samedi 18 mai 2019

Les fantasmes de Lucie (52)


Tableau de Gaston Latouche

Tout s’arrête. Toute la file. On s’interpelle d’un équipage à l’autre.
– Qu’est-ce qu’il se passe ?
Personne n’en sait rien.
Et puis un remous. Un frémissement. Ça se répand comme une traînée de poudre.
– C’est le carrosse de la reine.
– Qui s’est immobilisé au milieu du gué.
– On a ordre d’aller aider à le sortir de là.
Nous, les duchesses, comtesses et marquises de sa suite.
– Nous ? Mais pourquoi nous ? Ce n’est pas le rôle des valets, ça ?
Ma plus proche voisine hausse les épaules.
– Vous êtes toute nouvelle à la Cour, non ?
– Assurément.
Elle sourit.
– Vous apprendrez, avec le temps, à connaître Sa Majesté.
Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle veut dire ? Qu’y a-t-il à connaître ?
Elle ne répond pas. Elle se détourne.
Un laquais va et vient, hilare, de l’une à l’autre. Des unes aux autres.
– Dépêchons, Mesdames ! Dépêchons ! Sa Majesté attend.

On approche. On arrive.
La première femme de chambre fait les cent pas sur la berge.
– Il vous va falloir pousser.
Elle nous ordonne de nous dévêtir.
– Hors de question que vous salissiez vos jolies parures.
Il y a, ici ou là, quelques protestations. Qu’elle fait taire.
– C’est un ordre de la reine.
À mes côtés, Madame de Saint-Elme murmure.
– J’en étais sûre.
Et se déshabille. Les autres aussi. Je les imite.
On est nues. Entièrement nues. On descend dans le ruisseau. On s’arc-boute contre les roues.
Le cocher hurle.
– Mais poussez, bon sang ! Poussez ! Qu’est-ce que vous fabriquez ?
Par la portière de son carrosse, Sa Majesté nous regarde nous échiner en vain. Elle semble beaucoup s’amuser.
On pousse. On tire. On soulève. Longtemps.
Rien ne bouge.
Exténuée, essoufflée, je m’accorde quelques instants de répit.
– La reine vous appelle.
– Moi ?
– Vous, oui.
Je m’approche. Elle m’enferme dans son regard.
– Comment vous appelez-vous ?
– Eugénie de Maubuisson, Votre Majesté.
– Eh bien, Eugénie de Maubuisson, vous n’êtes guère courageuse.
– Que Votre Majesté me pardonne, mais…
– Nous allons faire en sorte de vous redonner du cœur à l’ouvrage.
Elle fait un signe.
Quelqu’un m’empoigne. Solidement. C’est l’un des valets. Qui me soulève dans les airs. Qui m’immobilise. Et qui me claque les fesses. À tour de bras. Je me débats. Je gigote. Je hurle. Rien n’y fait. Autour, on s’est arrêté. On regarde. On sourit.
Sa Majesté, elle, rit. Franchement. De bon cœur.
C’est humide entre mes cuisses.

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