samedi 25 août 2018

Les fantasmes de Lucie (14)


Dessin de Jim Black

Je ne me l’étais jamais fait en vrai. Enfin, si ! Un peu. Quelques claques, comme ça, pas trop fort, sur les fesses. En surface. Pour avoir le goût. Pour que ça me chauffe un peu. Que ça me mette dans l’ambiance. Pour qu’elles aient davantage de piment mes images. Que mes caresses surgissent sur un terrain complice. Ça me suffisait. Ça me comblait. Je ne ressentais pas vraiment le besoin d’autre chose. Seulement il y a eu Cordelia. Maintenant il y a Cordelia. Tous les jours, ou presque, on se donne du plaisir dans notre petit réduit. Et tous les jours, en me le faisant là-bas devant elle, mes yeux dans les siens, j’imagine qu’elle me fouette. Elle se montre impitoyable. Sourde à mes plaintes comme à mes supplications. Elle cingle comme une perdue. Et elle me laisse pantelante, ravagée, mais tellement heureuse.

À cinq heures, je ne la quitte pas vraiment. Je la ramène chez moi. Avec moi. Et je me déshabille pour elle devant le grand miroir de la salle de bains. Elle me prend sous son regard, m’oblige à baisser les yeux, me soulève le menton du bout du doigt. « T’as pas eu ton compte, hein ? » Non, je l’ai pas eu, non. « Eh bien, tu vas l’avoir. Et je peux te dire que tu vas t’en souvenir. » Oh, pour ça, oui ! Parce qu’elle tape. Parce que je tape. Parce qu’on tape. Au martinet. Ou au paddle. Ou à la cravache. Je tape. Et je ne me ménage pas. Je suis intraitable. Je n’arrête que lorsque son plaisir a enfin surgi. Et le mien.

Je ne m’en tiens pas là. Après, dans mon lit, les fesses meurtries, incandescentes, je fais revenir mes images. Je reprends mes histoires. Qui n’en sont que plus exaltantes. C’est dans ma peau qu’elles sont inscrites. C’est du feu inextinguible qui m’élance qu’elles naissent et renaissent indéfiniment. Je les vis. Je les vis vraiment. Je suis en elles. Je les habite. Je suis elles. Et elles me procurent un bonheur comme jamais. Ineffable.

Vingt fois j’ai failli tout lui dire à Cordelia. Vingt fois je suis restée au bord de la confidence. Quelque chose me retient. La peur qu’elle me rie au nez ? Non. Pas ça, non. N’importe comment, elle m’a percée à jour. Depuis un bon moment déjà. J’en suis sûre. Elle sait. Et elle sait que je finirai
forcément par passer aux aveux. J’ai trop envie que ce soit pour de vrai qu’elle me corrige. Elle. Alors j’attends quoi ? Je redoute quoi ? Moi ! Parce que je sais qu’alors je n’aurai plus la moindre limite. Que je serai prise de vertige.

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