samedi 27 octobre 2018

Les fantasmes de Lucie (23)


Les Morillon – Virginie et Julien – avaient absolument tenu à ce que, cette année, il y ait une fête des voisins.
– Non, parce qu’on se croise. Bonjour-bonsoir. Comme ça. Sans plus. Ce sera l’occasion de faire plus ample connaissance.

Et on s’est retrouvés à une dizaine chez eux, dans leur jardin, autour du sempiternel barbecue d’été chipolatas-merguez-chips-rosé. Quatre couples : outre les Morillon, les Arthaud, qui habitent la maison juste derrière la mienne. On échange parfois quelques mots quand on s’aperçoit. Les Dumontel, eux, occupent un coquet petit pavillon vert presque en haut de la rue. Je ne les connaissais, jusque là, que de vue. Quant aux Martier, ils sont d’installation récente, dans la petite impasse à gauche. J’ignorais jusqu’à leur existence. Quatre couples donc. Et deux célibataires : mon fameux voisin et moi. Lui, il était manifestement bien décidé – ça se voyait comme le nez au milieu de la figure – à profiter de la situation pour me prendre enfin dans ses filets. Il sortait le grand jeu. Il ne me lâchait pas d’une semelle. Il remplissait tant et plus mon verre. Il se voulait drôle. Il l’était, mais pas comme il pensait l’être. Ce qui m’amusait, c’était de le voir se démener en tous sens pour me conquérir alors qu’il n’avait pas la moindre chance de parvenir à ses fins. Il a certes sa place dans mes fantasmes. Et une place de choix. Mais pas question que ça aille plus loin. Comme je l’ai déjà dit, je ne veux pas avoir de comptes à rendre, de quelque façon que ce soit, à quelqu’un qui habite à côté de chez moi. Ce serait, très vite, parfaitement invivable.
Je ne laissais pas non plus, je le voyais bien, les autres indifférents. Une femme jeune, seule, pas trop mal foutue, souriante, ça crée forcément des remous chez la plupart des mâles. Sauf que ceux-là, avec leur légitime par les pieds, ils n’avaient pas vraiment les coudées franches. Ils en étaient donc réduits à s’aventurer à regards mouchetés. Dans le registre : « Tu me plais bien. Tu me plais vraiment beaucoup. Seulement, là, pour le moment, c’est pas possible, tu vois bien que c’est pas possible. Mais si jamais un jour… » Un jour. Tout, dans leur comportement, proclamait, même si c’était aussi discrètement que possible, que je ne perdais rien pour attendre. Qu’ils sauraient saisir la moindre opportunité, voire même la susciter.

Il s’était apporté beaucoup de vin. Il faisait chaud. Il s’en est bu. De la bière aussi. Énormément. Trop. Ça s’est lâché. De plus en plus au fil des heures. Les propos se sont faits égrillards, voire carrément obscènes. Félicien Dumontel et Xavier Martier, complètement désinhibés, se sont montrés pressants à mon égard – de plus en plus pressants – malgré les regards courroucés que leur lançaient leurs épouses respectives. Et les efforts obstinés que je faisais pour les décourager. Poliment, mais fermement.
Sue le coup de onze heures, Laura Martier s’est brusquement levée, furibonde.
– Je rentre…
– Attends, Poupoule, il y a pas le feu. On est bien ici. On n’est pas bien ?
– Je te dis que je rentre. J’en ai assez vu – et entendu – comme ça.
Et elle a filé vers le portail.
– Oh, mais c’est pas vrai ! Qu’est-ce qu’elle peut être chiante quand elle s’y met…
Et il a navigué à sa suite en titubant.
Rachel Dumontel s’est à son tour levée.
– Nous aussi, on va y aller. Il est tard. Et puis ça vaudra mieux. Pour tout le monde.
Les Arthaud leur ont emboîté le pas. Mon voisin aussi.
Les Morillon se sont regardés, consternés.
– Je suis désolée.
– Désolée de quoi ? Vous n’y êtes pour rien. Quand on tient pas l’alcool, on s’abstient de boire.
Et je suis, à mon tour, rentrée chez moi.

Chez moi. Où, allongée sur mon lit, je revois la scène. Je la revis. Et je la prolonge.
– Je suis désolée.
– Ah, vous pouvez ! C’est de votre faute, tout ça…
– De ma faute !
– De votre faute, oui ! Si vous étiez comme tout le monde, si vous étiez en couple, ils seraient pas allés se mettre tout un tas d’idées en tête.
– Non, mais alors là, c’est la meilleure !
Et elle, Virginie, qui en rajoute une couche.
– Ça vous plaisait bien, avouez, de les avoir tous là, à baver devant vous. Votre plus proche voisin. Les deux autres…
– Mais jamais de la vie, enfin !
– Oh, si, si ! Ça se voyait. Et pas qu’un peu !
– Je vous jure que…
– Que rien du tout… C’est quand même fou ce besoin de nier en permanence l’évidence. Rien que pour ça, vous mériteriez d’être punie. Vous allez l’être d’ailleurs…
Et ils m’entraînent, tous les deux, dans leur chambre. Ils me poussent sur leur lit. Des mains me déshabillent, me mettent à nu.
Je proteste, pour la forme.
– Non, mais ça va pas !
Me tombent simultanément sur le derrière. En haut. En bas. À droite. À gauche. On dirait qu’elles sont mille. Dix mille. Ça s’abat tant et plus. Ça pique. Ça brûle. Mais c’est bon. C’est si bon. C’est trop bon. Je… Non, c’est pas vrai ! Je vais pas jouir ! Pas devant eux ! Si ! Ça vient. Si ! C’est là. Je peux pas empêcher. Je peux pas retenir. Ça éclate en incontrôlables soubresauts. En gémissements éperdus.
– Non, mais alors là, cette fois, on aura tout vu ! On va t’en faire passer l’envie, nous, tu vas voir !
Et ça reprend de plus belle.

4 commentaires:

  1. bonjour,
    ah bon une nana seule et pas mal foutue ça crée des remous chez les mâles ?... et même quand ils ont une légitime ? à croire que les mâles ne pensent qu'à ça alors..^^

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    1. Mais pas du tout! Pas du tout! Ils ne pensent qu'au football et à la cylindrée de la prochaine voiture qu'ils vont acheter. ;)

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  2. Je trouve ce voisinage un peu trop vieille France... Est-ce qu’on ne trouve pas des Martinez, des Hašek ou des Diallo aux quartiers résidentiels? xD
    Pour le reste, je trouve que Lucie est bien avisée de ne pas vouloir se mêler avec son voisin célibataire... c’est beaucoup mieux avec les mariés.

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    1. Lucie ne choisit pas ses voisins ;) Par contre, elle profite de tous les événements de sa vie quotidienne pour nourrir ses fantasmes.

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