samedi 5 janvier 2019

Les fantasmes de Lucie (33)


Dessin de Lewis Bald


– Sa Majesté arrive !
– Sa Majesté approche !
– Sa Majesté est là.
Elles s’égaillent toutes. Volée de moineaux. Elles quittent précipitamment les champs. Elles quittent les lavoirs. Elles quittent les rues. Elles se réfugient où elles peuvent. Le plus vite possible. Chez elles. Dans des granges de hasard. Dans des fourrés qui se trouvent opportunément là. Elles se cachent, terrifiées.
C’est qu’avec l’âge Sa Majesté éprouve désormais le besoin de raviver ses ardeurs. Et que, pour ce faire, quand il se rencontre sur sa route quelque jouvencelle esseulée, il la prend en chasse. Il la capture. Il l’emporte avec lui. Et il la fait fouetter. Pour son plus grand plaisir. Et celui de la reine, son épouse, à laquelle il se trouve alors en état de rendre des hommages ardents et réitérés tout au long de la nuit.
Elles sont trois, imprudentes ou malchanceuses, à y avoir jusqu’à présent eu droit. Manon qui a pleuré pendant trois jours, Jeanne qui n’a pas voulu en parler à qui que ce soit et Guillemette qui nous a discrètement montré ce qu’il en était, le lendemain, derrière une meule de foin.
Personne ne le sait, mais, parfois, je m’imagine à leur place. Je me lance, en secret, sur les fesses, de grands coups de badine. C’est étrange. Ça fait mal et pas mal en même temps. Je recommence. Souvent. Mais en vrai ? Ça fait quoi en vrai ? Quand c’est quelqu’un d’autre qui tape ? Et surtout, quand ça a lieu devant lui ?

– Sa Majesté arrive !
On a crié, là-bas, au loin.
– Le roi ! Le roi !
J’ai envie. Et pas envie en même temps. Mais plus envie que pas envie.
J’ai très bien pu ne pas entendre. Je poursuis ma route. Ça poudroie à l’horizon. Ce n’est que quand je peux apercevoir distinctement les chevaux que je me mets à courir. À perdre haleine. Sans me retourner. On va me rejoindre. On va forcément me rejoindre. Ça se rapproche. Ça se rapproche de plus en plus. J’oblique dans un pré. On est derrière moi. Tout près. On se saisit de moi. À la volée. Je me débats. En vain. On me hisse sur un cheval. Celui du roi. Je suis contre lui. Le roi… Qui me soulève le menton du bout de l’index. Qui m’oblige à le regarder.
– Jolie petite frimousse…
On repart au galop…

C’est une grande salle. Il y a une estrade et un trône sur lequel Sa Majesté monte aussitôt s’installer.
– Faites votre office !
Ils le font. Trois gardes. Je me débats. Pour la forme. On me lie les chevilles ensemble. On les fixe à un anneau encastré à même le sol. Mon ventre repose sur une fourche-chevalet à laquelle on m’arrime avec une ceinture. Je repose sur les bras. Mes poignets sont, eux aussi, enchaînés à deux anneaux fichés dans le carrelage.
Le grand sénéchal s’approche en faisant claquer son fouet.
– Tu sais que tu es absolument charmante ainsi, ma mignonne, le croupion en l’air ?
Sa Majesté ne me quitte pas des yeux.
Le fouet se lève. Il va s’abattre.
– Non ! Attendez !
C’est la reine.
– Je vais me charger moi-même de punir cette péronnelle.
– Vous, ma mie ? Vous m’en voyez ravi. Faites ! Faites donc !
Elle fait. Elle y met tout son cœur. Je crie. Elle s’interrompt. Le temps que quelqu’un me relève ma robe. Et ça tombe sur ma peau nue. Brûlant. Cuisant. Mordant.
Pour le plus grand ravissement de Sa Majesté.
– J’adore le claquement du fouet en action.
Et celui de la reine.
– Comme elle chante bien, vous ne trouvez pas ?
Il trouve aussi, oui.
Il se lève, il s’approche, il la prend par la taille. Elle laisse tomber le fouet. Ils s’éloignent, enlacés. Disparaissent derrière un rideau.
Il la prend. Ils jouissent. Pleinement. Moi, aussi.

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