Tableau de Thomas Eakins
À nous de voir.
Oui, ben c’était
tout vu, elle trouvait, elle, Alice.
– Parce
qu’avec un homme, ce serait quand même pas pareil. Vous voudriez
qu’il vous voie toutes nues, vous ? Mais je mourrais de honte,
moi ! Sans compter qu’avec eux, on sait jamais comment les
choses peuvent tourner. Ah, non ! Non ! Alors là, vous
faites ce que vous voulez, mais moi, pas question.
Pour Éléonore
aussi, c’était tout vu, mais dans l’autre sens. Parce qu’elle
avait pas du tout envie, mais alors là pas du tout, que tout le
monde soit au courant. Et surtout pas Louis, son amoureux.
– Il
comprendrait pas. Il me trouverait vicieuse. Et il voudrait plus de
moi.
Alors, à tout
prendre, elle préférait encore, et de loin, en passer par les
exigences de Lambert. Quoi qu’il doive lui en coûter.
– Parce qu’il
mettra ses menaces à exécution sinon, je le connais.
Elles se sont
tournées vers moi.
– Tu dis
rien, Anne ?
Moi ? Oh, moi !
Moi, ce que j’en pensais, c’est que, finalement, ça devait pas
être si mal que ça avec un homme. Et même sûrement mieux que
juste entre filles. Que ça valait le coup d’essayer en tout cas.
– T’es
folle ! Elle est complètement folle.
J’étais peut-être
folle, mais ça les arrangeait bien.
– Parce que
s’il en reparle…
– Et il en
reparlera sûrement.
– Le mieux
alors, ce serait que ce soit toi qui y ailles.
– Tu nous
dirais comme ça.
– Oui… Et
puis peut-être qu’une, ça lui suffirait finalement.
N’empêche qu’il
était bel homme, le valet de chambre d’oncle Charles. Je le
suivais discrètement des yeux tandis qu’il vaquait aux exigences
de son service. Très bel homme. Et il avait de ces mains !
Elles me faisaient craquer, ses mains. J’y pensais le soir, dans
mon lit. J’y pensais et je les imaginais s’abattant
voluptueusement sur mon fessier, y laissant des marques rougeoyantes
que je contemplais, les jours suivants, dans la psyché, avec
ravissement.
C’est arrivé un
mardi. On était toutes les trois dehors. Sous la tonnelle.
Il s’est approché.
– Alors ?
Ces demoiselles ont réfléchi ?
Elles avaient
réfléchi, oui.
– Et elles
sont arrivées à quelle conclusion ?
Que s’il n’y
avait pas d’autre solution…
Il n’y en avait
pas, non. Et mieux valait battre le fer tant qu’il était chaud. Et
donc. Donc…
– Par
laquelle de ces demoiselles on va commencer ?
Éléonore et Alice
se sont tournées vers moi. En même temps.
– Mademoiselle
Anne, on dirait. Eh bien, venez, mademoiselle Anne !
Je suis venue. Je me
suis levée et je l’ai bravement suivi. Même si je n’en menais
pas large. Parce que ça paraissait facile de loin. C’était
tentant. Séduisant. Très. Mais maintenant que j’étais au pied du
mur…
Il m’a emmenée
jusqu’au petit pavillon. Le domaine, depuis toujours, d’oncle
Charles. Il en avait la clef. On est entrés.
– Et
maintenant ?
Je n’ai pas
soutenu son regard. J’ai baissé les yeux.
– Hein ?
Et maintenant ?
Il a laissé le
silence s’éterniser entre nous. Et puis…
– Je n’aurai
pas la cruauté de vous imposer cette épreuve, mademoiselle Anne.
Allez, rejoignez vite vos cousines.
– Oh, non !
Un cri. Sorti tout
seul. Je suis devenue écarlate.
– Non ?
Il m’a soulevé le
menton, du bout du doigt.
– Déshabille-toi
alors !
Et je l’ai fait.
Et je me suis regardée me déshabiller dans ses yeux.
(à suivre)
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