J’ai longuement hésité. Et puis j’ai fini par appeler Émilie.
– Faut
que je te demande un truc…
– Je
t’écoute.
– C’est
rapport à Étienne. Parce que l’autre jour, pendant la fessée de
Bérengère…
– Tu
l’as pas quitté des yeux. Je sais, oui. J’ai vu. Ce qui peut se
comprendre. Parce que c’est Étienne qui sera amené à te fesser
si jamais tu récidives. Alors que tu sois tout particulièrement
attentive à lui, à ses réactions, dans ce genre de situation, ça
me paraît complètement normal. Tu crois que je l’ai pas eu dans
le collimateur, moi, Clément, pendant ce temps-là ? Puisque
c’est à lui que j’aurai affaire si je dysfonctionne encore. Même
si je me suis certainement montrée beaucoup moins insistante que
toi. Et s’il ne s’est rendu compte de rien, tout occupé qu’il
était à regarder sa dulcinée gigoter sous les claquées de
Valentin.
– Il t’a rien dit, Étienne ?
– À
propos ? De ton attitude ? Rien. Pas un mot. Mais peut-être
que ça ressortira un jour ou l’autre. Avec lui on peut pas savoir.
On peut jamais savoir. Non, la seule dont il ait été question,
c’est Bérengère. Mais c’est elle qui était sous le feu des
projecteurs après tout.
– Tu
crois, toi aussi ?
– Que ?
– Océane,
elle pense que ça lui était pas si désagréable que ça, tout
compte fait, de la recevoir, la fessée. Et qu’on la voie la
recevoir.
Elle
a marqué un long temps d’arrêt.
– Tu
sais, après, juste après, quand ça a été terminé, qu’on est
tous restés à discuter dehors…
– Oui.
Eh bien ?
– J’ai
voulu aller aux toilettes. C’était occupé. Par Bérengère
justement. Et, de là-dedans, me sont parvenus des gémissements
étouffés qui ne laissaient planer aucun doute sur la nature de
l’activité à laquelle elle était en train de se livrer.
– Ah,
ben d’accord !
– Comme
tu dis…
– Elle
s’est rendu compte ? Que t’étais là ? Elle s’en est
aperçue ?
– Pas
sur le moment, non. Je me suis discrètement éclipsée. Et puis,
après réflexion, j’ai décidé de lui en parler. Ce que j’ai
pas regretté finalement, parce que ça nous a permis de nous dire
plein de choses toutes les deux. Des choses que ça te soulage et te
rassure de te dire que tu n’es pas toute seule à les éprouver.
Parce que je sais pas toi, mais moi, c’est très compliqué ce que
je ressens quand je la reçois, la fessée. Et très ambigu. D’un
côté, je trouve ça incroyablement mortifiant d’être déculottée
et corrigée comme une gamine. Mais c’est aussi ce qui fait que
c’est efficace. C’est ce qui me dissuade, la plupart du temps, de
me laisser aller. Qui me pousse à me mettre sérieusement au travail
quand j’aurais plutôt envie d’aller m’affaler devant une bonne
série. Mais, en même temps, d’un autre côté, quand ça
m’arrive, je ne peux pas m’empêcher d’éprouver, en
arrière-fond, une certaine forme de plaisir. Bien sûr, il y a le
fait que c’est une région particulièrement érogène par là. Ça
compte. Ça ne peut pas ne pas compter. Mais il y a pas que ça.
C’est pas ça, l’essentiel. Non, c’est quelque chose de
beaucoup plus cérébral. En rapport étroit avec l’humiliation. Tu
es profondément honteuse de ce qui t’arrive, mais en même temps,
cette honte, elle a quelque chose d’incroyablement fascinant. Et de
très agréable. Plus elle est forte, plus tu te sens délicieusement
troublée. Plus tu te sens troublée et plus tu as honte de l’être.
En spirale. À l’infini. Et tu vois, le paradoxe, c’est que ce
plaisir, parce que tu en as honte justement, il participe à la
punition. Il te la fait appréhender un peu plus encore. Et il
contribue à t’inciter, au bout du compte, à rester dans les
clous.
Elle
a poussé un profond soupir.
– On
est compliqués, nous, les humains, hein, finalement !
Il y
a eu un long silence. Un très long silence.
– Je
t’ai choquée ?
– Oh,
non, non, pas du tout…
– Mais ça te fait te poser tout un tas de questions.
– Un
peu, oui.
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