Tableau de Victor-Gabriel Gilbert
Il
s’est écoulé une quinzaine de jours. Et puis, un matin, dans ma
boîte aux lettres, une enveloppe sans adresse, sans cachet de la
poste, sans le moindre signe distinctif. Juste mon nom. En gros
caractères bleus.
Monsieur,
Pardonnez
la liberté que je prends de vous écrire sans que vous m’y ayez
autorisée, mais, depuis ce bal de l’autre soir, je ne vis plus, je
ne dors plus, je ne mange plus. J’erre comme une âme en peine dans
un état de permanente anxiété.
Vous
m’avez en effet assuré, ce jour-là, que vous ne trahiriez pas mon
secret, à la condition, toutefois, qu’en contrepartie j’accepte
que vous me punissiez. Je m’attendais donc à ce que vous vous
manifestiez, d’une façon ou d’une autre, à un moment ou un
autre, pour exiger de moi que je remplisse ma part du contrat. Or,
rien. Le silence. Un insupportable silence. Sur la nature duquel je
ne cesse de m’interroger. Auriez-vous finalement changé d’avis ?
Renoncé ? Dois-je désormais redouter qu’on sache ?
D’être la risée de mes voisins, de tout l’immeuble ?
D’être traînée dans la boue par ma tante… Je ne le
supporterais pas. Alors je vous en conjure : faites-moi part de
vos intentions. L’incertitude dans laquelle vous me maintenez est
par trop insupportable. Faites-m’en part et sachez que, quoi qu’il
doive m’en coûter, je suis prête à me laisser châtier, si tel
doit être le prix de votre silence.
Ne
répondez pas à cette lettre, ne venez en aucun cas me trouver chez
moi, mais soyez, mardi après-midi, à quinze heures, à l’église
Saint-Paul.
Pour ma part, j'y serai.
Merci.
Claire.
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