Auguste Renoir : Le bal du moulin de la galette.
Les
festivités se sont poursuivies tout au long de la journée, dans la
liesse générale, ponctuées, le soir, par un grand bal populaire
donné sur la place de la Victoire, tout en haut de l’avenue.
C’est
là que j’ai fini, après l’avoir longtemps cherchée, par
découvrir, mon inconnue du matin. Assise, seule, sur un banc, elle
regardait les danseurs tournoyer.
Je
me suis approché.
– Décidément,
nos routes n’arrêtent pas de se croiser aujourd’hui…
Elle
m’a jeté un rapide coup d’œil.
– Vous
faites erreur. Je ne vous connais pas.
Et
elle a détourné la tête.
J’ai
insisté.
– Mais
si ! Rappelez-vous ! Le défilé militaire. On l’a
regardé ensemble.
– Certainement
pas, non. Je n’y suis pas allée.
– Non,
mais vous l’avez suivi depuis votre fenêtre. Et moi, depuis la
mienne.
Elle
m’a jeté un bref regard terrifié, s’est très vite reprise.
– Je
ne vois absolument pas de quoi vous voulez parler.
Je
n’ai tenu aucun compte de l’interruption.
– Pour
ma part, j’avoue ne pas en avoir vu grand-chose. J’étais
beaucoup plus fasciné par le spectacle que vous m’offriez. Vous
étiez absolument ravissante dans ces plis de rideau qui, il faut
bien l’avouer, ne vous dissimulaient guère. Vous dissimulaient de
moins en moins.
– Vous
vous trompez, Monsieur ! Ce n’était pas moi.
– Oh,
mais n’ayez crainte ! Je saurai tenir ma langue. Parce que
s’il allait se dire, dans tout votre immeuble, que la jeune femme
du cinquième, côté boulevard…
Elle
s’est faite brusquement suppliante.
– Taisez-vous,
je vous en conjure ! Taisez-vous ! Voici ma tante qui
revient.
Je
me suis incliné.
– Madame…
– Monsieur…
– J’étais
en train de prier Mademoiselle votre nièce de bien vouloir
m’accorder la faveur d’une danse. Ce à quoi elle se refusait
tant qu’elle n’aurait pas obtenu votre autorisation.
– Faites,
Monsieur, faites ! Je vous en prie…
On a
dansé quelques instants. En silence.
Et
puis timidement, du bout des lèvres, sans oser me regarder vraiment.
– Vous
ne direz rien, hein… Vous me promettez ?
– Vous
avez ma parole. Vous seriez perdue de réputation. Surtout s’il se
savait, de surcroît, qu’une grande demoiselle de votre âge reçoit
encore la fessée.
Elle
est devenue écarlate, a fui mon regard.
– Qui
vous l’a donnée ?
Elle
n’a pas répondu.
– Une
fessée méritée en tout cas, j’imagine !
Elle
n’a pas protesté.
J’ai
enfoncé le clou.
– Reconnaissez,
en toute honnêteté, que vous en mériteriez une autre. Parce que
vous exposer ainsi, à la fenêtre, dans le plus simple appareil…
Vous vous êtes montrée fort imprudente.
– Je
ne pensais pas… Je ne croyais pas…
J’ai
esquissé une petite moue dubitative.
– Quant
au plaisir que vous preniez, à l’évidence, à laisser goulûment
traîner vos regards sur tous ces soldats sanglés dans leurs beaux
uniformes…
– Mais
non, mais…
– Mais
si ! Vous avez largement mérité d’être punie, convenez-en !
– Oui.
D’une
toute petite voix.
– Ah,
vous voyez ! Et vous le serez. Je puis vous assurer que vous le
serez. Et de cette main…
Que
je lui ai brandie sous le nez.
Elle
a baissé la tête.
Je
l’ai ramenée à sa tante.
Je
les ai saluées.
– Madame !
Mademoiselle !
Et
je me suis éloigné.
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