lundi 15 avril 2019

La honte



Tableau de Jean Béraud (Café Gloppe)

Je ne sais jamais à l’avance quand ce sera. Il peut ne s’écouler que deux jours. Ou une semaine. Ou un mois. Ou davantage. C’est totalement imprévisible.
Mais ça finit toujours par arriver.
– Une petite fessée, ça te dirait ?
Si ça me dit !
Et je me précipite. Je parcours au plus vite les cinq cents kilomètres qui me séparent d’elle.

Le temps de m’installer et…
– Viens !
On sort. On erre par les rues. Longtemps. On longe des cafés. Devant chacun d’eux un délicieux sentiment d’appréhension m’étreint. Qui grandit au fur et à mesure que se prolonge notre promenade. Qui se fait, peu à peu, grisante angoisse.
Elle se décide d’un coup.
– Ici !
On entre. On s’installe à une petite table à l’écart. Pas trop. Et on parle. De choses et d’autres. Tout en passant discrètement les autres consommateurs en revue.
Elle hausse la voix. D’un coup. Sans que rien le laisse présager.
– Je t’avais prévenue, Alice. Je t’avais pas prévenue ?
Les conversations, autour de nous, s’arrêtent.
– Mais si, mais…
Tous les regards convergent dans notre direction.
– Eh bien alors !
Je rougis. Je baisse la tête.
Elle est furieuse. Hors d’elle.
– J’en ai assez. Plus qu’assez. Par-dessus la tête. Comment faut te le dire ? Hein ? Comment ? Oh, mais cette fois, ça suffit. Ça suffit vraiment. Je vais t’en mettre du plomb dans la cervelle, moi, ma petite ! Je vais t’en mettre, tu vas voir ! Une gamine… Une vraie gamine… Une bonne fessée… C’est tout ce que tu mérites. Et tu vas l’avoir ! Je peux te dire que tu vas l’avoir… Et que tu vas t’en souvenir…
Elle se lève.
– T’as compris ? Eh bien alors ! Qu’est-ce que t’attends ? Viens ! Dépêche-toi !
Je me dépêche, oui. Je la suis. Laminée par la honte. Le visage en feu. Peu s’en faut que, dans ma précipitation, je ne fasse tomber ma chaise. Derrière nous, on s’esclaffe bruyamment. Quelqu’un un homme, demande : « Tu crois qu’elle va vraiment s’en prendre une ? » « Ça m’en a tout l’air, oui. Elle plaisantait pas, la bonne femme, on aurait dit. » Il y a encore des rires. Des mots que je ne comprends pas. Et des rires. Tant de rires.

– Tu as aimé ?
Sans me regarder.
– Beaucoup, oui.
– Tu mouilles ? Eh bien, réponds !
– Je mouille.
– Tu vas être punie pour ça !

Je suis punie. Aussitôt. À peine rentrées.
– Déshabille-toi ! À poil !
J’obéis. Elle me regarde faire, un petit sourire aux lèvres.
– Et à genoux !
Elle cingle, méthodiquement, au martinet, en espaçant ses coups de façon totalement aléatoire. Je me crispe en les attendant. En les appréhendant. En les espérant. C’est long. C’est interminable. Mais c’est bon. C’est tellement bon.
Je tombe sur les avant-bras, croupe tendue, offerte. Elle sait que, quand c’est comme ça, je ne suis plus loin. Elle précipite le rythme des coups. Elle les rend plus durs, plus incisifs. Et je jouis. Je déferle. Intensément.
– Merci. Oh, merci.

– Tu te rhabilles ? Qu’on y aille…
– Qu’on aille où ?
– Ben, au café de tout-à-l’heure…
– Tu vas pas…
– Y faire allusion à la punition que je viens de te donner ? Bien sûr que si !
– Mais…
– Tu vas avoir honte ? Évidemment que tu vas avoir honte. Je vais tout faire pour. Et tu vas adorer. Non ?
Je baisse la tête.
– Si !

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