samedi 6 avril 2019

Les fantasmes de Lucie (46)


Dessin de Georges Reinhardt Weguelin

Nos troupes ont résisté. Tant qu’elles ont pu. En vain. Mais les Romains étaient dix fois plus nombreux. Cent fois mieux entraînés. Mille fois mieux équipés. Ils nous ont vaincus
Ils nous ont rassemblés, nous, les survivants, dans la grande salle de réception du palais.
Le centurion veut savoir.
– Laquelle d’entre vous est la reine ?
Je ne réponds pas. Personne ne répond.
Il hurle.
– Qui ?
On reste muets.
– Très bien. Vous allez tous être mis à mort.
Je m’avance.
– C’est moi.
– Tu as en effet le port bien altier. À genoux, Ta Majesté !
Je m’exécute, la mort dans l’âme.
Il s’esclaffe.
– C’est une position qui te va à ravir.
M’oblige, du bout du doigt, à relever la tête. Plonge ses yeux dans les miens.
– Tu seras mon esclave. Quant à tes compatriotes, qui nous ont si insolemment résisté, ils vont être châtiés comme il se doit. Et exécutés.
Je me prosterne à ses pieds. Je lui entoure les genoux de mes bras.
– Grâce, romain ! Pitié ! Épargne-les ! Prends ma vie, mais épargne-les !
Il fait longuement attendre sa réponse.
– À une condition…
Tout ce qu’il voudra.
Il fait un signe. On lui tend un fouet. Il m’en passe l’extrémité autour du cou. Et il tire, m’obligeant à incliner la tête devant lui.
– Tu vas être fouettée, Ta Majesté. Devant eux. Par dix d’entre eux. Que j’aurai préalablement désignés. Et qui, eux, seront épargnés. Si j’estime qu’ils ont mis suffisamment de cœur à l’ouvrage.
Il me fait relever.
– Dévêts-toi, esclave !
Leur vie est entre mes mains. Je ne proteste pas. J’obéis.
– Tout !
Et je suis nue devant lui.
– Tourne-toi ! Allez !
Et je suis nue devant mes sujets.
Dont tous les regards sont fixés sur moi. Qu’il m’oblige à regarder.
– Mains sur la tête !
Il fait durer. Un temps infini.
Et puis il les choisit. Un à un. Lentement. En prenant tout son temps. Huit hommes. Deux femmes. Sur lesquels j’ai régné. Et qui vont me fouetter. À tour de bras. Parce que leur vie en dépend.
Je suis à nouveau à genoux.
Le premier coup m’arrache un cri.
Je ferme les yeux.

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