samedi 12 janvier 2019

Les fantasmes de Lucie (34)


Dessin de Fredillo

Cordelia a poussé un profond soupir.
– Il me gonfle ce dossier, mais alors là, tu peux pas savoir ce qu’il me gonfle. On se fait un petit break ?
– Toi, je te vois venir… Tu veux savoir où les pérégrinations de notre gode l’ont mené. C’est ça, hein ?
– Pas vraiment, non ! Mais puisque tu le proposes si gentiment… Allez, vas-y ! Je t’écoute.
– Donc… Donc on l’avait laissé chez la femme d’un capitaine au long cours, notre petit gode adoré.
– Et même… entre ses cuisses.
– Où sa belle-mère a fini par aller le débusquer.
– Oh, cette volée qu’elle lui a flanquée, n’empêche…
– Avant de le lui subtiliser.
– Quelle garce ! Et elle en a fait quoi ?
– On sait pas. On en a longtemps perdu la trace. Avant de finalement le retrouver chez la petite protégée d’un homme immensément riche. Une certaine Olga.
– Une actrice, j’parie.
– Oui, oh, une prétentieuse qui s’imaginait, à tort, bourrée de talent. Qui, les rares fois où elle est montée sur scène, s’est attiré moqueries et huées. Elle en a tenu pour seul et unique responsable son protecteur de baron. Auquel elle a reproché de ne pas faire jouer à fond ses relations. De ne lui obtenir que de petits rôles. Qui ne lui permettaient pas de donner sa pleine mesure. Et elle est, peu à peu, devenue vindicative, exigeante, ergoteuse. Bref, invivable.
– Je vois ça d’ici.
– Du coup, lui, il s’est lassé. Il est venu moins souvent. Presque plus. Plus du tout. Et il lui a coupé les vivres. Elle s’est claquemurée chez elle, désespérée, en la seule et unique compagnie de ses joujoux dont elle s’est mise à faire un usage immodéré. Elle passait ses journées à se donner du plaisir.
– Ça me plairait bien, à moi, ça, comme mode de vie…
Sauf qu’il fallait bien manger. Et qu’elle a vendu, petit à petit, la mort dans l’âme, ses bijoux, ses bibelots, ses meubles, et jusqu’à la plupart de ses vêtements. Tant et si bien que, quand, un beau matin, les huissiers se sont présentés à sa porte, il ne lui restait plus que son lit, un bidet pour faire sa toilette, deux paires de chaussures et sa collection d’indéfectibles compagnons.
– Comme ça, au moins, l’inventaire a été vite fait.
– Le lit, ils étaient tenus de le lui laisser. Le bidet, ils se sont bien fait tirer un peu l’oreille, mais bon, ils ont finalement consenti à ne pas le saisir, mais pour les godes, par contre, ils ont estimé qu’il ne s’agissait pas de produits de première nécessité, qu’elle pouvait parfaitement s’en passer.
– Hein ? Mais c’est dégueulasse ! Comment tu veux vivre sans ça ?
– C’est bien ce qu’elle leur a dit. Mais elle a eu beau argumenter, supplier, tempêter, ils se sont montrés intraitables. Et ils les ont emportés. À son grand désespoir.
– Je comprends ça !
– Elle venait à peine de se jeter en larmes sur son lit quand ils sont revenus.
– Les salauds ! Ah, ils aiment ça, se repaître du malheur des gens !
– Oui. Non. Mais là, ils avaient une proposition à lui faire. Ils voulaient bien les lui restituer, mais à la condition qu’elle les utilise devant eux…
– Tous ?
– Quand même pas, non ! Il y en avait six.
– Six ! Eh ben, dis donc ! Et elle l’a fait ?
– Tu penses bien que oui ! Elle était prête à tout pour les récupérer.
– Et c’est le nôtre qu’elle a utilisé, j’parie !
– Bingo !
– Pendant que les trois vieux cochons, ils se paluchaient à qui mieux mieux.
– Forcément, ça !
– Tu l’as sur toi ?
– Non.
– Et zut ! Toujours tu devrais l’avoir. Au cas où…
– T’as tes doigts.
– Oui, mais bon ! Elle a joui ? Ben oui, forcément qu’elle a joui… Moi, j’aurais trois mecs en train de me regarder faire en se branlant, même que ce soit des vieux, je peux te dire qu’il m’en fumerait, le clito…
Sa main a disparu sous le bureau.
– Et eux ?
– Eux aussi ils ont joui, tu penses bien ! Un mec, quand il s’empoigne la queue, il la lâche pas avant de l’avoir amenée là où il voulait. Même que c’est tous les trois ensemble qu’ils ont dégorgé quand elle s’est mise à piauler et à racler par terre avec les pieds.
– Oh, la vache ! Oh, la vache !
– Comme toi, là, en ce moment.
– J’en peux plus…
Ça a fait trois belles gerbes blanches qui se sont élancées toutes en chœur dans sa direction. Qui ont fini leur course à ses pieds.
Son bras s’est frénétiquement agité.
– Et après, Lucie ? Et après ?
– Après, ils lui ont flanqué une fessée magistrale pour la punir d’avoir tenté de suborner des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions.
– J’en étais sûre…
– Et je peux te dire qu’ils ont pas fait semblant. Il a dû lui cuire un moment son joufflu.
– Et les godes ?
– Ils sont partis avec.
– Ça vient, Lucie, ça vient. Je vais jouir. Oh, que c’est bon ! Que c’est bon !

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