samedi 24 août 2019

Les fantasmes de Lucie (66)



Cordelia a dégoté je ne sais trop où une gravure de l’année 1680 qui représente une boutiquière derrière son étal de godes.
– Et, apparemment, elle vend que ça. Du coup, doit falloir qu’elle en débite un bon paquet pour s’en sortir !
– Sans doute que oui. Parce qu’il y a pas mal de clientes, on dirait.
– Forcément ! Le matériel est de qualité. Bien ressemblant, bien tendu et bien ferme. Pour autant qu’on puisse en juger. Si elles parviennent pas à leurs fins avec ça, à moi la peur !
Et c’était ce qui pouvait leur arriver de mieux. Parce qu’elles avaient pas l’air franchement épanoui.
– Tu parles ! Avec les maris qu’elles ont !
Je suis entrée dans le jeu.
– Comment ça ?
– Ben, la première, c’est une gourmande, ça se voit tout de suite. C’est pas qu’il y mette de la mauvaise volonté, le mari, non, mais il arrive un moment où il rend les armes. À l’impossible, nul n’est tenu. Et c’est précisément, comme par hasard, à ce moment-là que, chez elle, l’excitation atteint son paroxysme.
– La pauvre !
– Tu l’as dit ! Et le temps qu’il recharge les accus… Surtout qu’il n’est plus de toute première jeunesse.
– Elle pourrait prendre un amant.
– Elle y a bien pensé. Seulement, un amant, c’est des complications à n’en plus finir. Il faut se cacher, courir le risque d’être découverte. Et puis, c’est pas forcément disponible chaque fois qu’il le faudrait, un amant. Tandis qu’un gentil compagnon comme celui-ci, c’est toujours là, toujours prêt à rendre service. Non, pour elle, c’est vraiment la solution de sagesse.
– Et la deuxième ? Celle juste derrière ?
– Oh, alors celle-là ! C’est pas qu’elle ait de gros besoins, mais elle en a quand même. Comme tout le monde. Seulement son mari, lui, il a la tête ailleurs. Maintenant qu’il lui a fait quatre gosses, il estime que le contrat est rempli, qu’il peut se tourner vers autre chose. Et autre chose, c’est la taverne où il passe le plus clair de son temps. Quand il rentre enfin à la maison, il tombe comme une masse. Tant et si bien que ça fait pas loin de six mois qu’il l’a pas touchée, sa femme. Au début, elle faisait contre mauvaise fortune bon cœur. Et puis elle a fini par se confier à une voisine. Qui lui a donné de judicieux conseils, montré sa collection personnelle, accepté de lui en prêter un. Dont elle est tombée quasiment amoureuse. Elle est devenue une inconditionnelle de la chose. Il lui en a fallu d’autres. Beaucoup d’autres. Et elle est maintenant l’une des clientes les plus assidues de cette petite échoppe.
– Et la troisième ? Non, attends ! À mon tour de raconter. La troisième, elle est cocue jusqu’aux yeux. Du plus loin que son mari aperçoit un jupon, il faut qu’il se mette en chasse. Il peut pas s’empêcher. Et tant qu’il est pas arrivé à ses fins, il lâche pas l’affaire. Seulement, il peut pas se démultiplier comme ça un peu partout et se trouver, de surcroît, en forme pour contenter sa femme. Qui, du coup, a décidé de s’occuper d’elle toute seule. Au vu et au su de son mari. Puisqu’il se cache pas, lui ! Il y a pas de raison !
– Ben, tiens ! Sans compter que ça peut le remettre en forme, va savoir !
– On a de l’imagination quand même !
– Et on est peut-être pas si loin que ça de la réalité finalement ! Bon, mais tu sais ce qu’on pourrait, là, maintenant ? C’est aller dans un sex-shop. Jeter un coup d’œil sur les godes.
– Et y aller de nos petits commentaires ? Ça marche. Go !

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