dis-moi,
Lucile, tu faisais quoi au casino jeudi dernier ?
– Au
casino ? Jeudi ? Mais rien, Julien, rien, je t’assure…
– Quelqu’un
t’a vu pourtant.
– Quelqu’un ?
Qui, ça ?
– Ça
n’a pas d’importance qui.
J’ai
rendu les armes. En minimisant.
– C’était
juste une fois. Comme ça.
– Tu
sais ce qui t’attend.
Je
savais, oui.
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