samedi 3 novembre 2018

Les fantasmes de Lucie (24)


Dessin de Georges Topfer


Cordelia m’a littéralement sauté dessus.
– Tu l’as ramené, j’espère, le gode que je t’ai offert.
– Oui, oui.
Et je l’ai victorieusement brandi.
– T’avais plutôt intérêt…
Elle en a sorti un, elle aussi, de son sac.
– Mon préféré…
Qu’elle a gratifié d’un petit baiser tout au bout.
– Il me déçoit jamais, lui ! Toujours en forme. Toujours prêt à rendre service.
Il a disparu sous le bureau.
– Allez, au travail ! Oui, non, mais attends ! Te précipite pas comme ça. Prépare-moi un peu avant au moins…
J’ai fait suivre le même chemin au mien. J’ai écarté le bord de la culotte. Je l’ai laissé faire le tour du propriétaire. S’approprier les alentours. S’approcher. S’éloigner. Revenir.
J’ai soupiré.
– Quand même, ce que j’aimerais bien savoir, c’est d’où il vient. Ce qu’il a vécu avant moi.
– Oui, mais ça ! Je l’ai trouvé chez un antiquaire. Soi-disant qu’il sortirait d’une collection privée. Apparemment il en savait pas plus. Ou ne voulait pas en dire plus.
– Tu sais ce que je me dis ? J’ai lu un jour qu’au cours d’un voyage la malle de l’une des dames de compagnie de Catherine de Médicis s’était malencontreusement ouverte et que toute une collection de godes s’était répandue dans l’escalier de la demeure où elles devaient passer la nuit. L’incident avait beaucoup amusé la reine qui les avait pris en main à tour de rôle et y était allée de tout un tas de commentaires. Sous les rires de ces dames. Alors je me dis que c’est peut-être l’un de ceux-là que tu m’as offert. Qui sait ? J’aimerais bien. J’aimerais beaucoup.
On s’est perdues dans nos pensées. En bas, il s’est enhardi. S’est fait un peu plus fureteur.
– Et après… Après, quand elle a senti sa fin approcher, cette dame de compagnie, elle a demandé à une servante en qui elle avait toute confiance de les faire disparaître. Pour que les héritiers ne tombent pas dessus. Tu parles qu’elle se l’est pas fait répéter deux fois, la servante. Depuis le temps qu’elle rêvait de se les approprier, ces trucs ! Même qu’elle les avait déjà subtilisés plusieurs fois à sa maîtresse, en cachette, pour s’offrir de délirants marathons en solitaire.
Le bras, l’épaule, le coude de Cordelia se sont mis à bouger. Elle a imploré…
– Continue ! Continue !
– Alors tu penses bien qu’une fois qu’elle les a eus vraiment en sa possession, ils ont pas chômé. Celui-là surtout. Parce qu’il a les baloches bien sculptées et qu’elle adorait le tenir par là quand elle se le faisait. Ah, je peux te dire qu’il chauffait, le bougre. Et qu’elle a bien fait d’en profiter. Parce que ça n’a eu qu’un temps. Quand il a découvert le pot-aux-roses, le mari, c’est pour son matricule à elle que ça a chauffé. Et il l’a obligée à aller remettre tout ça entre les mains du curé de la paroisse. Qui l’a menacée des foudres de l’enfer. Et qui n’a rien eu de plus pressé, dès qu’elle a eu tourné les talons, que de se donner du plaisir en les imaginant, les yeux rivés dessus, entrer et sortir dans les minous accueillants de ses paroissiennes préférées.
Elle a bougé plus vite.
– Le salaud ! Non, mais quel salaud ! Tu te rends compte ! Et après ?
– Il a aménagé une cachette tout exprès dans sa cave. Dont il les ressortait de temps à autre pour rêver. C’est penché dessus, en pleine extase, qu’une nuit la mort l’a surpris. Le lendemain matin, une vieille et pieuse voisine, inquiète de ne pas voir les volets s’ouvrir, a envoyé sa servante s’assurer que tout allait bien. Et c’est dans cette attitude fort peu orthodoxe que la soubrette a découvert le saint homme. Elle a prestement fait disparaître tout cet arsenal dans les larges poches de sa blouse, donné l’alerte et couru mettre son précieux butin à l’abri en lieu sûr. Et puis, dès qu’elle en a l’occasion, elle est allée en éprouver l’efficacité. L’expérience s’étant avérée concluante, elle l’a renouvelée. De plus en plus souvent. Quotidiennement. Parfois même deux à trois fois par jour. Ce qui a fini par éveiller les soupçons de sa grenouille de bénitier de patronne. Qui l’a discrètement mise sous surveillance, qui a bien évidemment fini par découvrir le pot-aux-roses et qui lui est tombée dessus, un beau matin, en pleine action. « Petite dévergondée ! Dépravée ! Débauchée ! »
– C’est bien vrai, ça !
Et Cordelia a encore accéléré le rythme.
En bas, il s’est enfoui d’un coup en moi. S’y est installé tout à son aise.
Elle s’est précipitamment relevée, la servante. A tenté de se rajuster. Sa patronne l’en a empêchée. « Pas la peine ! Parce que je vais t’en faire passer l’envie, moi, grande dégoûtante ! Tu vas voir la tannée que tu vas te ramasser ! »
– Ça, c’est sûr qu’elle l’avait pas volée… C’est honteux ! Est-ce qu’on fait des trucs pareils, nous ?
Et Cordelia a fermé les yeux. Ses lèvres se sont entrouvertes.
J’ai eu un petit soubresaut de plaisir. Un autre. Plus profond. Plus insistant. Je me suis cabrée.
– Elle l’a fait basculer en travers de ses genoux cette soubrette libidineuse et c’est tombé…
– Elle a eu raison.
– Non, mais comment ça tombait. À pleines fesses. À plein régime. Ah, pour gigoter, elle gigotait.
– Je vois, oui ! J’imagine. Et j’entends. Qu’est-ce qu’elle piaule ! Ah, elle en prend pour son grade. Non, mais écoute ça ! Écoute ça !
Elle s’est mordu la main pour ne pas crier et son plaisir l’a emportée. Le mien a aussitôt pris le relais. À la fois doux et impétueux. Léger et ravageur.

On s’est souri.
– Eh ben, dis donc !
– Oui, hein !
– Heureusement que la chef a pas eu l’idée de monter.
– Oui, parce que là, on était grillées.
– Ce que tu racontes bien, n’empêche ! On a l’impression que c’est vrai. Que ça existe.
– Parce que t’as envie d’y croire.
– On continuera, hein ! Il a sûrement encore beaucoup voyagé, mon cadeau, avant d’arriver jusqu’à toi.
– Ça, c’est sûr. Énormément.
– Mais alors tu sais ce que j’aimerais ? Qu’on en parle ailleurs qu’ici. Qu’on puisse se regarder le faire pour de bon. Et qu’on n’ait pas cette épée de Damoclès de Séverine suspendue en permanence au-dessus de la tête.
– Ça devrait pouvoir s’envisager.
On s’est encore souri. Et on s’est remises au travail.

Ça devrait d’autant plus pouvoir s’envisager que, maintenant, je sais, avec certitude, que la fessée ne la laisse pas indifférente. C’est le moins qu’on puisse dire. Et que ça m’ouvre bien des perspectives.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire