Dessin
de Georges Topfer
Cordelia
m’a littéralement sauté dessus.
– Tu
l’as ramené, j’espère, le gode que je t’ai offert.
– Oui,
oui.
Et
je l’ai victorieusement brandi.
– T’avais
plutôt intérêt…
Elle
en a sorti un, elle aussi, de son sac.
– Mon
préféré…
Qu’elle
a gratifié d’un petit baiser tout au bout.
– Il
me déçoit jamais, lui ! Toujours en forme. Toujours prêt à
rendre service.
Il a
disparu sous le bureau.
– Allez,
au travail ! Oui, non, mais attends ! Te précipite pas
comme ça. Prépare-moi un peu avant au moins…
J’ai
fait suivre le même chemin au mien. J’ai écarté le bord de la
culotte. Je l’ai laissé faire le tour du propriétaire.
S’approprier les alentours. S’approcher. S’éloigner. Revenir.
J’ai
soupiré.
– Quand
même, ce que j’aimerais bien savoir, c’est d’où il vient. Ce
qu’il a vécu avant moi.
– Oui,
mais ça ! Je l’ai trouvé chez un antiquaire. Soi-disant
qu’il sortirait d’une collection privée. Apparemment il en
savait pas plus. Ou ne voulait pas en dire plus.
– Tu
sais ce que je me dis ? J’ai lu un jour qu’au cours d’un
voyage la malle de l’une des dames de compagnie de Catherine de
Médicis s’était malencontreusement ouverte et que toute une
collection de godes s’était répandue dans l’escalier de la
demeure où elles devaient passer la nuit. L’incident avait
beaucoup amusé la reine qui les avait pris en main à tour de rôle
et y était allée de tout un tas de commentaires. Sous les rires de
ces dames. Alors je me dis que c’est peut-être l’un de ceux-là
que tu m’as offert. Qui sait ? J’aimerais bien. J’aimerais
beaucoup.
On
s’est perdues dans nos pensées. En bas, il s’est enhardi. S’est
fait un peu plus fureteur.
– Et
après… Après, quand elle a senti sa fin approcher, cette dame de
compagnie, elle a demandé à une servante en qui elle avait toute
confiance de les faire disparaître. Pour que les héritiers ne
tombent pas dessus. Tu parles qu’elle se l’est pas fait répéter
deux fois, la servante. Depuis le temps qu’elle rêvait de se les
approprier, ces trucs ! Même qu’elle les avait déjà
subtilisés plusieurs fois à sa maîtresse, en cachette, pour
s’offrir de délirants marathons en solitaire.
Le
bras, l’épaule, le coude de Cordelia se sont mis à bouger. Elle a
imploré…
– Continue !
Continue !
– Alors
tu penses bien qu’une fois qu’elle les a eus vraiment en sa
possession, ils ont pas chômé. Celui-là surtout. Parce qu’il a
les baloches bien sculptées et qu’elle adorait le tenir par là
quand elle se le faisait. Ah, je peux te dire qu’il chauffait, le
bougre. Et qu’elle a bien fait d’en profiter. Parce que ça n’a
eu qu’un temps. Quand il a découvert le pot-aux-roses, le mari,
c’est pour son matricule à elle que ça a chauffé. Et il l’a
obligée à aller remettre tout ça entre les mains du curé de la
paroisse. Qui l’a menacée des foudres de l’enfer. Et qui n’a
rien eu de plus pressé, dès qu’elle a eu tourné les talons, que
de se donner du plaisir en les imaginant, les yeux rivés dessus,
entrer et sortir dans les minous accueillants de ses paroissiennes
préférées.
Elle
a bougé plus vite.
– Le
salaud ! Non, mais quel salaud ! Tu te rends compte !
Et après ?
– Il
a aménagé une cachette tout exprès dans sa cave. Dont il les
ressortait de temps à autre pour rêver. C’est penché dessus, en
pleine extase, qu’une nuit la mort l’a surpris. Le lendemain
matin, une vieille et pieuse voisine, inquiète de ne pas voir les
volets s’ouvrir, a envoyé sa servante s’assurer que tout allait
bien. Et c’est dans cette attitude fort peu orthodoxe que la
soubrette a découvert le saint homme. Elle a prestement fait
disparaître tout cet arsenal dans les larges poches de sa blouse,
donné l’alerte et couru mettre son précieux butin à l’abri en
lieu sûr. Et puis, dès qu’elle en a l’occasion, elle est allée
en éprouver l’efficacité. L’expérience s’étant avérée
concluante, elle l’a renouvelée. De plus en plus souvent.
Quotidiennement. Parfois même deux à trois fois par jour. Ce qui a
fini par éveiller les soupçons de sa grenouille de bénitier de
patronne. Qui l’a discrètement mise sous surveillance, qui a bien
évidemment fini par découvrir le pot-aux-roses et qui lui est
tombée dessus, un beau matin, en pleine action. « Petite
dévergondée ! Dépravée ! Débauchée ! »
– C’est
bien vrai, ça !
Et
Cordelia a encore accéléré le rythme.
En
bas, il s’est enfoui d’un coup en moi. S’y est installé tout à
son aise.
Elle
s’est précipitamment relevée, la servante. A tenté de se
rajuster. Sa patronne l’en a empêchée. « Pas la peine !
Parce que je vais t’en faire passer l’envie, moi, grande
dégoûtante ! Tu vas voir la tannée que tu vas te ramasser ! »
– Ça,
c’est sûr qu’elle l’avait pas volée… C’est honteux !
Est-ce qu’on fait des trucs pareils, nous ?
Et
Cordelia a fermé les yeux. Ses lèvres se sont entrouvertes.
J’ai
eu un petit soubresaut de plaisir. Un autre. Plus profond. Plus
insistant. Je me suis cabrée.
– Elle
l’a fait basculer en travers de ses genoux cette soubrette
libidineuse et c’est tombé…
– Elle
a eu raison.
– Non,
mais comment ça tombait. À pleines fesses. À plein régime. Ah,
pour gigoter, elle gigotait.
– Je
vois, oui ! J’imagine. Et j’entends. Qu’est-ce qu’elle
piaule ! Ah, elle en prend pour son grade. Non, mais écoute
ça ! Écoute ça !
Elle
s’est mordu la main pour ne pas crier et son plaisir l’a
emportée. Le mien a aussitôt pris le relais. À la fois doux et
impétueux. Léger et ravageur.
On
s’est souri.
– Eh
ben, dis donc !
– Oui,
hein !
– Heureusement
que la chef a pas eu l’idée de monter.
– Oui,
parce que là, on était grillées.
– Ce
que tu racontes bien, n’empêche ! On a l’impression que
c’est vrai. Que ça existe.
– Parce
que t’as envie d’y croire.
– On
continuera, hein ! Il a sûrement encore beaucoup voyagé, mon
cadeau, avant d’arriver jusqu’à toi.
– Ça,
c’est sûr. Énormément.
– Mais
alors tu sais ce que j’aimerais ? Qu’on en parle ailleurs
qu’ici. Qu’on puisse se regarder le faire pour de bon. Et qu’on
n’ait pas cette épée de Damoclès de Séverine suspendue en
permanence au-dessus de la tête.
– Ça
devrait pouvoir s’envisager.
On
s’est encore souri. Et on s’est remises au travail.
Ça
devrait d’autant plus pouvoir s’envisager que, maintenant, je
sais, avec certitude, que la fessée ne la laisse pas indifférente.
C’est le moins qu’on puisse dire. Et que ça m’ouvre bien des
perspectives.
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