samedi 4 août 2018

Les fantasmes de Lucie (11)

Dessin de Louis Malteste


J’ai passé la nuit de samedi à dimanche à l’hôtel. Loin. À Tours. Où personne me connaît. Avec une idée bien précise en tête : qu’on m’écoute, des chambres voisines, me donner du plaisir. Seule. C’est mon adorable imbécile de voisin qui m’a corrompue. Depuis que je sais qu’il m’a entendue le faire sous la douche, je ne pense plus qu’à ça. Je ne rêve plus que de ça. D’oreilles attentives rivées à mes mugissements de plaisir. Pas les siennes. Ce serait du réchauffé. Et ce serait imprudent : il finirait par en tirer des conclusions qui ne seraient pas les bonnes.

Ce fut donc Tours. Complètement au hasard. Un hôtel complètement au hasard aussi. J’y suis arrivée sur le coup de cinq heures. J’y ai un peu traîné dans les couloirs, procédé à un certain nombre de discrets repérages. Dans la chambre à droite de la mienne, était installé un jeune couple. De constitution vraisemblablement récente : ils ont passé les trois quarts du repas à se tenir les mains et à s’embrasser par-dessus la table. Dans celle de gauche, une femme seule, d’une cinquantaine d’années, que j’ai croisée, à plusieurs reprises, ici ou là, au gré de mes nombreuses allées et venues. On s’est souri. À l’étage, au-dessus, il y avait encore trois ou quatre couples que je n’ai pas réussi à localiser avec précision, mais qui, eux aussi, allaient sans doute pouvoir profiter de la petite sérénade que je prévoyais d’offrir.

Je me suis longuement attardée dans la salle de restaurant. Qu’on me voie bien et, surtout, qu’on voie que j’étais seule. Je ne l’ai quittée que lorsque le patron, un petit brun frisé à moustaches a commencé à éteindre les lumières. Je suis alors montée. Je me suis préparée pour la nuit. Tout autour aussi, on se préparait. De l’eau coulait. Il y avait des pas. Des voix. Des fenêtres qui s’ouvraient ou se fermaient. Des corps qui s’affalaient sur des matelas. Le silence s’est fait peu à peu, troué, de temps à autre, par une quinte de toux, un bâillement, un ronflement. J’ai désespérément attendu que le jeune couple d’à côté donne le signal des hostilités. En vain. Sans doute avaient-ils passé la journée à s’envoyer en l’air et aspiraient-ils maintenant à un repos bien gagné. À moi donc de prendre les choses en mains. Il n’y avait pas d’autre solution.

J’ai convoqué des images. D’un peu toutes sortes. Certaines ont émergé. Se sont imposées. Installées. Celle de la femme de la chambre voisine que je croise et recroise dans les couloirs. Qui m’apostrophe :
 – T’es une sacrée petite cochonne, toi, hein, en fait !
Je proteste mollement. Elle insiste.
– Ah, si ! Ah, si ! Tu le portes sur ta figure n’importe comment !
Celle de la salle de restaurant. Mes mains sont sous la table. Je me touche, là, avec tous les gens autour. Je peux pas m’empêcher. Tous les regards convergent vers moi. Il y en a d’égrillards, d’amusés, de scandalisés. Et puis il y a le patron. Qui surgit.
– Qu’est-ce que vous faites ?
– Rien ! Rien, rien, je vous assure !
– Et menteuse en plus !
Il tire ma chaise. Il m’oblige à me lever.
– Faire ça, comme ça, devant tout le monde ! Vous n’avez pas honte ?
Si, j’ai honte, si ! Seulement… Il me force à me mettre à genoux.
– Tu vas t’en souvenir, ma petite ! Allez, le cul à l’air !
– Oh, non, M’sieur ! Je le ferai plus, j’vous promets !
Mais il ne veut rien entendre. Il me déculotte. Sèchement. Il m’emprisonne le poignet dans sa main pour m’empêcher de me protéger le derrière. Et il tape. Il tape comme un sonneur. Il tape comme un sourd. Au bout de cinq ou six claques déjà, la douleur est insupportable. Je gémis. Je me tortille. Je me plains. Mais il poursuit imperturbablement. Je me cabre. Je geins.
– Oh, non ! C’est trop ! C’est trop !
Il accélère encore le rythme et l’intensité des coups. Je ne maîtrise plus rien. Mes cris se font éperdus. De douleur. De plaisir.

C’est quelque part au-dessus que ça a alors commencé. D’abord timidement. En sourdine. Une voix de femme. Qui a, très vite, pris son envol. Qui m’a rejointe. À plein volume. On s’est défiées. On a donné notre pleine mesure. À côté aussi ils sont entrés en scène. À grands coups de grincements de sommier. Qui se sont accélérés. La fille a hululé.
– Oh, Hugo ! Oh, Hugo ! Oh, Hugo !
Et puis lui, à son tour. De longues plaintes rauques. Une autre femme, quelque part, dans les lointains, s’est aussi jointe à nous.
Je me suis voluptueusement terminée et endormie, repue.

Ma voisine de la chambre de gauche était déjà installée dans la salle du petit déjeuner. On s’est brièvement saluées. Il y avait aussi un couple. Avec lequel un autre couple est presque aussitôt venu s’attabler.
– Alors ? Bien dormi ?
La femme a fait la moue.
– Oui, oh ! Il y en a qu’étaient sacrément de la comédie cette nuit…
– Ah, ça, pour piauler, ça piaulait. Je sais pas d’où ça venait, mais on y mettait tout son cœur.
Ma voisine m’a adressé un petit sourire de connivence.
Les deux jeunes ont, à leur tour, fait leur apparition. La fille a brièvement croisé mon regard, légèrement rougi. Ils sont allés occuper une table à l’écart, tout au fond.

Le patron m’a rendu ma carte bleue.
– Merci. C’est très agréable chez vous. Je reviendrai.
– Oh, mais quand vous voulez. Ce sera avec plaisir.

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