lundi 29 avril 2019

Défilé militaire (2)



Auguste Renoir : Le bal du moulin de la galette.

Les festivités se sont poursuivies tout au long de la journée, dans la liesse générale, ponctuées, le soir, par un grand bal populaire donné sur la place de la Victoire, tout en haut de l’avenue.
C’est là que j’ai fini, après l’avoir longtemps cherchée, par découvrir, mon inconnue du matin. Assise, seule, sur un banc, elle regardait les danseurs tournoyer.
Je me suis approché.
– Décidément, nos routes n’arrêtent pas de se croiser aujourd’hui…
Elle m’a jeté un rapide coup d’œil.
– Vous faites erreur. Je ne vous connais pas.
Et elle a détourné la tête.
J’ai insisté.
– Mais si ! Rappelez-vous ! Le défilé militaire. On l’a regardé ensemble.
– Certainement pas, non. Je n’y suis pas allée.
– Non, mais vous l’avez suivi depuis votre fenêtre. Et moi, depuis la mienne.
Elle m’a jeté un bref regard terrifié, s’est très vite reprise.
– Je ne vois absolument pas de quoi vous voulez parler.
Je n’ai tenu aucun compte de l’interruption.
– Pour ma part, j’avoue ne pas en avoir vu grand-chose. J’étais beaucoup plus fasciné par le spectacle que vous m’offriez. Vous étiez absolument ravissante dans ces plis de rideau qui, il faut bien l’avouer, ne vous dissimulaient guère. Vous dissimulaient de moins en moins.
– Vous vous trompez, Monsieur ! Ce n’était pas moi.
– Oh, mais n’ayez crainte ! Je saurai tenir ma langue. Parce que s’il allait se dire, dans tout votre immeuble, que la jeune femme du cinquième, côté boulevard…
Elle s’est faite brusquement suppliante.
– Taisez-vous, je vous en conjure ! Taisez-vous ! Voici ma tante qui revient.
Je me suis incliné.
– Madame…
– Monsieur…
– J’étais en train de prier Mademoiselle votre nièce de bien vouloir m’accorder la faveur d’une danse. Ce à quoi elle se refusait tant qu’elle n’aurait pas obtenu votre autorisation.
– Faites, Monsieur, faites ! Je vous en prie…

On a dansé quelques instants. En silence.
Et puis timidement, du bout des lèvres, sans oser me regarder vraiment.
– Vous ne direz rien, hein… Vous me promettez ?
– Vous avez ma parole. Vous seriez perdue de réputation. Surtout s’il se savait, de surcroît, qu’une grande demoiselle de votre âge reçoit encore la fessée.
Elle est devenue écarlate, a fui mon regard.
– Qui vous l’a donnée ?
Elle n’a pas répondu.
– Une fessée méritée en tout cas, j’imagine !
Elle n’a pas protesté.
J’ai enfoncé le clou.
– Reconnaissez, en toute honnêteté, que vous en mériteriez une autre. Parce que vous exposer ainsi, à la fenêtre, dans le plus simple appareil… Vous vous êtes montrée fort imprudente.
– Je ne pensais pas… Je ne croyais pas…
J’ai esquissé une petite moue dubitative.
– Quant au plaisir que vous preniez, à l’évidence, à laisser goulûment traîner vos regards sur tous ces soldats sanglés dans leurs beaux uniformes…
– Mais non, mais…
– Mais si ! Vous avez largement mérité d’être punie, convenez-en !
– Oui.
D’une toute petite voix.
– Ah, vous voyez ! Et vous le serez. Je puis vous assurer que vous le serez. Et de cette main…
Que je lui ai brandie sous le nez.
Elle a baissé la tête.
Je l’ai ramenée à sa tante.
Je les ai saluées.
– Madame ! Mademoiselle !
Et je me suis éloigné.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire