– On sera tranquilles, là…
Près
d’une fenêtre. Un peu à l’écart.
Le
garçon est venu prendre la commande. Charcuterie en entrée. Pour
toutes les deux. Selle d’agneau pour elle. Et sole meunière pour
moi.
– Et
comme boisson ?
– Vous
voulez du vin ?
Je
n’y tenais pas spécialement, non.
– Alors
de l’eau, s’il vous plaît.
Elle
l’a laissé s’éloigner.
– Non,
parce que je me connais. Si j’y mets le nez, j’aurai plus de
limites. Après, ce sera un whisky. Un deuxième. Et une fois que je
serai lancée… il y a plein de bars entre ici et chez moi. Je vais
rentrer complètement torchée. Et ça, ce serait la fessée assurée.
Là-dessus il est intransigeant, Valentin. Et il a bien raison. Parce
que fallait voir comment je me mettais minable avant. Et pas
seulement avec l’alcool. Avec plein d’autres trucs. Plus ou moins
légaux. On me ramassait dans de ces états des fois… Je me
détruisais. C’est pour ça : il m’a vite mis les points sur
les i. Ça pouvait pas durer. Il le supporterait pas. Il me
plaquerait si je continuais. Il l’a fait d’ailleurs. Un mois.
Plus d’un mois. Je l’ai supplié de me reprendre. Je pouvais pas
vivre sans lui. Et c’est là qu’on a trouvé cette solution.
Ensemble. La fessée. Et ça marche. Enfin, pas complètement. Pas
toujours. Il y a encore des rechutes des fois, il y a le petit démon
qui se réveille, plus souvent qu’à son tour. La preuve : ce
matin ! Mais par rapport à ce que c’était avant ! Et
c’est de mieux en mieux. Alors peut-être bien qu’un jour, à
force, j’arriverai à complètement m’en sortir.
– C’est
tout le mal que je vous souhaite…
– Et
vous savez pourquoi je pense que j’y arriverai, au bout du compte,
à m’en débarrasser de cette sale habitude qui me pourrit la vie ?
Parce que j’ai horreur de ça, la fessée. Mais vraiment horreur.
Ça fait un mal de chien, je trouve. Alors la perspective d’en
recevoir une, ça me calme. C’est radical. Surtout que Valentin, il
y va pas de main morte. Quand il tape, il tape. Et vous pouvez
toujours essayer de l’amadouer. Il y a rien à faire. D’ailleurs,
à ce propos, un jour… Mais je parle, je parle. Je vous en laisse
pas placer une.
– Mon
tour viendra.
– En
attendant, il y a tout un tas de filles qu’adorent ça, à ce qu’il
paraît, la fessée. Je vois pas trop l’intérêt. Enfin, si !
Pour se faire plaisir. Mais côté efficacité, c’est sûrement pas
le top. Moi, je sais que, si j’aimais ça, je picolerais trois fois
plus pour en recevoir. Forcément. Résultat des courses : je
continuerais à me bousiller la santé. Et il y a belle lurette que
Valentin m’aurait larguée. Je serais perdante sur toute la ligne.
Alors !
Son
regard s’est longuement perdu par la fenêtre. Est revenu à moi.
– Vous
aimez ça, vous, qu’on vous la donne ?
– Oh,
que non ! J’ai horreur d’avoir mal. Tout comme toi. Et plus
encore que d’avoir mal, j’ai horreur d’avoir honte. Et, de ce
côté-là, comment il s’y entend pour trouver les mots, Julien.
Elle me brûle pendant des jours et des jours, la honte, avec lui.
Honte de ce que j’ai fait. Honte d’avoir trahi sa confiance.
Honte de m’être mise dans la situation de recevoir la fessée, ou
le martinet, ça dépend, comme une gamine de huit ans. Et je me jure
bien de ne jamais recommencer. Jamais. C’était la dernière fois.
Jusqu’au jour, qui arrive forcément, où je remets ça. C’est
plus fort que moi.
– Je
connais ça. Mais c’est quoi, si c’est pas indiscret, ce que vous
recommencez ?
– Je
joue. Au casino. Aux courses. En ligne. À tout et à n’importe
quoi. Quand ça m’attrape, il y a plus rien d’autre qui compte.
Je deviens folle. Et je nous mets financièrement en danger. Parce
que je gagne, oui. Mais je perds bien plus souvent encore. Et
beaucoup plus. Il y a six mois, j’ai emprunté vingt mille euros à
une société de crédit. Pour assouvir ma passion. On en a pour des
années à rembourser. Alors vous pensez bien qu’il y a eu
explication. Et qu’il m’a mis le marché en mains. Ou j’arrêtais
ou on en restait là tous les deux. Arrêter ? Complètement ?
Définitivement ? Je m’en savais totalement incapable. Et
c’est moi qui lui ai suggéré que peut-être la fessée… Je la
redoutais tellement qu’elle pourrait bien, au bout du compte,
s’avérer efficace. Elle l’est. Oh, pas complètement. Je joue
encore. Ça m’attrape. Mais moins souvent. Beaucoup moins souvent.
Et, surtout, des sommes beaucoup moins importantes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire