jeudi 9 mai 2019

Fessées punitives (2)


– On sera tranquilles, là…
Près d’une fenêtre. Un peu à l’écart.
Le garçon est venu prendre la commande. Charcuterie en entrée. Pour toutes les deux. Selle d’agneau pour elle. Et sole meunière pour moi.
– Et comme boisson ?
– Vous voulez du vin ?
Je n’y tenais pas spécialement, non.
– Alors de l’eau, s’il vous plaît.
Elle l’a laissé s’éloigner.
– Non, parce que je me connais. Si j’y mets le nez, j’aurai plus de limites. Après, ce sera un whisky. Un deuxième. Et une fois que je serai lancée… il y a plein de bars entre ici et chez moi. Je vais rentrer complètement torchée. Et ça, ce serait la fessée assurée. Là-dessus il est intransigeant, Valentin. Et il a bien raison. Parce que fallait voir comment je me mettais minable avant. Et pas seulement avec l’alcool. Avec plein d’autres trucs. Plus ou moins légaux. On me ramassait dans de ces états des fois… Je me détruisais. C’est pour ça : il m’a vite mis les points sur les i. Ça pouvait pas durer. Il le supporterait pas. Il me plaquerait si je continuais. Il l’a fait d’ailleurs. Un mois. Plus d’un mois. Je l’ai supplié de me reprendre. Je pouvais pas vivre sans lui. Et c’est là qu’on a trouvé cette solution. Ensemble. La fessée. Et ça marche. Enfin, pas complètement. Pas toujours. Il y a encore des rechutes des fois, il y a le petit démon qui se réveille, plus souvent qu’à son tour. La preuve : ce matin ! Mais par rapport à ce que c’était avant ! Et c’est de mieux en mieux. Alors peut-être bien qu’un jour, à force, j’arriverai à complètement m’en sortir.
– C’est tout le mal que je vous souhaite…
– Et vous savez pourquoi je pense que j’y arriverai, au bout du compte, à m’en débarrasser de cette sale habitude qui me pourrit la vie ? Parce que j’ai horreur de ça, la fessée. Mais vraiment horreur. Ça fait un mal de chien, je trouve. Alors la perspective d’en recevoir une, ça me calme. C’est radical. Surtout que Valentin, il y va pas de main morte. Quand il tape, il tape. Et vous pouvez toujours essayer de l’amadouer. Il y a rien à faire. D’ailleurs, à ce propos, un jour… Mais je parle, je parle. Je vous en laisse pas placer une.
– Mon tour viendra.
– En attendant, il y a tout un tas de filles qu’adorent ça, à ce qu’il paraît, la fessée. Je vois pas trop l’intérêt. Enfin, si ! Pour se faire plaisir. Mais côté efficacité, c’est sûrement pas le top. Moi, je sais que, si j’aimais ça, je picolerais trois fois plus pour en recevoir. Forcément. Résultat des courses : je continuerais à me bousiller la santé. Et il y a belle lurette que Valentin m’aurait larguée. Je serais perdante sur toute la ligne. Alors !
Son regard s’est longuement perdu par la fenêtre. Est revenu à moi.
– Vous aimez ça, vous, qu’on vous la donne ?
– Oh, que non ! J’ai horreur d’avoir mal. Tout comme toi. Et plus encore que d’avoir mal, j’ai horreur d’avoir honte. Et, de ce côté-là, comment il s’y entend pour trouver les mots, Julien. Elle me brûle pendant des jours et des jours, la honte, avec lui. Honte de ce que j’ai fait. Honte d’avoir trahi sa confiance. Honte de m’être mise dans la situation de recevoir la fessée, ou le martinet, ça dépend, comme une gamine de huit ans. Et je me jure bien de ne jamais recommencer. Jamais. C’était la dernière fois. Jusqu’au jour, qui arrive forcément, où je remets ça. C’est plus fort que moi.
– Je connais ça. Mais c’est quoi, si c’est pas indiscret, ce que vous recommencez ?
– Je joue. Au casino. Aux courses. En ligne. À tout et à n’importe quoi. Quand ça m’attrape, il y a plus rien d’autre qui compte. Je deviens folle. Et je nous mets financièrement en danger. Parce que je gagne, oui. Mais je perds bien plus souvent encore. Et beaucoup plus. Il y a six mois, j’ai emprunté vingt mille euros à une société de crédit. Pour assouvir ma passion. On en a pour des années à rembourser. Alors vous pensez bien qu’il y a eu explication. Et qu’il m’a mis le marché en mains. Ou j’arrêtais ou on en restait là tous les deux. Arrêter ? Complètement ? Définitivement ? Je m’en savais totalement incapable. Et c’est moi qui lui ai suggéré que peut-être la fessée… Je la redoutais tellement qu’elle pourrait bien, au bout du compte, s’avérer efficace. Elle l’est. Oh, pas complètement. Je joue encore. Ça m’attrape. Mais moins souvent. Beaucoup moins souvent. Et, surtout, des sommes beaucoup moins importantes.

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