lundi 24 décembre 2018

Le fantasme de Bastien


Dessin de Carman

– Si je puis me permettre, j’aurais une requête à adresser à Madame…
– Je vous écoute, Léonie.
– C’est un peu difficile. Très, même. C’est au sujet de Bastien, mon amoureux.
– Si vous escomptez que nous le prenions à notre service…
– Oh, non, Madame, non ! La place qu’il occupe chez monsieur le baron Rheims lui convient tout à fait. Il n’envisage pas le moins du monde d’en changer.
– Vous m’intriguez. De quoi s’agit-il donc ?
– C’est que… je lui ai menti. Je lui ai dit que Madame me… me corrigeait.
– En voilà une idée !
– Qui le rend très amoureux, si vous saviez !
– Ne s’étonne-t-il donc point de ne jamais voir la moindre trace de coups sur votre postérieur ?
– Il en voit, Madame, il en voit. Parce que, pour l’amour de lui, je m’en administre moi-même. En cachette.
– Et en lui faisant croire qu’ils sont de mon fait. Ben, c’est du joli !
– Je suis désolée.
– Ah, vous pouvez. Et donc, si je vous comprends bien, ce que vous attendez maintenant de moi, c’est que je vous fouette réellement. Et que ce soit devant lui…
– Voilà, oui ! Si vous saviez comme il y tient, le pauvre. C’est sans arrêt qu’il m’implore, qu’il me supplie.
– Eh bien, soit !
– Oh, merci, Madame, merci !
– Et le plus tôt sera le mieux. Alors ce tantôt…
– Je suis à la disposition de Madame.

* *
*

– Que faites-vous donc là, Bastien, dissimulé derrière cette fenêtre ?
– Rien, Madame, rien.
– À qui voulez-vous faire croire ça ? Mais entrez donc, ne restez pas sous la pluie, vous allez prendre froid. Entrez et dites-moi… Vous venez souvent faire ainsi le guet dans mes plates-bandes ?
– Je jure à Madame que…
– Ne vous parjurez pas ! Avouez plutôt. Et ce, dans votre intérêt.
– Quelquefois. Rarement.
– Vous mentez. Vous êtes là tous les jours. Ou quasiment. En espérant me voir enfin orner le postérieur de votre belle de traînées rougeoyantes du plus bel effet. En vain. Parce que je ne l’ai, jusqu’à présent, jamais corrigée. Elle vous a menti, Bastien. Elle vous a menti de façon éhontée. Ce qui, vous en conviendrez, ne saurait demeurer impuni.
– C’est comme Madame voudra.
– Fort bien. Alors, troussez-vous, Léonie ! Mieux que ça ! Plus haut ! Et plus bas ! Découvrez-nous tout à fait votre petit derrière. Et excusez-vous !
– Je demande pardon à Madame…
– De quoi donc ?
– D’avoir laissé croire à Bastien que Madame me battait.
– Vous devriez avoir honte.
– J’ai honte. Oh, mais que Madame me fait mal !
– C’est le but.
– Vraiment très mal.
– Vous devriez en être ravie. Votre ami est manifestement aux anges.
– Oh, Madame ! Oh, Madame !
– Vous savez que vous avez une très jolie voix ? Il serait criminel de ne pas lui faire donner sa pleine mesure. Nous allons nous y employer.

* *
*

– Bastien était satisfait ?
– Très, Madame, très.
– Et vous aussi, à ce qu’il semble. Vous avez miaulé toute la nuit. Au point d’empêcher toute la maison de dormir.
– Que Madame me pardonne !
– Il y a tout de même des limites à ne pas dépasser, Léonie.
– Je suis désolée.
– Vous pouvez. C’est la moindre des choses. Mais c’est loin d’être suffisant. Et une petite correction, par dessus celle qui vous a été administrée hier, me semble à l’évidence s’imposer. Non, vous ne croyez pas ?
– J’en passerai par où Madame voudra.
– Fort bien. Eh bien, allez, alors, déculottez-vous !

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