lundi 9 septembre 2019

Escapade



Tableau de Percy Tarrant

J’ai, pour la centième fois, relu sa lettre. Un rendez-vous. Là-bas. C’était de la folie. Non. Je ne pouvais pas. Parce que, si je me faisais prendre, alors là ! L’institut était une chance qui nous était offerte, à nous les jeunes délinquantes majeures, mais qu’on enfreigne le règlement intérieur et on nous expédiait aussitôt purger la peine à laquelle on avait été condamnées. Il n’y avait pas d’exception. Il n’y avait jamais d’exception. Et un an de prison… Non. Non. C’était un risque que je ne voulais pas, que je ne pouvais pas prendre.

Je l’ai encore relue, sa lettre. Je l’ai serrée contre mon cœur. Il était beau. Si beau. Être dans ses bras. Contre lui. C’était trop tentant. Et ça s’est décidé d’un coup. Tout seul. Tant pis. Je verrais bien. J’avais trop envie. Et j’ai enjambé la fenêtre, le cœur battant. Ne plus réfléchir maintenant. C’était trop tard. Juste faire attention. À ne pas tomber. À ne pas faire de bruit. À ne pas laisser de traces de pas, en bas, dans les plates-bandes.
Ça se passait bien. Juste une dizaine de mètres, à découvert, jusqu’à la grille sur laquelle j’ai posé la main, que j’ai entrouverte.
– Et tu vas où comme ça ? On peut savoir ?
Une voix d’homme.
Je me suis arrêtée net, tétanisée. Et j’ai cherché, du regard, autour de moi. Rien. Personne.
– Hein ? Tu vas où comme ça ?
Et sa tête est apparue entre les troènes. Le jardinier. Qui les a contournés. Qui s’est approché.
– Fais-toi voir ! Tu es qui ? Tiens, tiens, la petite rouquine. Alors, comme ça, on aurait des envies de liberté ? Viens avec moi !
– Non. Je me suis trompée. Je ne voulais pas. Je rentre. Je retourne. Tout de suite.
– J’ai dit : viens avec moi ! À moins que tu ne préfères que je te raccompagne chez madame la directrice et que je lui raconte où je t’ai trouvée.
Non. Non. Évidemment non. Et je l’ai suivi. Je n’avais pas le choix. Jusque chez lui. Il a refermé la porte, m’a soulevé le menton. Du bout du doigt.
– Bien ! Et maintenant tu vas me dire…
– Quoi donc ?
– Où tu voulais aller comme ça…
– Mais nulle part.
– Et menteuse en plus ! Bon, allez ! Chez madame la directrice…
– Oh, non ! S’il vous plaît, non ! Je vous en supplie !
– Alors tu me dis où tu voulais aller.
– Voir quelqu’un.
– Un petit ami ?
J’ai fait signe que oui. De la tête. Oui.
– Mais tu sais que c’est pas bien du tout, ça ! Comment tu t’appelles ?
– Paloma.
– Et tu avais été condamnée à quoi, Paloma ?
– Un an de prison.
– Que tu vas aller faire. Tu connais le règlement tout aussi bien que moi.
– Oh, non ! Pitié ! Pas la prison ! Pitié !
– Il fallait y réfléchir avant. Allez, viens !
Il m’a agrippée fermement par le bras.
– Viens !
J’ai résisté des quatre fers.
– Pas la prison ! Pas la prison ! Punissez-moi plutôt !
Ça m’est venu comme ça ! Sans réfléchir. En désespoir de cause.
Il a relâché son étreinte.
– Ça peut être une solution en effet…
Son regard s’est fait brillant.
– Une bonne fessée… Cul nu. Pour te faire passer l’envie de recommencer. Une fessée dont je peux t’assurer que tu vas te souvenir.
Une fessée ! Oh, non ! Pas une fessée ! Mais je n’ai rien dit. Je n’ai pas protesté. Mieux valait mille fois mieux ça, même si ça faisait mal, même si c’était profondément humiliant, que la prison.
Il a tiré une chaise, s’y est assis, s’est tapoté les genoux.
– Allez ! Viens là !

(à suivre)

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