jeudi 22 novembre 2018

Les fessées de Blanche (3)


Sylvain chevauche silencieusement à ses côtés. De temps à autre, il lui coule un bref regard de côté.
Les feuillages commencent à revêtir leurs couleurs d’automne. Deux petites colonnes de buée s’échappent des naseaux des chevaux.
– Mademoiselle Blanche…
– Oui, Sylvain.
– Je voulais vous dire… Votre équipage, stationné ainsi, des heures durant, place Clichy…
Elle se trouble. Elle balbutie.
– J’en avais pour cinq minutes.
Il ne répond pas. Il ne la regarde pas. Il sourit aux lointains.
Ses joues s’empourprent. Il se doute. Non, il ne se doute pas. Il a compris. Il sait. Et il a raison. Évidemment qu’il a raison. Si elle retourne là-bas… Si on voit longuement séjourner sa voiture aux abords de la place… C’est courir des risques insensés. Elle n’y retournera pas. « Tu n’y retourneras pas ? Bien sûr que si ! Arrête de te mentir à toi-même ! Tu ne peux plus te passer de lui. De ses baisers. De sa tendresse. De ses caresses. Tu l’as dans la peau. »
– Sylvain…
Elle peut avoir aveuglément confiance en lui. Il l’a vue naître. Il la connaît depuis toujours. Et il s’est toujours montré, quelles que soient les circonstances, d’une discrétion absolue. Et puis, même s’il n’en manifeste rien, s’il reste toujours extrêmement déférent à son égard, il ne porte pas Pierre dans son cœur. Elle le sait. Elle le sent. Non. Sylvain, elle n’a rien à craindre. Il sera de son côté. Quoi qu’il arrive…
– Oui, Mademoiselle Blanche…
– Vous ne resterez pas place Clichy. Vous rentrerez. Et vous reviendrez me chercher. À l’heure que je vous aurai préalablement fixée.
– Pour que Monsieur se demande – et me demande – où j’ai bien pu abandonner Madame seule sans équipage ?
Elle soupire. Il a encore raison. Il va bien falloir, pourtant, trouver une solution quelconque. Absolument… Renoncer à voir Gontran, elle ne le pourra pas. C’est hors de question. C’est au-dessus de ses forces.
– Je pourrais peut-être…
– Dites…
– Faire le tour, en vous attendant, de vos fournisseurs habituels. Votre modiste. Votre chapelière. Votre cordonnier. On vous croirait, le cas échéant, en train d’y faire vos emplettes.
Il est décidément plein de ressources, ce cher Sylvain. Elle bat intérieurement des mains, mais elle ne le montre pas. Elle fait la moue.
– Je n’ai pas le choix, n’importe comment.

Ils ont fait l’amour. Deux fois. Trois fois. Si bien. Avec lui, elle découvre. Elle se découvre. Tout devient possible. Tout devient facile.
Elle se presse contre lui.
– Je ne veux pas te perdre…
– Il y a pas de raison !
– Oh, si, il y en a des raisons, si ! Il y en a plein. D’abord, j’ai vingt-ans de plus que toi.
– Dix-sept !
– C’est pareil.
– Mais c’est pas important l’âge ! Qu’est-ce ça fait, l’âge ?
Et il lui dévore les seins de tout un tas de petits baisers.
Elle lui ébouriffe les cheveux.
– Tu es fou…

Sylvain l’aide à gravir le marchepied.
– Me voyant stationné devant la boutique du mercier Divitis, Madame Saintonge s’est étonnée de ne pas vous y avoir trouvée.
– Et vous lui avez répondu ?
– Que vous y étiez pourtant entrée. Que pouvais-je lui dire d’autre ?

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