lundi 27 mai 2019

La toilette de la comtesse


Frédéric Bazille. La toilette, 1870

On était en train de procéder, comme tous les matins, à la toilette de Madame la Comtesse, quand il y a eu tout un tumulte en bas. Des cris. Des cliquetis de ferraille.
On s’est interrompues.
– Poursuivez !
– Mais, Madame la comtesse, ce sont très certainement…
– Les troupes de Kadowski, oui. Et alors ? Est-ce une raison pour changer quoi que ce soit à nos habitudes ?
Natta s’est mise à trembler de tous ses membres.
– Qu’allons-nous devenir ? Nous sommes seules, sans défense. Tous les hommes sont partis combattre.
– Raison de plus pour montrer à l’ennemi qu’il ne nous effraie pas. C’est notre seule chance de salut.

Il y a eu des pas précipités dans l’escalier. Madame la comtesse a posément voilé sa nudité. La porte s’est violemment ouverte. Kadowski et quatre hommes en armes se sont avancés jusqu’au milieu de la pièce. Il a crié quelque chose, dans sa langue, et elle lui a répondu.
Les hommes ont fouillé partout. Ils ont ouvert les tiroirs, soulevé les tentures, vidé les coffres. Sans trouver ce qu’ils cherchaient. Ce qui a rendu Kadowski fou furieux. Il s’est mis à hurler. À vociférer. Madame la comtesse faisait non de la tête. Non. Non. Et encore non.
Il a hurlé un ordre et deux des soldats ont voulu s’emparer d’elle. Par le bras. Chacun d’un côté. Elle s’est dégagée, avec détermination. Elle s’est levée, a laissé tomber son voile et s’est avancé, nue, vers Kadowski qui a encore aboyé quelque chose.
Elle s’est agenouillée.
Les deux soldats ont détaché leurs ceinturons. Et ils ont frappé. Ensemble. À tour de bras. Ça s’inscrivait, chaque fois, en longues traînées pourpres, sur la peau de son dos et de ses fesses. Elle n’a pas crié. Elle n’a pas gémi.
Kadowski a fait signe d’arrêter. Lui a posé une question.
Encore non. Non. Et non.
Les coups ont repris de plus belle. Le sang a perlé.
Quand ils sont repartis, elle n’avait pas cédé.
Elle est retournée s’asseoir.
– Reprenons ma toilette. Ils ne reviendront pas.


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