Dessin
de Georges Topfer
– Il
est passé où, le pognon ?
– Quel
pognon ?
– Celui
qu’on mettait de côté, derrière la bouteille de gaz, pour
déménager d’ici.
– J’en
sais rien, moi ! Peut-être qu’on a été cambriolées.
– Ben,
voyons ! Des voleurs qui n’ont touché à rien sauf à la
boîte planquée derrière la bouteille de gaz. Où ils sont allés
tout droit. Prends-moi bien pour une dinde ! Qu’est-ce t’as
fait de cet argent, Clarissa ? Qu’est-ce t’en as fait ?
– J’ai
voulu…
– T’as
voulu quoi ?
– Qu’on
en ait davantage.
– C’est-à-dire ?
– Que
j’ai tout misé sur un cheval qui devait gagner.
– Et
qu’a perdu. Mais qu’est-ce t’as dans la tête ? Qu’est-ce
t’as dans la tête ?
– Je
le remettrai. Je remettrai tout.
– Avec
ce que tu gagnes ? Tu vas faire comment ?
– Je
me débrouillerai.
– C’est-à-dire
que tu vas encore nous inventer un plan bien foireux. Bon, mais tu
sais pas le mieux ? C’est que maintenant, chacune sa route de
son côté. Et bon vent ! Parce que j’en ai soupé de toi.
J’en ai vraiment soupé.
– Tu
peux pas faire ça ! Qu’est-ce que je vais devenir, moi ?
– Il
fallait y réfléchir avant.
– Je
t’en supplie, Claire. Je t’en supplie. Je ferai ce que tu
voudras. Tout ce que tu voudras. Tiens, punis-moi, si tu veux !
Je l’ai mérité.
– Ah,
ça, pour le mériter, tu l’as mérité. Une bonne fessée, il te
faudrait, tiens ! Quand on se conduit comme une gamine…
– Eh
bien, donne-la moi si t’as envie, si ça te fait plaisir…
– C’est
pas que ça me fasse plaisir, non, mais ça te remettrait un peu les
idées en place.
– Alors
vas-y ! Vas-y ! Tiens, comme ça faut que je me mette ?
Sur tes genoux ? Et que je relève tout ? Eh bien, voilà !
Tape ! Tape !
– Et
je vais pas m’en priver ! Non, mais tu te rends compte de ce
que tu as fait ? Tu te rends compte ?
– Oui.
Je te demande pardon.
– De
l’argent qu’on avait économisé sou à sou, pièce par pièce.
On s’est privées pour ça, et toi…
– Je
suis désolée.
– Ah,
tu peux !
– Tu
me fais mal…
– Tant
mieux ! Ça te fera passer l’envie de recommencer. Sans
compter tout le reste. Ta licence d’Espagnol que tu devais
soi-disant passer pour te préparer un avenir différent. Parlons-en
de ta licence d’Espagnol. Tu perds tes soirées et tes week-ends à
glander sur le canapé.
– Tu
me fais mal, je t’assure…
– J’arrête
si tu veux. Il y a pas de problème. Mais alors tu fais tes valises
et tu dégages…
– Oh,
non, Claire, non !
– Dans
ces conditions… Je peux te dire que tu vas l’avoir rouge et que
tu pourras pas t’asseoir d’un moment. C’est comme tes
fréquentations… Je suis bien tranquille que cette idée lumineuse
d’aller jouer tout ce qu’on possède aux courses, tu l’as pas
eue toute seule. Que c’est l’un de ces petits minables avec
lesquels tu n’arrêtes pas de traîner qui te l’a soufflée.
C’est pas vrai peut-être ?
– Si !
Enfin, non. C’est pas vraiment ça. C’est plus compliqué.
– Ils
te font faire tout ce qu’ils veulent. Tu crois que je le vois pas ?
Avec eux tu vas tout droit à la catastrophe. Dans tous les domaines.
Et le pire, c’est que tu ne t’en rends même pas compte.
– Pas
si fort, Claire ! S’il te plaît, pas si fort.
– Si
tu récrimines encore une fois, je prolonge de dix minutes.
– Oh,
non !
– Alors
ferme-la ! C’est comme… qu’est-ce qu’on avait décidé,
quand on est arrivées ici, pour les tâches ménagères ?
– Qu’on
partagerait.
– Et
qu’est-ce qui se passe en réalité ?
– Oui,
mais je les ferai. Maintenant je les ferai. Je te promets.
– T’as
tout intérêt… Bon, mais ça suffira pour aujourd’hui.
– Hou,
la vache ! Comment t’as tapé fort…
– Et
si tu mets pas de l’eau dans ton vin, j’hésiterai pas à
recommencer. Autant de fois qu’il faudra. C’est à prendre ou à
laisser.
– T’auras
pas l’occasion. Je te promets. T’auras plus l’occasion.
– Je
te le souhaite. Parce que là, c’était qu’un échantillon.
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