Elle
est dans son lit, sur le ventre. Nue. Elle a rejeté drap et
couverture. Sa peau ne supporte pas le moindre contact. Et elle a
mal. Tellement. Mais elle est heureuse. Tellement aussi. Heureuse,
oui. Même si elle redoute, par bouffées, que son bonheur ne prenne
brusquement fin. À cause de la guerre, oui, bien sûr… Mais aussi
parce qu’il est jeune, Gontran. Parce qu’il est beau. Et qu’il
doit faire rêver, par dizaines, les jeunes filles de son âge. Qu’il
s’en trouvera forcément une, un jour, dont il se sentira
éperdument épris et que, ce jour-là, il lui faudra s’effacer
pour ne pas être une entrave à son bonheur. Il ne lui restera plus
alors que ses souvenirs. Et ses larmes. N’y pas penser. Profiter.
Profiter, le plus possible, des instants qu’il lui donne.
– Je
ne monterai pas, ce matin, Sylvain.
– Comme
Madame voudra…
Il
étrille Flamboyant. Il lui flatte l’encolure.
– Il
vaut assurément mieux. Si Madame ne veut pas raviver la douleur…
Elle
rougit. Elle se détourne. Elle s’éloigne sous la futaie. Les
feuilles mortes craquent sous ses pas. Elle marche. Elle veut
marcher. Elle en a besoin. Sa chair est à vif sous ses vêtements.
Chaque pas est un calvaire. Mais elle marche. Sylvain l’a fouettée.
Il l’a fouettée et… La honte, une nouvelle fois, la submerge.
Est-ce qu’il s’est rendu compte hier ? Peut-être pas. Sans
doute pas. Sûrement pas. Ces gémissements-là, qu’elle a poussés,
qu’elle n’a pas pu s’empêcher de pousser, quand ça l’a
traversée, ressemblent tellement à ceux que procure la douleur.
Non. Non. Elle se fait des idées. Il ne s’est aperçu de rien. Il
était, de toute façon, tellement absorbé par ce qu’il faisait,
tellement attentif à ne pas lui laisser intact le moindre centimètre
de peau qu’il n’a certainement pas prêté la moindre attention à
la nature de de ses plaintes. Oui, mais si… Elle hausse les
épaules. Peu importe ce qu’il pense. Ce qu’il est allé
imaginer. Peu importe. Elle s’efforce, en vain, de s’en
convaincre.
Elle
attend Gontran. Il ne va pas tarder. Il va apparaître là-bas,
derrière la grange, entre les arbres. Courir vers elle. La saisir
dans ses bras. Et elle va défaillir de bonheur.
Elle
l’attend. Elle s’impatiente. Lui, toujours si ponctuel
d’habitude. Une demi-heure de retard. Une grosse demi-heure. Pourvu
qu’il ne lui soit rien advenu de fâcheux. Mais non ! Non.
Elle est folle. Il va surgir en riant. « Un bavard importun
dont j’ai eu toutes les peines du monde à me défaire… »
Il va la couvrir de baisers. Et tout va rentrer dans l’ordre.
Elle
est morte d’inquiétude. Deux heures. Plus de deux heures. Il s’est
passé quelque chose, elle en est sûre. En courant vers elle, il a
roulé sous un attelage. Ou bien il s’est battu et on l’a laissé
pour mort sur le pavé. Ou bien encore…
C’est
la dixième fois, au moins, qu’elle pose la question à Sylvain.
– Il
ne vous a rien dit ? Il n’est pas passé ce matin ?
– Mais
non, Mademoiselle ! Vous pensez bien que, s’il l’avait fait,
je me serais empressé de vous en tenir informée.
Le
jour baisse. Il ne viendra pas. Il ne viendra plus. Il a passé
l’après-midi avec une autre. Elle le sait. Elle le sent. Elle en
est sûre. Et elle ne peut même pas laisser libre cours à son
chagrin. Si Pierre s’apercevait qu’elle a pleuré…
Elle
vogue de cauchemar en cauchemar. Elle est de toute beauté, la fille.
Et comme il l’aime ! Comme il la caresse avec passion !
Elle la chasse. Elle s’estompe. Elle disparaît. Pour revenir, plus
triomphante que jamais. En robe de mariée, cette fois. Elle est
resplendissante. Ils se serrent l’un contre l’autre. Ils
s’embrassent. Sous les regards ravis des invités. Elle les
observe, en larmes, dissimulée derrière un arbre. Ils l’y
débusquent. Ils se moquent d’elle. Toute la noce se moque d’elle.
Et elle s’enfuit, vaincue.
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